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    18/03/2025

    Agressions, défilé aux flambeaux, tags racistes…

    Ces maires en guerre contre l’extrême droite radicale

    Par Théo Mouraby , Caroline Varon

    À un an des élections municipales, les groupuscules d’extrême droite extra-parlementaires gagnent du terrain dans les villes françaises. Face à leur radicalité, souvent violente, sept maires racontent comment ils tiennent le pavé.

    À l’autre bout du fil, Grégory Doucet est satisfait et soulagé. Désignée comme « berceau » de l’extrême droite radicale par les renseignements territoriaux, sa ville, Lyon (69), compte à présent un mouvement en moins. Le 26 juin dernier, le ministère de l’Intérieur, sollicité plusieurs fois par le maire écologiste, a annoncé la dissolution des identitaire les Remparts, entraînant la fermeture de leurs locaux dans le Vieux-Lyon. « On avait tout un tas d’éléments qui démontraient la dangerosité de ces groupes », rappelle l’édile.

    « Il y a eu des agressions très très violentes, des attaques à l’arme blanche… »

    Dix-sept coups de couteaux précisément, portés par un militant à trois hommes, la nuit du 2 février 2024. Le raid aussi, le 11 novembre 2023, d’une conférence sur la Palestine par une cinquantaine d’individus équipés de barres de fer et de battes de baseball. Et, plus tard, la même nuit, le tabassage d’une étudiante d’origine thaïlandaise à coups de canne.

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    Le maire de Lyon, l'écolo Grégory Doucet, a sollicité le ministère de l'Intérieur à plusieurs reprises pour la dissolution des Remparts, obtenue le 26 juin 2024. / Crédits : Caroline Varon

    Une violence qui n’est pas l’apanage de Lyon. À Strasbourg (67), « ces dernières années, il y a eu des perquisitions et des condamnations, notamment pour trafic d’armes illégal » chez les hooligans néonazis des Strasbourg offender, retrace Jeanne Barseghian, la maire écolo. Ou encore à Tours (37), où le centre LGBT a été visé avec un engin explosif en mai 2023 par un individu isolé. La marche des Fiertés est aussi un événement « qui peut être critique » de l’aveu du maire EELV, Emmanuel Denis. Avec la présence du groupuscule local Des Tours et des lys, « il y a un risque latent ».

    « On est toujours dans la crainte. »

    Comme à Toulouse, Rouen, Besançon, Clermont-Ferrand, Chambéry et ailleurs, l’extrême droite extra-parlementaire, que StreetPress a cartographiée, gagne du terrain dans les grandes villes françaises. Alors que le Rassemblement national (RN) progresse dans les urnes, à un an des élections municipales de 2026, sept maires racontent le combat dans leurs rues contre les radicaux.

    Bruits des bottes

    Retour à Tours. Après la marche des fiertés au mois de juin, c’est une nouvelle marche annuelle, d’un tout autre genre, qui préoccupe l’édile Emmanuel Denis. Depuis 2023, les néofascistes Des Tours et des lys organisent chaque année une procession aux flambeaux lors de la Saint-Martin, le 10 ou 11 novembre. Fin 2024, ils étaient environ 200 radicaux, venus de tout l’Ouest de la France, à défiler pendant une heure et demie dans le cœur historique de la ville. Le rassemblement flaire une ambiance digne des années 1930. Certains chants entonnés reprennent des airs inspirés d’un hymne nazi, comme l’a noté Libération. Les deux dernières années, la demande de manifestation a été acceptée par la préfecture. Mais en 2025, Emmanuel Denis a obtenu du préfet la promesse d’interdire le défilé :

    « Ils ont senti l’émoi que ça avait suscité et ils ont bien compris que c’était un moment un peu risqué pour la ville. »

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    A Tours, le maire EELV, Emmanuel Denis fait face au groupuscule Des Tours et des lys. / Crédits : Caroline Varon

    Là est bien le sujet pour les maires dans la lutte contre les groupuscules. Ils disposent de prérogatives limitées et doivent se reposer sur d’autres acteurs : l’État et son émanation locale, la préfecture, les renseignements territoriaux, la police nationale ou la justice… « Je ne suis que maire, je ne dispose pas de force ou de pouvoir d’investigation », reprend le Lyonnais Grégory Doucet. Pourtant, ici aussi, c’est souvent l’intention qui compte. Élu en 2020, il a tranché avec la politique de son prédécesseur en la matière, Gérard Collomb (Parti socialiste, puis LREM), que le sociologue Alain Chevarin, auteur du livre Lyon et ses extrêmes droites (éditions de la Lanterne, 2020), qualifiait de « peu regardante » sur la mouvance et les militants radicaux. Le maire actuel détaille : « Ce qui m’importe, c’était de dire qu’il faut agir et sans attendre. »

    « On ne peut pas être dans la demi-mesure, ou dans une forme de quasi-tolérance, parce que laisser prospérer des gens qui sont dangereux, c’est tout simplement mettre des personnes en danger. »

    Un maire « sur le pied de guerre »

    « Il faut un maire qui incarne, qu’il soit un militant aussi de cette question-là », appuie Olivier Bianchi, l’élu socialiste de Clermont-Ferrand (63). « Si vous êtes sur le pied de guerre : en deux heures, des tags, c’est nettoyé. Si vous vous dites : “Tout ça n’est pas grave”, et bien ils restent une heure, dix heures, trois jours, un mois, et ce n’est plus du tout la même ambiance qui se crée. » Depuis 2023, un nouveau groupuscule tendance néonazie d’une trentaine de membres s’est reformé, Clermont non-conforme. Le maire socialo ne l’entend pas de cette oreille :

    « Cette avancée radicale pousse le plus loin possible pour rendre naturelle une expression raciste du quotidien. Il faut tailler cette pointe exacerbée, qu’elle soit décapitée pour ne pas donner un climat délétère. »

    À Chambéry (73), des croix gammées à l’envers et des « Vive Hitler » sont apparus il y a trois semaines. « La ville dépose plainte systématiquement et on efface pour ne pas laisser l’idée qu’ils gagnent du territoire, y compris par leurs tags », affirme Thierry Repentin (Divers gauche), qui dit vouloir « les invisibiliser le plus possible », dans un département où le RN progresse électoralement. Une militante savoyarde pointe que ce sont surtout les antifascistes locaux qui recouvrent les tags d’extrême droite avec les leurs et que la ville « finit par repeindre des murs » face au gribouillage. « Il en va de même pour les affiches et les autocollants », précise-t-elle. L’action du maire à ce sujet est même critiquée par… les élus d’oppositions de droite. Dans une tribune du journal municipal de mars 2025, ces derniers ont pointés que pour « la première fois », l’édile local n’a pas souhaité « en faire état ». « Vouloir taire ces événements, qui se déroulent presque au grand jour, ne fera que renforcer la montée des idées racistes et fascistes, parce que banalisés (1). Dans la commune savoyarde de 60.000 habitants, le groupuscule nationaliste-révolutionnaire Valyor, qui semble avoir pris la suite d’Edelweiss Pays de Savoie, apparaît de temps à autre la nuit dans les rues étroites du centre moyenâgeux. Le 6 février, comme l’année dernière, 20 à 30 personnes se sont rassemblées pour commémorer les émeutes des ligues d’extrême droite de 1934 sans en être empêchées par les pouvoirs publics.

    À LIRE AUSSI : Découvrez la CartoFaf, notre cartographie de l’extrême droite radicale française

    L’élu Thierry Repentin assure qu’il prévient la police nationale lorsqu’il estime qu‘« il y a possibilité d’avoir une soirée qui dérape au regard du nombre et de l’attitude de ces jeunes autour des bars ». « Et il m’est arrivé d’avoir bien fait de le faire », ajoute-t-il. À l’été 2023, les activistes d’extrême droite défilent « type militaire en cherchant à casser de l’étranger », en réaction aux émeutes à la suite de la mort de Nahel Merzouk, tué par un policier à Nanterre. Le maire sort son téléphone pour prévenir le préfet qui interdit de nouvelles manifestations et avertir la police nationale. Il appelle aussi « des gens dont je savais qu’ils pouvaient avoir une influence sur eux, comme leurs employeurs ». Résultat immédiat selon l’élu : au-delà du premier soir, plus de contre-manifs. Autre exemple : l’an dernier, les services de la mairie obtiennent l’annulation, le jour même, d’un concert de rock néonazi, où les organisateurs avaient loué une salle en prétextant un anniversaire. « C’est sûr que comparé à l’ancien maire Les Républicains (LR) de la ville, c’est plus agréable d’avoir cette municipalité. Mais il ne faut pas en faire des tonnes non plus ! », tempère la militante locale.

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    Le maire Divers gauche de Chambéry, Thierry Repentin, dit vouloir « invisibiliser le plus possible » l'extrême droite dans sa ville. / Crédits : Caroline Varon

    Fermer les locaux fascistes

    À Rouen (76), l’action du maire socialiste Nicolas Mayer-Rossignol, a fait annuler une soirée du groupe identitaire, les Normaux, intitulée « Ausländer Raus » en allemand (« les étrangers dehors ») et prévue le 28 juin 2024 dans leur bar le Mora. Si une soirée du même type avait déjà été organisée en 2023 sans se faire remarquer, l’édile a cette fois obtenu son interdiction. « Mon action, c’est d’être complètement intransigeant et républicain », explique-t-il. « Exprimer des propos racistes ou d’incitation à la haine, ce sont des délits. » Comme à Lyon, Nicolas Mayer-Rossignol cherche à faire fermer leur local, conservé malgré la dissolution de Génération identitaire en 2021 :

    « La réponse juridique et technique n’est pas si simple, car cela dépend exclusivement de la préfecture. La mairie n’a la capacité d’intervenir qu’en cas d’insalubrité pour pouvoir fermer un bâtiment. »

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    Le maire socialiste de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, a fait annuler une soirée du groupe identitaire les Normaux. / Crédits : Caroline Varon

    « Les résistances ne sont pas le fait que du maire, cela ne peut pas marcher s’il n’y a que lui », appuie Olivier Bianchi à Clermont-Ferrand. « Quand on se mobilise, on mobilise aussi les forces de l’État. » En 2018, la ville a contraint le groupe néofasciste Bastion social à mettre la clef sous la porte. D’abord en se rapprochant du propriétaire, qui n’aurait pas su à qui il louait. Ensuite, par une action avec l’État sur l’hygiène et la salubrité des lieux. Et enfin avec une pression populaire et l’organisation de manifs. « On a un comité de vigilance contre l’extrême droite qui regroupe des dizaines d’associations », atteste l’élu. « C’est parce qu’il y a tout cet écosystème progressiste qu’on arrive à tenir le pavé. »

    Résultat : « Tout cela met la pression et ils ont fini par faire une erreur : Ils ont agressé des clermontois dans la rue. Ce qui a donné lieu à des plaintes et à une dynamique judiciaire. » Le 16 octobre 2018, trois jours avant le procès de trois de leurs membres pour violences aggravées en réunion, les militants du Bastion social ont annoncé fermer leur local « sous pressions policières, administratives et juridiques ». Ils sont condamnés à des peines de six mois avec sursis à trois ans de prison ferme.

    Complaisance avec Némésis

    Tous les maires ne sont pas autant engagés sur ces questions. « À Toulouse, l’extrême droite n’existe pas », déclarait Jean-Luc Moudenc (ex-LR) sur CNews en juin 2023. « La violence, elle est à l’extrême gauche. » Pourtant, dans la ville rose, la mouvance progresse. Début février, les hooligans néonazis de la Camside Tolosa ont visé un lieu associatif de la gauche. Quelques mois auparavant, c’était l’association d’aide aux migrants Utopia 56 qui était vandalisée par les identitaires de Furie Française. « Il y a un regain d’activisme », confirme Gaël Cérez, rédacteur en chef de Mediacités Toulouse, qui voit dans la posture de Moudenc une stratégie :

    « Il est plutôt à donner des gages à l’électorat d’extrême droite pour étouffer la montée d’une liste RN aux municipales. »

    Un épisode révélé par StreetPress et Mediacités l’a montré fin janvier dernier. Quand la mairie de Toulouse, via le directeur de cabinet de l’édile, a œuvré en coulisse au secours du collectif Némésis pour trouver une salle de conférence. Contacté, Jean-Luc Moudenc a décliné notre demande d’entretien.

    Devoir de mémoire

    À Besançon (25), la ville est moins complaisante avec Némésis. Surtout depuis que la maire écolo, Anne Vignot, a été directement visée par les activistes fémonationalistes. Le 8 janvier dernier, des militantes du groupuscule interrompent la cérémonie des vœux et accusent la maire d’être « complice » des viols commis par les étrangers. « Cela me donne l’occasion de pouvoir les traîner en justice », réagit Anne Vignot. « Il faut porter plainte à chaque fois. Je ne lâcherai pas. » Pour l’élue verte, c’est important de « ne pas banaliser ». « Les gens voient bien quand il y a des manifestations [des radicaux]. Ils savent que cela existe. »

    « On ne peut pas passer à côté de ce genre d’évènement sans expliquer pourquoi ça ne devrait pas exister. »

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    La maire écolo de Besançon, Anne Vignot, a été directement visée par Némésis. / Crédits : Caroline Varon

    Le musée de la Résistance et de la Déportation de la ville a d’ailleurs été rénové dans le but « d’appeler à la vigilance et de retracer l’histoire d’une société qui n’a pas mis les gardes fous nécessaires lors de la montée du fascisme ».

    Comme Anne Vignot, plusieurs maires déplacent le combat sur le terrain des idées. Depuis trois ans, Nicolas Mayer-Rossignol a relancé les fêtes en l’honneur de Jeanne d’Arc, morte à Rouen – une figure historique reprise par l’extrême droite : « C’est très important pour moi de dire que Jeanne d’Arc n’appartient pas au RN. » À Strasbourg, Chambéry ou Tours, on met l’accent sur des politiques publiques contre les discriminations et on rappelle le devoir de mémoire. Emmanuel Denis, le maire de l’Ouest, assure que « ce travail là est important » :

    « C’est ça qui fera en sorte de réduire l’audience de ces groupuscules. »

    (1) Edit le 18/03/25 à 20h43 : le paragraphe sur la tribune des élus d’opposition à Chambéry a été rajouté après la précision d’un lecteur.

    Contactés, les maires d’Angers Christophe Béchu (Horizons), de Rennes Nathalie Appéré (PS) et de Bordeaux Pierre Hurmic (EELV) ont décliné nos demandes d’interviews. Ceux de Montpellier Michaël Delafosse (PS), d’Albi Stéphanie Guiraud-Chaumeil (divers droite), d’Aix-en-Provence Sophie Joissains (UDI) et de Dijon Nathalie Koenders (PS) n’ont pas donné suite.

    Illustration de Une de Caroline Varon.