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    30/04/2024

    L’ancien numéro deux du FN se présente aux Européennes

    Philippot au pays des conspirationnistes

    Par Daphné Deschamps , Arthur Weil-Rabaud , Nnoman Cadoret

    Depuis 2017 et son divorce avec Marine Le Pen, Florian Philippot fait campagne avec les complotistes. Une alliance dont l’ancien énarque épouse parfaitement les discours, même s’il tente de se tenir loin des théories les plus farfelues. Reportage.

    Palavas-les-Flots (34) – « Merci monsieur Philippot pour tout ce que vous faites pour nous réveiller », souffle une retraitée héraultaise aux poignets couverts de bracelets. L’intéressé aux yeux cernés lui lâche un sourire crispé, lui demande son prénom, signe le livre qu’elle lui tend, et enchaîne. L’ancien numéro deux du Front national en a encore une bonne cinquantaine à signer dans cette salle de spectacle de la station balnéaire méditerranéenne – qui ressemble plus à un hangar, avec ses murs en tôles ondulées. Pendant que le président du parti Les Patriotes dédicace à tour de bras ses (nombreux) ouvrages auto-édités, les petites mains du parti vendent des badges anti-OTAN ou qui souhaitent la sortie du marché européen de l’électricité.

    Ce jeudi soir d’avril, comme tous les jeudis depuis quelques semaines, Philippot est la star d’un meeting des Patriotes et de ses alliés, organisé dans le cadre de la campagne pour les élections européennes de juin prochain. L’ancien élu a constitué ce qu’il veut être une liste de « rassemblement », « la liste de la paix, de la raison ». C’est du moins ce qu’il explique, depuis son pupitre un peu trop petit pour la grande scène sur laquelle il est perché, aux quelque 150 militants et sympathisants venus de tout le Sud de la France pour l’écouter et surtout le rencontrer. Après le discours, l’orateur prend des selfies, hoche la tête avec intérêt face aux propos de ses soutiens et écourte souvent les conversations avant qu’elles ne dérapent.

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    Depuis 2017, Florian Philippot est passé de cadre principal d’une machine bien rodée, en plein processus de normalisation, à chef d’un microparti en peine d’audience et d’électeurs. / Crédits : Nnoman Cadoret

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    Meeting entre amoureux. / Crédits : Nnoman Cadoret

    Depuis 2017 et son divorce avec le FN et Marine Le Pen – avec laquelle il insiste n’avoir « plus aucun contact » aujourd’hui – Florian Philippot est passé de cadre principal d’une machine bien rodée, en plein processus de normalisation, à chef d’un microparti en peine d’audience et d’électeurs. La crise du Covid lui a amené un nouvel auditoire comme il reconnaît lui-même : les sceptiques de la maladie, les anti-sciences et surtout une bonne partie des complotistes, attirés par ses manifestations contre la « dictature sanitaire », la « folie covidiste », « l’empoisonnement collectif ». Autant de sujets qu’il aborde dans ses vidéos quotidiennes sur les réseaux sociaux. De quoi changer les habitudes et les conversations de ce diplômé de l’école de commerce HEC et de l’Ena, longtemps présenté comme « l’éminence grise » lepéniste. Ironie de l’histoire, celui qui a activement participé à l’entreprise de dédiabolisation du parti à la flamme est désormais à fond sur la ligne conspirationniste.

    La liste anti-peur

    Sur l’estrade de la salle palavasienne, la tête de liste pro-Frexit harangue son public, fait huer ses adversaires, applaudit les militaires et les soignants suspendus, présents dans l’assemblée et se fend même de traits d’humour qui marchent. Le président des Patriotes décrit le Parlement européen comme une institution qui rêverait de faire de la France « un État sans peuple, c’est-à-dire une tyrannie ». Un régime qui voudrait selon lui « s’en mettre plein les poches, vider les nôtres au passage et nous emmener dans la Troisième Guerre mondiale ». Il défend le professeur Raoult en évoquant Staline et parle d’une « science officielle qui sent le dollar, la science de Big Pharma ». Deux semaines plus tard, dans une réunion publique à Saint-Germain en Laye (78), il résume devant 250 fidèles :

    « Franchement, on nous traite de complotistes, mais moi je pense que ça veut juste dire qu’on a raison trois à six mois avant les autres. »

    L’ancien du FN décrit sa candidature comme « la liste anti-peur ». Une bonne partie de ses discours de l’Hérault aux Yvelines jouent pourtant dessus et ont l’air de stand-up aux accents paranoïaques. D’une critique de l’économie de guerre et du soutien inconditionnel à l’Ukraine que l’on retrouve dans d’autres partis, Philippot passe à une alerte sur des réquisitions qui auraient pour but de « faire couler le sang des fils et filles de France ». De normes européennes sur les médicaments et les vaccinations, il dérive sur un « pass sanitaire mondial », un « traité mondial de l’OMS », qui est bien en discussion, mais ne ressemble en rien à ce qui fait frissonner de terreur le public. Des fantasmes exacerbés et paranoïaques qui chaque fois ont des racines bien réelles, mais s’en sont séparés pour rentrer dans la sphère complotiste.

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    « Franchement, on nous traite de complotistes, mais moi je pense que ça veut juste dire qu’on a raison trois à six mois avant les autres. » / Crédits : Nnoman Cadoret

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    Pendant que le président du parti Les Patriotes dédicace à tour de bras ses (nombreux) ouvrages auto-édités, les petites mains du parti vendent des badges anti-OTAN ou qui souhaitent la sortie du marché européen de l’électricité. / Crédits : Nnoman Cadoret

    Journaliste antivax et ex-macroniste en guerre contre Pfizer

    C’est dans cette catégorie que Florian Philippot a pioché une bonne partie de ses colistiers, dont deux sont traités comme des rockstars par les militants : l’ancienne journaliste antivax Myriam Palomba ou l’ex-macroniste en guerre contre Pfizer, Marc Doyer. La première a été directrice du magazine people Public jusqu’en 2022 avant d’en être poussée vers la sortie en raison de ses positions complotistes. En mars 2023, sur le plateau de Touche pas à mon poste, elle assure que « plein de stars utiliseraient les sacrifices » d’enfants pour obtenir de l’adrénochrome, « afin d’avoir la jeunesse éternelle ». À côté, le très conservateur Jean-Frédéric Poisson, leader du mouvement Via, ex-Parti chrétien-démocrate et numéro trois de la liste, fait figure de colistier normal malgré ses positions anti-avortements et islamophobes.

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    Florian Philippot est allé piocher dans la sphère complotiste pour trouver ses colistiers, comme l’ancienne journaliste antivax Myriam Palomba. / Crédits : Nnoman Cadoret

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    Ils ne chantent pas l'Internationale. / Crédits : Nnoman Cadoret

    Mais le passage télé de Palomba, qui agite une dimension antisémite, marque davantage que l’héritier de Christine Boutin. Lorsque la numéro deux de la liste des Patriotes sort s’en griller une au meeting de Palavas, elle est immédiatement alpaguée par un fan qui lui offre une bouteille de vin biodynamique, « garanti sans poison », pour la « remercier de l’avoir éveillée sur l’adrénochrome ». La candidate sourit en prenant la bouteille, qu’elle promet de partager « avec Florian ». En face, Philippot préfère louer l’engagement et la sincérité de sa binôme quand il est interrogé sur ce genre de position. « Elle se donne beaucoup alors qu’elle ne sera très probablement pas élue », souffle-t-il d’un air presque soulagé.

    Le deuxième est un radicalisé du Covid. La femme de Marc Doyer est morte en 2022 de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Mais pour cet ancien macroniste convaincu, le responsable, c’est forcément Pfizer, qui a vacciné sa compagne, et à qui il intente désormais un procès. Au meeting de Saint-Germain en Laye, le président de l’association covido-complotiste Verity France monte sur scène sous un tonnerre d’applaudissements, assure qu’il faut voter Philippot pour la sortie du « pacte sanitaire mondial » qui a tué sa femme. Il se vante également de la « répression » du pouvoir en place dont il serait victime : Doyer a effectué mi-avril une dizaine d’heures de garde à vue pour un message vocal menaçant laissé sur le répondeur d’Emmanuel Macron, contre qui il ne cache pas son animosité. Une sortie de route que Philippot excuse, Doyer étant « un homme sincère, qui se heurte à un mur de mépris ».

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    Le pupitre est un poil petit. / Crédits : Nnoman Cadoret

    Les abeilles, le poison et Henri V

    Des profils qui se retrouvent sur le parvis des rencontres des Patriotes. Comme à Palavas, où les fans de « Florian » n’aiment pas trop les journalistes, qu’ils accusent d’être des « représentants de la doxa », des « agents du système » ou tout simplement « au service de Big Pharma ». Il y a ce couple de retraités qui élève des abeilles malgré une « gouvernance mondiale qui promeut l’obsolescence programmée » et fait perdre toutes ses valeurs nutritives au miel. « On peut soigner beaucoup de choses avec les piqûres d’abeille, comme les entorses », affirme le mari. Une de leurs amies a même « soigné sa sclérose en plaques avec des piqûres bien placées », renchérit la femme. Mais tout ça serait caché. « D’ailleurs, vous n’en parlerez surement pas, car les journalistes protègent la doxa », lancent-ils avant de mettre fin à la conversation. À quelques mètres, il y a ces deux parents et leur fille de 23 ans venue de l’Ariège qui « colle à quatre heures du matin, plusieurs fois par semaine ! », vante cette dernière. Le patriarche, lui, ne pardonne pas la « traîtrise » de la droite qui s’est positionnée en faveur des vaccins du Covid :

    « Appelez ça vaccin si vous voulez, moi je refuse de dire autre chose que poison. »

    Un peu plus loin, Carole, 55 ans, arbore fièrement un t-shirt à l’effigie du Café des Libertés de Forcalquier (04), une ancienne briqueterie occupée par des militants anti-pass sanitaires connus pour leurs dérives conspirationnistes. Elle affirme notamment qu’une ressource thermodynamique, « l’énergie libre », serait cachée par les lobbies industriels. « J’attends que la France se réveille » affirme celle qui a été déçue par un autre représentant de l’extrême droite, Charles Gave, qui est « capitaliste ». Enfin, l’ancien missionnaire Roger (1) explique doctement que la France est en crise car elle subit la malédiction des Templiers depuis le 14e siècle. Fort heureusement, Robespierre aurait caché le véritable héritier de Louis XVI et son descendant du nom d’Henri V reviendra bientôt tout remettre en place. Serait-ce Florian Philippot ? « Non, probablement pas, mais je pense qu’il peut nous aider le temps qu’Henri V arrive jusqu’à nous. »

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    Un public plutôt éclectique, dirons-nous. / Crédits : Nnoman Cadoret

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    Carole fait partie du Café des Libertés, des militants anti-pass sanitaires connus pour leurs dérives conspirationnistes. Quant à Roger, un missionnaire, il assure que le descendant caché de Louis XVI, Henri V, va bientôt venir sauver la France, avec l'aide de Philippot. / Crédits : Nnoman Cadoret

    Face à ce genre de propos farfelus, Philippot assure écouter « tout le monde, mais pas n’importe quoi ». Celui qui se défend d’être conspirationniste malgré ses discours ne déraille pas de sa ligne : « Si quelqu’un vient me voir en meeting ou en manifestation pour avancer des théories comme celles dont vous me parlez, je n’ai aucun souci à passer pour un méchant quelques minutes et dire que ce n’est pas raisonnable. » Dans les faits, le partisan du Frexit répond à ses soutiens du Sud ou de l’Île-de-France souvent la même timbale, presque robotiquement : « Comment ça va, merci d’être là, on a besoin de vous, on se voit en manifestation bientôt ? Super. » C’est peut-être ce qui n’a pas totalement convaincu Carole, du Café des Libertés. « J’ai l’impression que Florian est sincère, mais j’ai des doutes », avance-t-elle avant de lancer :

    « Il faut qu’il fasse attention, car les seules personnes qui ont vraiment voulu faire des choses ont été assassinées. »

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    « J’ai l’impression que Florian est sincère, mais j’ai des doutes. » / Crédits : Nnoman Cadoret

    (1) Le prénom a été modifié.

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