Ménilles (27), Normandie – Des enfants chantent en chœur une chanson traditionnelle palestinienne, devant deux musiciens venus pour eux. Derrière eux, les parents se regardent en riant. Durant trois jours, mi-février, des familles de rapatriés de Gaza se retrouvent dans un château mis à disposition par la mairie de Gennevilliers (92) via le collectif Urgence Palestine. Entre le traumatisme de la guerre et l’exil brutal, les familles n’avaient pas encore profité d’un aussi grand moment de répit. « Quand on va rentrer chacun de notre côté, ce ne sera pas bien », confie Hana (1), une mère émue.
Après l’attaque du Hamas sur Israël le 7 octobre 2023, puis le début des bombardements israéliens sur Gaza les jours suivants, la France a organisé les rapatriements de ses ressortissants et de leurs familles. Depuis novembre 2023, près de 200 Palestiniens sont arrivés sur le sol hexagonal. 148 d’entre eux ont été pris en charge par l’association France Horizon, mandatée par l’État français. Las, près de quatre mois plus tard, des familles et des militants pro-palestiniens dénoncent un accompagnement « déplorable ». StreetPress a recueilli des témoignages de rapatriés, appuyés par des documents, qui démontrent l’absence d’aides matérielles (2) et médicales à ces familles qui ont tout perdu. Logées dans des chambres parfois insalubres, nourris avec des distributions de repas périmées, ces ressortissants traumatisés ont parfois des proches encore coincés à Gaza. Ils pointent la responsabilité de l’État.
Des enfants chantent en chœur une chanson traditionnelle palestinienne. Devant deux musiciens venus pour eux. Derrière eux, les parents se regardent en riant. / Crédits : Nnoman Cadoret
Des repas périmés
Dans un hôtel Ibis d’Île-de-France où les rapatriés ont été transférés par France Horizon, la prise en charge est sommaire. Dans l’urgence de la guerre, les familles n’ont quasiment rien emporté avec eux. À l’aéroport, beaucoup de rapatriés, dont des enfants, ne portent que des habits d’été. « Il faisait froid ici, mais pas encore à Gaza », explique Tesnim (1), une juriste palestinienne. Selon elle, il n’y aurait eu « aucune proposition de fournir des habits ». De même pour les produits de première nécessité, de laits infantiles ou de couches. Seul un kit d’hygiène serait remis par France Horizon. Près d’une salle de réunion du sous-sol de l’hôtel Ibis, aménagée comme espace de repos pour les familles, une pièce déborde de sacs de vêtements et de chaussures. Aïda, militante franco-palestinienne, souffle :
« Ça a été fourni par les bénévoles, mais pas par l’État français. »
Là, trois repas par jour sont distribués à chacun. Mais pour la majorité des familles rencontrées, la qualité des repas laisse à désirer. « Ils ont fait appel à un prestataire avec des barquettes de plats déjà cuisinés. Mais il n’y avait pas de micro-ondes pour chauffer, pas de frigos pour les conserver », raconte Tesnim. Des barquettes sont même périmées depuis plusieurs jours. StreetPress a pris connaissance de certains plats donnés en novembre avec du poisson dont la date limite était dépassée de sept jours. Le 19 février, pour les familles du dernier rapatriement, des dizaines de boîtes en plastiques de crudités qui périmaient le 20 étaient remplies d’une moisissure blanche et plusieurs étaient gonflées. La juriste Tesnim s’agace :
« On n’est pas en train de réclamer de la nourriture de luxe, mais un peu de dignité. Ces gens sortent d’une zone de guerre. »
Dans un hôtel Ibis d’Île-de-France où les rapatriés ont été transférés par France Horizon, la prise en charge est sommaire. / Crédits : Nnoman Cadoret
Dans l’urgence de la guerre, les familles n’ont quasiment rien emporté avec eux. À l’aéroport, beaucoup de rapatriés, dont des enfants, ne portent que des habits d’été. « Il faisait froid ici, mais pas encore à Gaza », explique Tesnim (1). / Crédits : Nnoman Cadoret
Dans plusieurs échanges, consultés par StreetPress, la militante a fait remonter les problèmes de nourriture, notamment sur les barquettes périmées. Contacté, le directeur de la communication de France Horizon, Jean-Brice Muller, a d’abord assuré que les barquettes du 19 février avaient une date limite jusqu’en mai 2024. Ce qui est faux selon les constatations de StreetPress. Il a ensuite indiqué que « le plus probable » était que les barquettes aient été « exposées à température ambiante trop longtemps ». Pour les plats périmés de novembre, le directeur de la communication émet l’hypothèse que les plats n’étaient pas destinés aux rapatriés.
À la suite d’un autre rapatriement, des familles ont été transférées dans un foyer de Seine-Saint-Denis. « Une jeune fille a trouvé des cafards dans son assiette », explique Aïda. La mère de famille ne veut cependant pas « trop taper » sur l’association France Horizon. « Je ne pense pas que ce soit un manque de volonté de leur part, c’est plutôt un manque de budget », estime-t-elle :
« Le problème c’est l’État français et le manque de moyens qu’il met dans toutes les affaires sociales. »
La mère de famille ne veut cependant pas « trop taper » sur l’association France Horizon. « Je ne pense pas que ce soit un manque de volonté de leur part, c’est plutôt un manque de budget ». / Crédits : Nnoman Cadoret
Accompagnement psychologique
Ce vendredi 16 février, très tôt le matin, une cinquantaine de personnes sorties de Gaza arrivent encore à l’aéroport de Roissy (95). La cellule d’urgence médico-psychologique locale (CUMP 93) est présente et annonce que toutes « ont été accompagnées ». L’état de sept d’entre elles, dont trois enfants, a même nécessité « une prise en charge soutenue ». Les familles rapatriées depuis novembre ont toutes été témoins ou victimes des bombardements israéliens. Mais malgré ce dispositif de l’AP-HP, certains rencontrés par StreetPress n’ont pas vu de médecin depuis leur arrivée, une situation que les militants auraient fait remonter auprès de France Horizon.
Les activistes pro-palestiniens sont devenus leurs « principaux interlocuteurs ». « Une relation de confiance se crée pour qu’ils puissent se confier à nous », lâche Aïda, la Franco-Palestinienne. Le visage creusé par la fatigue, elle raconte avoir toutefois entendu « des récits terribles » et confie son sentiment d’impuissance :
« Nous ne sommes pas formés pour ça. »
Interrogée sur ces manques, France Horizon affirme que ses équipes à l’hôtel « assurent une première évaluation psycho-sociale » et qu’ils orientent vers « les acteurs de santé ». « Une évaluation psychologique nécessite forcément un psychologue et non pas un travailleur social », conteste Tesnim, qui soutient que les familles n’ont pas toujours été orientées.
Près d’une salle de réunion du sous-sol de l’hôtel Ibis, aménagée comme espace de repos pour les familles, une pièce déborde de sacs de vêtements et de chaussures. / Crédits : Nnoman Cadoret
Les Cada
Après le passage à l’hôtel ou au foyer, certaines familles franco-palestiniennes ont été envoyées par France Horizon dans des centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada). Alaa, jeune mère de 34 ans arrivée de Gaza seule avec sa fille Julia, sept ans, a été « choquée » par les conditions d’accueil dans son Cada. « L’appartement était trop sale. Le papier peint abîmé, beaucoup de taches au sol, les toilettes étaient dégueulasses, les meubles abîmés… », dresse cette dernière (3). Elle se souvient de ce soir où sa fille, en larmes, lui a dit :
« Si tu m’aimes, ne me laisse pas dormir ici. »
Alaa se réfugie chez une amie dans un autre centre d’accueil. Pendant dix jours, la jeune femme fait les allers-retours pour nettoyer l’appartement. Le directeur et le chef de service se seraient « moqués » d’elle : « Il nous a dit : “Vous êtes bien logés, beaucoup mieux que les SDF”. Je lui ai dit que je passais des heures à nettoyer. » Devant son amie, l’homme lui aurait alors répondu que si elle faisait « très bien le nettoyage », elle pouvait « venir nettoyer les autres appartements » :
« J’ai pleuré quand ils m’ont parlé de cette manière. Le directeur m’a dit : “On ne peut rien faire pour vous. Si ça ne vous plaît pas, vous pouvez retourner chez vous”. »
Alaa, jeune mère de 34 ans arrivée de Gaza seule avec sa fille Julia, sept ans, a été « choquée » par les conditions d’accueil dans son Cada. / Crédits : Nnoman Cadoret
La jeune mère est aussi restée là-bas deux semaines sans chauffage. Le chef de service lui aurait lancé : « Ça arrive en France. Vous pouvez chauffer de l’eau sur une casserole. » « Je n’avais pas de mot pour l’insulter », raconte amèrement Alaa. Une situation qui ne relève cette fois pas de France Horizon. « Les personnes dont le statut relève de la demande d’asile sont, après notre première prise en charge, orientées par l’OFII dans d’autres établissements », évacue le dircom Jean-Brice Muller. Des lieux gérés par d’autres associations.
« Leurs conditions d’accueil dans ces Cada reflètent les conditions des demandeurs d’asile en général », commente la juriste Tesnim. Elle renchérit : « “Ce n’est pas parce que vous venez de Gaza que vous êtes meilleurs que les autres”, a-t-on dit à certains. C’est horrible de dire que l’on maltraite les demandeurs d’asile, peu importe d’où ils viennent. »
À lire aussi : Les demandeurs d’asile abandonnés d’un centre social francilien
Les « approved-list »
Parmi les familles rapatriées de Gaza, beaucoup n’ont pas réussi à sortir au complet. C’est le cas de Sonia, jeune enseignante de 28 ans, qui a rejoint la France seule avec ses trois enfants, sans son mari. La famille a décidé de fuir sans rien emporter. « On s’est retournées à un moment et on a vu notre immeuble bombardé. On a couru pendant cinq kilomètres », se rappelle difficilement Sonia. Son garçon endormi sur son épaule, elle peine à cacher son émotion. Son mari est reparti quand il a vu que son frère n’était pas là. Il n’a pas pu les rejoindre et ne figure pas sur la liste des personnes autorisées à évacuer Gaza.
Quand Sonia raconte son exil, son fils s'endort sur son épaule. La famille a décidé de fuir sans rien emporter : « On s’est retournées à un moment et on a vu notre immeuble bombardé. On a couru pendant cinq kilomètres ». / Crédits : Nnoman Cadoret
C’est sur ces « approved-list » israéliennes, communiqué sur des groupes Facebook et Telegram par l’Égypte, que les Gazaouis savent qui est autorisé à sortir. Si leur nom apparaît, alors ils peuvent se rendre au poste-frontière de Rafah et se présenter aux autorités égyptiennes. Une des avocates qui instruit les dossiers des rapatriements informe à StreetPress qu’il reste un Français coincé à Gaza. Imad (1), né il y a 21 ans dans l’Hexagone, aurait dû traverser la frontière il y a quelques jours avec sa famille. Il n’a finalement pas été sur la liste. Malgré des relances de son avocate auprès du ministère des Affaires Étrangères, aucune réponse n’a été apportée sur ce cas.
Ce n’est pas seulement sur les décisions de rapatriement que le silence pèse du côté du Quai d’Orsay. Les militants qui viennent apporter leur aide aux familles rapatriées dressent le même constat. Consternée, Tesnim complète :
« On a communiqué une lettre au ministère pour relever tous les manquements dans la prise en charge médicale, l’éclatement géographique, le manque de première nécessité et même pour la régularisation administrative… Zéro réponse. »
Hamza, le fils de Sonia. / Crédits : Nnoman Cadoret
(1) Le prénom a été modifié.
(2) France Horizon assure fournir une « allocation de subsistance » aux rapatriés qui sont Français, le temps de « l’ouverture des droits ». Selon les informations de StreetPress, cette rémunération se fait sous forme de prêt à rembourser dès que la personne aura des ressources financières. France Horizon indique que l’allocation n’est à rembourser que si les droits sont rétroactifs et couvre « la période durant laquelle l’allocation de subsistance a été versée. Dans le cas contraire, elle n’est pas remboursable ».
(3) Edit le 26 février 2024 : Nous avons supprimé la mention de l’emploi d’Alaa, suite à la demande de cette dernière qui craignait de perdre son travail.
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