« Je ne suis pas l’élite de l’intervieweur politique mais justement, je veux qu’on puisse parler à tout le monde. » Dans un décor rose bonbon de sitcom des années 1990, Sam Zirah lance les hostilités. C’est la troisième édition d’Informel, ce 15 octobre 2024. Confortablement installé dans son fauteuil d’hôte, en chaussettes comme à la maison, l’animateur à la voix de velours est entouré des deux bords de l’arène politique. Sur les canapés, le socialiste Arthur Delaporte, l’assistant parlementaire du Rassemblement national (RN) Grégoire Houdon, le député de Génération.s Benjamin Lucas et le micro-influenceur identitaire « Le Bracq » s’apprêtent à s’écharper.
Sam Zirah a reçu Arthur Delaporte, Grégoire Houdon, Benjamin Lucas et Le Bracq. / Crédits : Pauline Gauer
Véritable institution dans le milieu de télé-réalité, le youtubeur aux deux millions d’abonnés est surtout connu pour En toute Intimité, son émission de témoignages, et Au jour d’aujourd’hui (AJA), un plateau sur l’actu des influenceurs. Le créateur de contenus passionné de mode a récemment emprunté un petit virage dans sa ligne édito. Sur TikTok et Instagram, des extraits d’interviews des élus de la France insoumise (LFI) Rima Hassan, Louis Boyard ou Sébastien Delogu ont fait leur entrée dans les « feeds » de ses followers. Une commu’ davantage accoutumée aux clashs entre candidats de la Villa des cœurs brisés qu’aux débats entre députés LFI.
Sam Zirah a jusqu'ici invité des personnalités plutôt de gauche. / Crédits : Pauline Gauer
La politique à la portée de tous
En septembre dernier, l’influenceur a même fait le pari du talk-show politique. Informel est un format qui détonne un peu dans l’ambiance médiatique droitière actuelle des chaînes d’info en continu. « Je suis parti du constat que les personnalités politiques ne sont pas écoutées sur les plateaux télé. Leur temps de parole n’est pas respecté, on ne leur laisse pas dérouler leur pensée », explique Sam Zirah dans sa loge, après le tournage. Le trentenaire, qui affirme « ne rien y connaître », estime que la politique devrait être à la portée de tout le monde :
« On est tous citoyens et ce n’est pas parce que je fais du divertissement que je ne suis pas légitime à poser des questions. »
C’est dans cet esprit qu’il décide d’interviewer la candidate aux élections européennes, élue quelques jours plus tard, Rima Hassan, le 31 mai 2024. Sam Zirah prépare ses questions comme jamais : « J’ai adoré l’effervescence qu’on a eue avec mon équipe ! » Le jour J, il interroge la juriste franco-palestinienne sur le cyberharcèlement. Son secret pour tenir ? « Le hammam. » La juriste aborde aussi des sujets qu’elle a rarement le temps de développer sur le petit écran, comme le racisme anti-palestinien.
Sam Zirah a grandi au sein d’une famille juive assez conservatrice. / Crédits : Pauline Gauer
Le mélange des genres fonctionne. Mais la vidéo provoque une brouille entre Sam Zirah et sa famille paternelle, très opposée aux idées de la députée LFI. Cette dernière n’adresse plus la parole au père de youtubeur :
« Mes parents n’y sont pour rien. Et quand bien même, on ne tourne pas le dos à quelqu’un pour une interview ! »
Oprah Winfrey comme modèle
Cela fait longtemps que l’influenceur, dont la bio est « l’avis des autres est la vie des autres », fait bien ce qu’il entend. Samuel Zirah, de son nom complet, grandit au sein d’une famille juive assez conservatrice. Adolescent, il apprend à rester discret sur son judaïsme tout en camouflant son homosexualité à ses proches. Dans son autobiographie Pour Devenir qui je suis (L’Harmattan, 2019), il raconte le harcèlement scolaire subi parce que trop « efféminé ». Jeune adulte, il monte les échelons d’une marque de prêt-à-porter de luxe et rêve secrètement de devenir une star. Mais lorsque sa hiérarchie tombe sur l’enregistrement d’un casting qu’il a passé pour une émission de télé-réalité, il est viré de son poste de directeur d’une boutique. Déterminé, il se réoriente dans l’audiovisuel et écrit des chroniques pour une petite chaîne du câble.
Sam Zirah est devenu le spécialiste incontournable de la télé-réalité. / Crédits : Pauline Gauer
Frustré de ne pas créer son propre contenu, le travailleur acharné finit par poser sa dém’. En 2015, il poste enfin sa première vidéo sur sa chaîne YouTube. Cadre feutré et écoute bienveillante, il s’inspire des Américaines Oprah Winfrey ou Ellen DeGeneres. Son ton prend le contre-pied du trash à la mode. Tout l’inverse d’un Jeremstar, blogueur en perte de vitesse adepte de la moquerie. « Il a pris une place laissée vacante et se présente à juste titre comme le spécialiste de l’influence et de la télé-réalité en France », estime Constance Vilanova, autrice de Vivre pour les caméras: Ce que la télé-réalité a fait de nous (JC Lattès, 2024).
Lutte contre les « influvoleurs »
La chaîne YouTube de « SZ » devient rapidement un passage obligé des stars montantes des programmes d’NRJ12 et W9, qui ont besoin de notoriété pour se reconvertir dans l’influence. Sept ans après ses débuts, sa rencontre avec l’élu socialiste Arthur Delaporte est déterminante pour franchir le cap des interviews politiques. En octobre 2022, dans un discours à l’Assemblée nationale sur les arnaques au CPF promues par les influenceurs, le député cite l’ex-candidate des Marseillais Maeva Ghennam . Le youtubeur, qui a déjà dénoncé les dérives des « influvoleurs » sur sa chaîne, décide d’inviter le socialiste. C’est dans son épisode d’ En toute intimité, en novembre 2022, que l’élu Parti socialiste annonce la « loi influenceurs », qui vise à réguler le secteur. Arthur Delaporte se rend sur le plateau d’AJA une fois la loi votée pour parler de certaines dérives sur TikTok. Le législateur estime que les émissions de Sam Zirah sont novatrices et comportent du positif comme du négatif :
« C’est une nouvelle manière de faire de l’infotainment, un peu comme quand Laurent Ruquier a commencé à inviter des politiques dans On n’est pas couchés sur France 2. »
Sam Zirah veut changer son image de youtubeur partisan. / Crédits : Pauline Gauer
Manon Aubry, Rokhaya Diallo et Louis Boyard
Un an plus tard, en octobre 2024, c’est Manon Aubry qui prend ses quartiers sur le sofa d’En toute intimité. La députée européenne insoumise commente sa coupe de cheveux, moquée sur les réseaux sociaux, mais aussi le sexisme du monde politique ou la dissolution d’Emmanuel Macron. D’autres élus du parti de Jean-Luc Mélenchon, comme le Marseillais Sébastien Delogu, l’antifasciste Raphaël Arnault, Alma Dufour, mais aussi la figure de l’antiracisme Rokhaya Diallo, se sont prêtés au jeu de l’interview cocooning. La spécialiste de la télé-réalité Constance Vilanova estime :
« C’est chouette de voir un spécialiste de la télé-réalité s’emparer de la politique. Il vulgarise ces sujets pour un public qui n’y est pas du tout habitué. »
Selon la journaliste, son but est de faire « une sorte d’anti-TPMP, un “Touche pas à mon poste !” mais avec des personnalités de gauche ». Elle fait référence à l’émission de C8, propriété du milliardaire Vincent Bolloré, où l’extrême droite a son rond de serviette. Drôle de symbole : le député LFI Louis Boyard, ancien chroniqueur chez TPMP, a pris part au deuxième Informel. En 2022, l’insoumis avait dénoncé, en plein direct, l’allégeance de Cyril Hanouna envers Vincent Bolloré. « Baba » l’avait insulté de tous les noms. À l’inverse, sur la chaîne YouTube de « SZ », l’élu de 26 ans a pu critiquer les milliardaires et débattre sur les violences policières, sans se faire crier dessus. « J’ai été agréablement surpris », se remémore-t-il :
« Sam Zirah cherche vraiment à comprendre. Il nous pousse à exprimer nos idées jusqu’au bout, contrairement aux chaînes de milliardaires ou du service public qui cherchent juste à caricaturer nos positions. »
De TPMP de gauche à TPMP tout court ?
Si ses premières émissions politiques mettent particulièrement la gauche en avant, Sam Zirah a un autre plan en tête. Il aimerait recevoir davantage d’élus de la droite et de l’extrême droite, pour se débarrasser de son image d’intervieweur partisan. Dans la vidéo « Pourquoi j’ai reçu que des membres de la LFI ? », diffusée en novembre, il explique : « Ce n’est pas de mon bon vouloir, on a lancé tout un tas d’invitations à tout le monde (…) Il se trouve que LFI au moment où j’enregistre ce chit chat ont été les seuls à répondre favorablement. » Auprès de StreetPress, l’influenceur détaille :
« La question s’est posée d’inviter l’extrême droite. On a brainstormé avec mon équipe et on s’est dit qu’il fallait le faire parce qu’ils ont des députés. »
C’est chose faite lors de ce troisième Informel. « Il faut aller prêcher la bonne parole partout, y compris là où elle ne reçoit pas le meilleur accueil », nous répond Grégoire Houdan du RN pour justifier sa présence. « 45 secondes et vous parlez déjà d’immigration ! », lui balance le député de gauche Benjamin Lucas dès le début du tournage, après une saillie xénopobe de l’assistant parlementaire. Le présentateur les fait réagir sur des sujets allant de la dette française au procès Mazan. Puis aborde un fait divers : à Marseille, Monoprix a mis des antivols sur des tablettes de chocolat. David Lebracq martèle : « Pourquoi ils n’ont pas mis d’antivol sur le saucisson ? » L’aspirant influenceur pro-Zemmour espère devenir viral en sous-entendant que les voleurs seraient musulmans. Cacophonie générale. Gardant son calme, comme toujours, Sam Zirah hausse le ton : « Pas en même temps ! Je suis désolé mais je suis maître des horloges. »
Sam Zirah alerte depuis des années sur les VSS dans la télé-réalité. / Crédits : Pauline Gauer
Un précurseur du #MeToo de la télé-réalité
La politisation du youtubeur n’est en réalité pas nouvelle. Engagé sur les questions de violences sexistes et sexuelles (VSS) et LGBTQI+, il a été aux avant-postes du #MeToo de la télé-réalité. En 2021, Mediapart révèle que le candidat Illan Castronovo est visé par deux plaintes pour viol. Pourtant, les candidates s’exprimaient depuis belle lurette sur la chaîne de Sam Zirah. « Cela fait des années qu’il y a des témoignages de candidates relatant des comportements inappropriés, que des jeunes femmes qui se disent victimes ne sont pas entendues », déclare-t-il à Libé. En 2019, il recevait déjà Nathanya, une des victimes d’Illan Castronovo. La jeune femme racontait des scènes de harcèlement dans Les Anges ou l’aggression sexuelle qu’elle aurait subie par Illan Castronovo dans Moundir et les apprentis aventuriers. Preuve qu’il pose les questions qui fâchent, les gros candidats encore sous contrat avec les boîtes de production ne viennent plus sur sa chaîne. Pour la journaliste Constance Villanova, autrice de l’enquête sur Illan Castronovo :
« AJA est une des rares émissions qui aborde le sujet pendant longtemps, de façon de plus en plus rigoureuse. Par exemple, il a compris qu’on ne peut pas prendre les VSS pour des scoops. »
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Une sensibilisation aux VSS qui ne l’empêche pas de recevoir les gros noms, quel que soit leur pedigree ou leur discours. Comme AD Laurent, le créateur de contenu et candidat de télé-réalité reconverti dans le porno, mis en cause par deux plaintes pour viol. En novembre, ce dernier a pu allègrement s’épancher sur le « tribunal médiatique » et promouvoir sa future marque de préservatifs.
En septembre, Sam Zirah a fait le pari du talk-show politique. / Crédits : Pauline Gauer
Le modèle économique de la chaîne de Sam Zirah repose avant tout sur le buzz. Mettre un pied dans l’actu politique est aussi un moyen d’étendre son audience. Le chef d’entreprise ne souhaite pas s’arrêter là. Avec sa boîte de prod’ 2ZS Production, il salarie déjà trois personnes et bosse avec une poignée de techniciens qui lui assurent une image quali. Ce « workaholic » assumé ambitionne d’embaucher 20 à 30 salariés et d’obtenir une quotidienne à la télévision ou sur une plateforme de streaming : « Je veux créer un véritable cercle vertueux et je veux qu’on arrête de se dire que c’est soit les réseaux, soit la télévision ! » Après le tournage, dans sa loge douillette, le touche-à-tout observe :
« Les politiques, ce sont des candidats télé-réalité comme les autres. »
Photos de Pauline Gauer.
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