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    15/04/2025

    « Il nous disait qu’on allait devenir millionnaires »

    Anthony Bourbon, gourou de la finance de start-ups aidé par M6

    Par Lina Rhrissi

    Le juré pro-Musk de l’émission M6 « Qui veut être mon associé ? » cultive une image d’homme d’affaires à succès pour attirer des clients sur son onéreuse plateforme d’investissement. En coulisses, les critiques s’accumulent.

    « J’ai lu tellement de choses fausses que j’ai été obligé de couper mes vacances pour répondre une dernière fois à ces accusations alambiquées », nous écrit par mail un Anthony Bourbon furieux du fin fond des Maldives. La tête d’affiche de « Qui veut être mon associé ? » (QVEMA) n’a pas apprécié les questions de StreetPress. À 36 ans, ce start-upeur au t-shirt blanc et sourire ultra-bright tient le rôle de requin des affaires un poil prétentieux dans ce programme à succès vu par presque deux millions de personnes. Dans chaque édition diffusée sur M6, des entrepreneurs ont une minute trente pour pitcher leur boîte à un jury d’investisseurs. La cinquième s’est achevée en mars et Bourbon a pu y rappeler son mantra :

    « Moi, quand je me lève le matin, c’est pour gagner beaucoup d’argent. »

    Intronisé dans le show en 2022 comme fondateur de la marque de repas en poudre Feed, le trentenaire ne cesse de multiplier les projets. Dernier en date : le Blast.Club. Une communauté payante qui permet à ses membres d’investir dans des jeunes entreprises à fort potentiel de croissance. Dans l’écosystème du « venture capital » – la finance des start-ups – sa plateforme inquiète. « C’est très énervant de connaître les dessous et de savoir que des gens peuvent se faire avoir », s’agace un membre du board de l’association France Fintech, qui œuvre à fédérer les entreprises de cette mouvance. Des anciens de Feed et des candidats de QVEMA décrivent un homme pour qui l’image prime – tous ses mails sont signés avec les couvertures de magazines où il apparaît en Une –, quitte à faire des promesses dans le vent. « J’ai l’impression d’avoir tout donné et d’avoir eu des miettes en retour », estime son ex-salariée Marine (1).

    Face à nos questions posées en visioconférence puis par mail, ce dernier dénonce « un papier à charge », qui ne parle pas « de toutes les start-ups » qu’il aurait « financées et aidées » et qui se concentrerait « uniquement sur les 0,2 % qui ont des reproches à faire suite à leur liquidation judiciaire ?! ». Il transmet les contacts de plusieurs de ses salariés actuels, dont la directrice de la communication du Blast.Club, qui décrit un boss « avec une vision » qui « se trompe rarement ». Même émerveillement pour la cheffe du marketing : « Il a le nez pour savoir où il faut aller. » Pour un autre responsable, qui a commencé en tant que stagiaire chez Feed, Anthony Bourbon a été un « mentor » qui lui a « donné des ailes » :

    « C’est quelqu’un qui est dans la méritocratie. »

    Un influenceur parti de rien qui idolâtre Musk

    Pour construire son mythe, ce fan de Bernard Tapie, qui partage ses vols en première classe avec caviar et champagne à ses 340.000 followers, répète partout qu’il a vécu à la rue à l’âge de 17 ans. « C’est aussi les médias qui aiment bien mettre cette histoire en avant parce qu’elle sort de l’ordinaire. » Dans son livre, « Forcez votre destin », sorte de manuel de développement personnel à sa gloire, il explique viser le milliard avant ses quarante ans et plastronne : « Quand on a connu le manque, on est capable de se priver de tout pour ne manquer de rien. Alors on est invincible. »

    Originaire de Pessac, près de Bordeaux (33), il raconte avoir grandi avec un père cheminot violent et une mère dépressive. Après avoir passé un an à dormir chez les uns et les autres, dans des bus ou des cybercafés, d’après son récit, il s’en serait sorti par des magouilles, parfois « à la limite de la légalité », comme la revente de voitures ou de montres. Celui qui estime que les études sont « une perte de temps » admire la figure d’Elon Musk. Le 5 janvier 2025, dans le podcast Legend, alors que le patron de Tesla promet une politique brutale aux Etats-Unis, Anthony Bourbon ose : « Je serai tellement rassuré d’avoir un Musk dans l’administration parce que tu le lâcherais là-bas tu sais que l’argent, il est bien utilisé. » Et d’ajouter :

    « Moi tu m’envoies là-bas, je fais un carnage. »

    Auprès de StreetPress, Anthony Bourbon prend un exemple unique : « À l’Élysée, pour y avoir été invité, il y a 600 CDI. C’est-à-dire qu’il y a des gens qui ouvrent les portes quand on arrive, au lieu de mettre des portes automatiques ! » Un discours populaire aux USA qui plaît à un magnat d’extrême droite bien français : Pierre-Edouard Stérin. Le nouveau financier de la mouvance a exploré l’idée d’une téléréalité pour pousser un chef d’entreprise à la tête de l’État. Dans le casting prévu, Anthony Bourbon avait donné son accord, rapporte Le Monde. Il faut dire que les deux ont déjà fait du business : le milliardaire catho–réac avait financé Feed en 2018 via son fonds d’investissement Otium. Anthony Bourbon, lui, assure qu’il n’a rencontré Stérin qu’une seule fois et ne pas être attiré par la politique :

    « Tu peux difficilement faire plus stylé en termes de réussite professionnelle mais c’est pas un truc qui m’excite. »

    Feed, une réussite ?

    « La réalité, c’est que tu vois tout par le biais du marketing », balance le business man Jean-Pierre Nadir à Anthony Bourbon dans un clash mythique de la saison 2 de QVEMA. « Mais ne pense pas que parce que tu as réussi un truc avec tes poudres, t’as un avis universel et absolu sur tout ! » La success story du millionnaire repose sur Feed, la marque de repas complets à boire qu’il a lancée en 2016. La start-up a levé 15 millions d’euros en 2018 et employé jusqu’à soixante personnes à ses débuts. Mais la crise du Covid est venue mettre un coup de frein au projet. Dix ans plus tard, la marque peine à décoller. Les salariés ne seraient plus qu’entre dix et quinze, selon lui.

    Si certains anciens conservent une impression positive de leur expérience chez Feed et de son patron « très solitaire », d’autres en gardent un souvenir amer, comme Benjamin ou Marine (1). Ils se souviennent des meetings du lundi matin pendant lesquels Anthony Bourbon motivait ses troupes et leur dit « qu’on allait devenir millionnaires ». C’est à cette période que le PDG se met à publier des mantras de coach sur ses réseaux sociaux personnels, que ses salariés sont sommés de « liker ». « Avant le Covid, les chiffres n’étaient déjà pas folichons, mais il nous disait qu’il n’y aurait pas de licenciement et qu’il ferait barrière face aux actionnaires », rembobine Benjamin. Marine, qui y a travaillé de 2018 à 2020, se rappelle aussi :

    « Il nous sortait que Feed allait changer notre vie et qu’on aurait des parts dans la société. »

    Spoilers : « Je ne suis jamais devenue millionnaire. » Feed était son premier job. La jeune femme faisait « facilement » du 8h-21h sans pause le midi, sous les encouragements de Bourbon. « Il m’a dit que j’étais une pépite et que j’allais grandir sous son aile. » Celle qui touche 2.315 euros par mois finit par faire un burn-out. Quand elle annonce au boss qu’elle revient après deux semaines d’arrêt, « il m’a assuré qu’il allait y avoir des évolutions incroyables pour la boîte ». À son retour, le 18 mai 2020, Anthony Bourbon annonce en visio un plan de licenciement économique. Une dizaine de minutes plus tard, 17 salariés, soit un tiers de l’entreprise, reçoivent le courriel qui va avec. « J’ai été virée comme ça, par mail, à la sortie de mon arrêt maladie », souffle Marine. « Je ne suis pas contre les licenciements, mais il y a une manière de faire », s’indigne Benjamin. « C’était hyper violent, sans aucune explication. Ça a été un traumatisme pour beaucoup d’entre nous, même ceux qui sont restés. » Il juge son ex-chef :

    « C’est un gars qui peut entraîner toute une foule avec un micro. Il fait rebelle, il dit qu’il va révolutionner les choses. Quand on est jeune, on aime bien. Finalement, il a agi exactement comme ce qu’il dénonçait. »

    « On a réalisé qu’en fait, la croissance un peu folle n’était pas tenable sur le long terme », admet Anthony Bourbon. « Quand on a pris cette décision, qui n’était évidemment pas facile, c’est ce qui a permis de sauver l’entreprise. »

    Un club d’investissement « pas très sérieux »

    Sa nouvelle plateforme, Blast.Club suscite également des critiques dans le petit monde de la « French tech ». « Ils ont une communication qui porte à confusion », a pu pointer la directrice générale de Financement Participatif France, Florence de Maupeou, dans Les Echos. En cause, la « levée de fonds » de 30 millions d’euros annoncée auprès des membres en 2023, qui était en fait un « cash-out », comme le détaille un article du blog « ZeroBullshit ». Si la levée de fonds est une opération de financement participatif qui consiste à intégrer des investisseurs au capital, un cash-out est la revente d’une partie ou de la totalité des actions d’une entreprise, en l’occurrence celles d’Anthony Bourbon et du cofondateur, Samuel Guez. En résumé, cette opération aurait surtout permis aux cofondateurs de s’en mettre plein les poches. Pour Louis (1), membre du board de France Fintech :

    « La volonté de rendre accessible au grand public la finance de start-ups est un vœu louable en soi. Mais quand c’est fait avec un discours autocentré et une communication agressive qui attire des personnes très convaincues, c’est inquiétant. »

    D’après cet investisseur qui a créé plusieurs start-ups, nombre de fonds professionnels ne voudraient pas investir dans des entreprises qui ont Blast – la société de Bourbon, pas le média – dans leur capital, notamment en raison de clauses déséquilibrées au profit des cofondateurs. « C’est très bien fait en termes de marketing, mais c’est pas très sérieux. » Confronté, Bourbon juge les critiques « ridicules » et pointe la note de 4,9/5 pour Blast.Club sur Trustpilot, une plateforme d’avis en ligne. « Si les gens avaient l’impression de se faire pigeonner, ils ne mettraient pas cette note. »

    Il prétend avoir « envoyé 80 millions d’euros dans l’économie française l’année dernière avec Blast ». Un chiffre impossible à vérifier puisque l’entreprise ne publie pas ses comptes. Les sceptiques dénoncent aussi les montants particulièrement élevés prélevés aux membres pour participer à ces investissements pourtant risqués : entre 1.000 à 10.000 euros d’abonnement par an et de nombreux frais. Le fondateur de Blast.Club tranche :

    « On a des centaines d’heures de formation avec les plus grands experts. On fait venir des stars de l’écosystème. C’est aussi pour ça qu’ils payent pour être chez nous. »

    Sur LinkedIn, en réponse aux critiques sur son modèle financier, Anthony Bourbon a déterré une condamnation pour corruption de mineurs impliquant l’auteur du blog ZéroBullshit, qu’il qualifie de « pédophile ». Avant de rétorquer par la citation « qui sort du moule dérange la foule ». Un niveau de drama rare dans le milieu.

    Mélange des genres et marketing

    Le nouveau projet de Bourbon est-il aidé par la médiatisation de QVEMA ? L’animateur Arthur, propriétaire de la boîte de production, apprécie visiblement son poulain puisqu’il signe la préface de son livre. Deux autres jurés du programme, Eric Larchevêque et Tony Parker, servent également de caution au Blast.Club comme experts sur le site. Mais pour Anthony Bourbon, ses passages sur M6 ne sont « aucunement de la pub ». « Chaque investisseur qui participe à QVEMA a ses aventures puisque, par définition, on est des entrepreneurs. Je ne peux pas être plus en adéquation avec la mission du programme. » (2)

    Pas effrayé par le mélange des genres, Anthony Bourbon évoque sa plateforme à Laura (1), candidate de l’émission. « Il m’a tout de suite parlé de Blast par lequel je devais passer si je voulais investir avec lui », se remémore-t-elle. À l’époque, son pitch, basé sur son histoire personnelle, séduit l’investisseur. À la télé, le patron de Feed se targue d’être celui qui met le plus d’argent sur le tapis. Sauf que ces « deals en plateau » n’ont évidemment rien d’officiel et les investisseurs, comme les entrepreneurs, ont le choix de collaborer ou non hors antenne. L’un d’eux, auquel Anthony Bourbon a promis un investissement à l’écran sans aller jusqu’au bout, a apprécié le personnage. « Il a été hyper proactif et m’a donné des contacts dans tous les sens », témoigne-t-il. Pour Laura, l’histoire est moins rose. Après le tournage, l’investisseur l’incite à lever beaucoup plus que son business model. La cheffe d’entreprise bosse d’arrache-pied sur un nouveau plan économique. Les fondateurs du Blast.Club lui donnent de moins en moins de nouvelles. Un mois après la diffusion de l’épisode, il annonce dans un post LinkedIn qu’il est heureux d’investir dans sa boîte :

    « Je comprends qu’il y a un truc marketing là-dessous et qu’en fait, il n’investira pas. »

    « Ça m’a retournée qu’on instrumentalise mon histoire comme ça. » Dans un échange de messages WhatsApp que StreetPress a pu consulter, Anthony Bourbon écrit à Laura au sujet du post LinkedIn : « J’ai hésité à faire supprimer ta partie, mais je me suis dit que ça te ferait toujours de la visibilité (…) Tu aurais préféré que je dise que ton business model n’a aucune chance de marcher et que tu fais perdre de l’argent à tes clients ? »

    L’ex-candidate lui rappelle que son projet initial n’était justement pas aussi ambitieux. L’homme finit par l’accuser d’être agressive. Interrogé sur cette situation, le fan de Musk tance :

    « Une personne qui considère cette situation comme étant brutale est très loin d’imaginer la réalité du quotidien des entrepreneurs. »

    Une armée de trolls à sa défense

    Laura n’est pas la seule candidate de QVEMA à avoir subi la vindicte d’Anthony Bourbon. Lors d’un épisode, une entrepreneuse présente un projet féministe, dont le but était de créer un espace safe en ligne pour les femmes. Mais son pitch, qui aborde des thèmes tels que les violences sexistes et sexuelles, ne plaît pas au patron de Blast. Il dit avoir été « mal à l’aise », estime qu’elle a « cassé l’énergie ». Après la diffusion, la cheffe d’entreprise engagée publie sur Instagram une vidéo humoristique sur la réaction d’Anthony Bourbon. La star des réseaux sociaux prend la mouche. Il commente longuement sous la vidéo :

    « Vraiment injuste de sortir du contexte cinq secondes (…) Juste pour faire du buzz… »

    Puis, sous une autre publication, le ton se fait plus vengeur : « Incroyable le karma (…) D’ailleurs, certain(e)s investisseurs qui devaient participer à votre levée de fonds m’ont appelé pour me dire qu’ils allaient annuler leur investissement. » Les jours suivants, dans les notif’ des trois collaboratrices de l’entreprise, des centaines de trolls masculinistes se déchaînent, dénigrent leur combat féministe et prennent la défense d’Anthony Bourbon. Selon nos informations, la fondatrice du projet a été cyberharcelée pendant plus d’un mois, certains adeptes du jury de M6 sont allés jusqu’à trouver son numéro. Après avoir reçu un nombre grandissant d’insultes et des menaces de viol, elle aurait quitté son appartement pendant quelques jours. Une de ses proches confirme : « Elle était très stressée, ne se sentait plus en sécurité dans son immeuble, a maigri, ne dormait pas bien… Elle m’a beaucoup inquiétée à ce moment-là. » Contactée, l’entrepreneuse n’a pas souhaité répondre à StreetPress.

    Dans son très long mail de réponse envoyé depuis son hôtel des Maldives, Anthony Bourbon continue d’accuser les trois filles d’avoir voulu « s’assurer un maximum de reach » en « mettant une tête de clown à côté de mon nom » et ne s’estime pas responsable des messages haineux qu’elles ont reçu. « Parce que ce sont des femmes, je ne devais pas donner ma version et dire ce qu’il s’était vraiment passé en plateau ? », écrit-il. À plusieurs reprises, l’influenceur-investisseur nous prévient qu’il publiera une vidéo cumulant « toutes les preuves » qui démontrent « à quel point les accusations sont mensongères et injustes » à la sortie de notre article. Il glisse :

    « Je suis impatient d’avoir l’avis des gens sur les réseaux sociaux. »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    (2) Contactée sur les potentiels dangers que comporte la promotion d’une plateforme d’investissements risqués par une personnalité de la chaîne, M6 n’a pas souhaité répondre.

    Illustration de Une de Timothée Moreau.