Vanessa se lève souvent tôt le matin, dans les alentours de cinq heures. Cette mère de cinq enfants aime profiter du calme de sa résidence du Bois de la Grille, à Guyancourt (78). Ce 12 mars, la femme de 45 ans regarde la télévision quand elle entend du bruit à la porte. Elle pense d’abord à sa fille Tya, 18 ans, qui irait sortir leurs deux chiens. Mais un gros « boum » retentit. Vanessa et ses animaux s’approchent de l’entrée. Une quinzaine de policiers cagoulés, habillés de gilets pare-balle et munis « d’armes de guerre », viennent de faire sauter la serrure et sont chez elle. L’un d’eux crie deux fois : « Il y a des chiens ! » Un tir part en direction de Naïa, la femelle américaine bully, mais loupe sa cible. La balle érafle le mur, rebondit sur le carrelage de l’entrée et finit par transpercer la porte de la cuisine. À quelques centimètres près, elle touchait Vanessa. Sous le choc, cette institutrice leur demande d’arrêter de tirer. Elle enferme les chiens sur le balcon. Sans s’expliquer, la horde de policiers entre dans le logement familial et contraint Vanessa à rester dans le salon.
Un tir de la police part en direction de la chienne Naïa, mais loupe sa cible. La balle érafle le mur, et rebondit sur le carrelage de l’entrée. / Crédits : Nnoman Cadoret
La balle finit par transpercer la porte de la cuisine. / Crédits : Nnoman Cadoret
Une perquisition violente
Réveillé par le bruit, Marcel, son mari, sort de sa chambre et aurait directement reçu deux coups de taser et deux coups de pied. L’un d’eux lui laisse une entaille de trois centimètres de large et creuse d’un demi-centimètre sur le tibia gauche. « Ils auraient pu me casser la jambe », affirme cet ancien technicien. Suite aux coups, Marcel tombe et se cogne la tête contre l’angle d’un bureau. Il aurait ensuite été immobilisé par le pied d’un policier sur son dos et menotté violemment. Sa fille, Tya, ouvre la porte de sa chambre au même moment et voit les policiers « en train de taser [son] père ». D’autres entrent « dans notre chambre et pointent mes deux petites sœurs avec leurs armes ». Elles ont huit ans. Tya s’énerve et hurle : « Il y a des enfants ! » Un des policiers l’aurait alors attrapé par le col. La jeune fille ne se « laisse pas faire » et sort son téléphone pour filmer. L’agent le lui arrache des mains et le balance à l’autre bout de la chambre. Comme son père, elle est mise sur le sol, maintenue avec un pied sur le dos pendant qu’elle est menottée et se cogne la tête.
À quelques centimètres près, la balle touchait Vanessa. / Crédits : Nnoman Cadoret
La nuit du 12 mars 2024, une quinzaine de policiers cagoulés et armés débarquent chez Vanessa, Marcel et leurs quatre enfants. / Crédits : Nnoman Cadoret
Pendant ce temps, une fonctionnaire pose des questions aux deux petites tétanisées. Elle leur demande leur âge et leur prénom, pendant que des agents cagoulés fouillent les lits à l’aide de lampes torches. Quelques semaines plus tard, Marcel dénonce, dépité :
« Même sur les petites, ils foutent la pression. Ils savent ce qu’ils font. »
Dans la chambre d’à côté, l’aîné de la famille Tanguy est réveillé par plusieurs policiers, eux aussi armés et cagoulés. Ils demandent à l’homme de 26 ans son identité « à plusieurs reprises ». Les bleus fouillent la chambre, le menottent et l’emmènent dans le salon. Ils y retrouvent sa mère et son père toujours menotté.
Tya et Tanguy seront eu aussi menottés. / Crédits : Nnoman Cadoret
« Je reviendrais pour toi et je te briserais la mâchoire »
Une fois réunis, les policiers saisissent des photos de famille et visent avec un laser l’homme qu’ils recherchent : Kenny, le cadet âgé de 22 ans. Quand Tanguy leur demande pourquoi, une policière lui répond : « Je n’ai pas de compte à vous rendre. Il est majeur. » Les résidents apprennent plus tard que Kenny est accusé de « dégradation de biens publics en réunion ». Il est suspecté d’avoir incendié les écoles maternelles et primaires de La Verrière (78), lors des révoltes de juin 2023 qui se sont déclenchées après la mort de Nahel Merzouk suite à un tir d’un policier à Nanterre. Soit huit mois et demi après les faits, alors que Kenny n’habite plus chez ses parents depuis ses 18 ans.
Vanessa, Marcel et leurs quatre enfants ont été victimes de violences policières lors d’une perquisition en mars 2024. / Crédits : Nnoman Cadoret
Dans le petit salon, les forces de l’ordre qui cherchent tout élément lié au cadet sont « moqueurs » et « détachés » selon Tanguy et son père Marcel. Les policiers évoquent leur dernière séance de tirs ou rigolent des chiens enfermés sur le balcon sur lesquels l’un d’eux a tenté de tirer. Un comportement qui énerve les deux hommes menottés. Le ton monte, Marcel et Tanguy les insultent et l’un des agents menace Tanguy devant ses parents :
« Aujourd’hui, je suis venu pour ton frère mais je reviendrais pour toi et je te briserais la mâchoire contre le trottoir. »
Quelques dizaines de minutes après le début de la perquisition violente, les bleus repartent et embarquent Marcel au commissariat à Trappes (78). Il venait pourtant de voir les pompiers, appelés car le père de famille se plaignait de douleurs au dos et d’une vision floue. Marcel reste environ neuf heures en garde à vue et n’en ressort qu’après 16h. Il en repart avec une convocation au tribunal correctionnel de Versailles (78) pour « résistance violente à personne dépositaire de l’autorité publique ». Une accusation que Marcel réfute :
« Je suis simplement sorti de ma chambre. C’est eux qui m’ont frappés, moi je n’ai rien fait. Non seulement je suis victime de violences mais en plus ils m’accusent ? C’est des mensonges ! »
Les policiers auraient également essayé de lui faire signer des papiers où il aurait avoué avoir interféré dans l’enquête en cours. « Ils ont refusé de me donner mes lunettes alors que je n’arrive pas à lire sans. » Marcel ne consent à ne signer que sa sortie de garde à vue et sa déclaration. Mais la future convocation l’inquiète :
« Déjà que l’on a du mal à boucler les fins de mois, comment puis-je me payer un avocat pour me défendre ? »
Le fils visé par la perquisition libre de toutes poursuites
Et Kenny dans tout ça ? Ce père de deux enfants en bas-âge s’est rendu au commissariat dès que sa mère lui a téléphoné à la fin de la perquisition. Sur place, il croise trois autres hommes du même quartier que lui. Après 30 heures de garde à vue, un interrogatoire filmé où il aurait subi plusieurs violences physiques et verbales, il ressort du poste sans aucune poursuite judiciaire, malgré les perquisitions au domicile de chez ses parents et chez lui, en présence de sa femme. L’homme affirme n’avoir rien à se reprocher. Il était certes présent le soir de l’incendie des écoles de La Verrière « mais quand j’ai vu que ça chauffait trop, je suis parti ». « C’est bête de brûler une école. En plus, ma mère était l’ancienne directrice de l’école primaire, pourquoi j’aurais fait ça ? », ajoute-t-il. Selon lui, la seule preuve des forces de l’ordre est un témoignage d’un homme de son quartier, déjà incarcéré pour violences lors des révoltes. Contacté, le service d’information et de communication de la police (Sicop) a confirmé qu’une enquête était « en cours ». Le parquet de Versailles, lui, a indiqué que l’affaire était toujours en « instruction » et qu’elle ne pouvait donc « pas communiquer » dessus.
Un agent a tiré une balle dans leur logement. / Crédits : Nnoman Cadoret
Pour la famille des Yvelines, les conséquences de la perquisition sont lourdes. En plus d’avoir toujours, sept mois plus tard, la trace de la balle qui a ricoché à deux endroits dans la cuisine, les jumelles de huit ans ont perdu l’appétit et en font des cauchemars. « Elles ont peur que les voleurs reviennent », confie leur mère Vanessa. Marcel, en attente de son procès qui aura lieu le 26 novembre prochain, y voit un acte raciste :
« Nous n’étions que des négros pour eux à ce moment-là. J’aurais aimé que mes enfants ne vivent jamais ça. »
Quant à Tanguy, il estime que la famille a vécu « une agression en bande organisée » :
« J’exagère peut-être mais ils sont arrivés, ils ont tiré un coup de feu, nous ont violentés, insultés et sont repartis. »
Il a retrouvé la balle du policier encastré dans le congélateur. Suite aux violences, l’aîné de la famille et sa mère sont allés au commissariat local pour porter plainte le 16 mars 2024. Une fois à l’accueil, la policière les questionne : « Vous venez porter plainte contre mes collègues ? » Surprise qu’un agent ait fait feu dans le logement, elle aurait passé deux coups de téléphone et aurait affirmé que le tir était justifié. Et si Marcel le paternel veut porter plainte, il doit venir de lui-même. « Le comportement nous a découragés à déposer plainte », explique Tanguy. Quelques jours après les faits, le fils cadet Kenny reçoit une amende. La raison ? Un « tapage » lors de sa garde à vue.
- Documentaire : « Nahel, un an après : la révolte étouffée »
- Reportage : « Si les émeutes devaient recommencer, j’y retournerais. » Des jeunes racontent la mort de Nahel et les violences policières qui continuent.
- Témoignage : « Je sers une institution criminelle. » Un an après les émeutes, des policiers racontent leur désaccord sur le maintien de l’ordre
- Entretien : La ségrégation sociale a nourri les émeutes de 2023, explique Marco Oberti, chercheur au Centre de recherche sur les inégalités sociales de Sciences Po.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER