En ce moment

    27/11/2024

    « On mélange les luttes, les genres et on tord les normes »

    Anticapitaliste, suante et révoltée : bienvenue dans la scène émergente du hardcore punk féministe

    Par Romane Lizée , Pauline Gauer

    La scène hardcore punk voit fleurir des collectifs et des groupes féministes déterminés à sortir la contre-culture de ses codes masculinistes.

    Paris, 11e arrondissement, 4 novembre 2024 – Le pschitt d’une canette de bière résonne. Zitoun se hisse sur scène et pose sa boisson à ses chaussures, des Doc’. « Cette chanson s’appelle “Don’t ever…” » À travers sa frange, ses yeux barrés par un large trait de khôl noir sont braqués sur la foule. Les premiers accords d’une basse vibrent. Une guitare électrique s’élance. Zitoun aspire l’air moite et recrache à pleins poumons : « Don’t ever touch me again ! » Le scream – cri de rage du hardcore – est accueilli par un hurlement général.

    Dans les années 2010, les Etats-Unis ont vu éclore des groupes de hardcore punk féministes comme G.L.O.S.S., Gel ou See you space cowboy. Le mouvement émerge maintenant en Europe. À Paris, une poignée de queer bands, des groupes de musiques qui se revendiquent engagés sur les causes féministes et LGBTQIA+, organisent des concerts qui rassemblent jusqu’à 250 personnes dans des squats, des bars underground ou des salles associatives. S’y mélangent des contre-cultures punk, anticapitalistes, féministes et queer. Crêtes, cuirs et chaînes côtoient le street wear typique du hardcore : sweats à capuche, coupe-vents et TN.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/1_25.png

    Zitoun a monté le groupe Throlz avec Ziggy à 16 ans. / Crédits : Pauline Gauer

    Certaines portent le A cerclé pour « Anarchie » ou des « Fuck gender norms » – contre les normes de genres. Car plus qu’un style musical, le hardcore est un mouvement social, « plus radical encore que le punk », résume Ziggy, guitariste des Trholz, le groupe où chante Zitoun. « On rejette le consumérisme, l’individualisme, le capitalisme… Certains se revendiquent végans, voire straight edge (anti-tabac, alcool et toute autre drogue). » Quant à la chanteuse, en digne héritière des groupes américains punk rock féministes des années 1990, elle s’est tatouée un « riot grrrls » sur le bras. Et explique :

    « On est le mini Lego sur lequel marche le patriarcat et qui lui défonce le petit orteil. On a besoin de vomir notre colère sur les gens. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/2_27.png

    Le groupe toulousain Throlz fait des tournées dans toute l'Europe. / Crédits : Pauline Gauer

    Ni gore, ni sang, ni armes

    « La scène hardcore est dominée depuis sa création dans les années 1980 par les hommes cisgenres (le genre assigné à la naissance) blancs et hétéro », constate Sam, 26 ans, casquette léopard à clous enfoncée sur la tête, qui fait partie des Murènes. Le collectif monté en 2022 est à l’origine de la soirée organisée dans la cave voûtée de La Mécanique ondulatoire, à Paris. « Les Murènes sont uniquement des meufs et des personnes queer. On voulait un nom agressif et déter, en mode méfiez-vous de l’eau qui dort », lâche Léni, 24 ans.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/3_25.png

    Zitoun est la screameuse - chanteuse - du groupe Throlz. / Crédits : Pauline Gauer

    Ses membres se sont croisés dans des festivals, des manifs ou des cours de boxe, et se sont retrouvés autour d’une même idée : rendre la contre-culture Hardcore accessible aux minorités de genre. Ce même soir, à Châtelet, a lieu un autre concert de hardcore. « Que des mecs à l’affiche », raille Alex, 26 ans, qui porte des couettes et un maillot de foot à l’effigie du groupe de trash métal brésilien Sepultura. L’artiste, qui a monté le groupe Spiruline début 2023 avec Noé, est intarissable sur l’histoire du hardcore :

    « Le hardcore actuel dérive du métal, avec des codes très mascu et une romantisation de la violence : des pochettes d’albums gore avec du sang, des armes, la bagarre… »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/copie_de_copie_de_copie_de_sans_titre_1.png

    Tate a écrit dans le dos de Heather "Yes all men". / Crédits : Pauline Gauer

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/copie_de_copie_de_copie_de_sans_titre.png

    Le groupe parisien Spiruline s'est formé en janvier 2023. / Crédits : Pauline Gauer

    Pour le show de ce soir, Heather s’est mis du scotch noir sur les seins et a peint un « yes all men » au rouge à lèvres dans son dos. « C’est un message de soutien à toutes les victimes d’agressions liées au genre. Pour la journée du droit à l’avortement, j’avais écrit : “Stay out of my utérus.” » Avec Tate, à la batterie, le duo a monté Dealing for Dimes à 16 ans, puis a été rejoint par Raphaël et Grégoire. À côté de la musique, Heather enchaîne les petits jobs. Quant à Tate iel se rémunère avec la danse burlesque et le strip tease :

    « Dans la vie, on est hors normes : homos, non-binaires, avec des taffs précaires, on ne nous entend pas. Sur scène, on se sent écoutées. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/6_14.png

    Raphaël, Tate, Heather et Grégoire de Dealing for Dimes. / Crédits : Pauline Gauer

    « On vire les gros bourrins »

    La cave exhale maintenant une odeur de sueur. Zitoun descend au milieu du public qui lui fait une haie d’honneur, se jette à terre, dos contre sol, yeux exorbités. Autour, les corps commencent à pogoter et à « mosher » timidement. Le « mosh pit » est la danse du hardcore, qui consiste à porter des coups dans le vide. « On lâche prise ! », se réjouit Casey, cheveux rouges en bataille, qui, entre deux bousculades, vérifie si son piercing à l’arcade est toujours en place. Alex s’amuse :

    « Les gens révisent chez eux et, quand quelqu’un arrive à caler un spin kick (mouvement de taekwondo), ça part direct sur les réseaux et tout le monde commente ! »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/10_6.png

    Lisa et Hugo sont deux amateurs de hardcore punk, mais pas que. / Crédits : Pauline Gauer

    La piste de danse est souvent un lieu d’exclusion. « Les mecs prennent tout l’espace », s’énerve Alex. « Je me suis déjà fait casser le nez. J’ai dit à tout le monde : “C’est pas grave, c’est le jeu”. J’ai gagné 50 points de respect. C’est pas normal ça. » Noé, mèche décolorée et chemise à carreaux, enchaîne sur une autre anecdote :

    « Un jour, des mecs ont fait des bruits d’orgasme pendant que je moshais. »

    Les Murènes essaient d’installer une « safe place » dans le hardcore, sans rogner sur la frénésie des concerts. « On aime se défouler », tranche Léni. « Quand j’étais ado, j’allais au stade avec mon père. Le PSG, c’est un peu la même ambiance festive et brutale. » Dans leurs soirées, Les Murènes portent un signe distinctif pour être visible et pouvoir recevoir les témoignages de comportements inappropriés. Un de leur combat, c’est le torse nu, explique Ange, 20 ans :

    « Les seins étant très sexualisés, on ne se sent pas à l’aise de les montrer. Donc on dit aux gars de remettre leurs gros t-shirts qui puent ! Et on vire les gros bourrins. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/4_22.png

    La scène hardcore punk a émergé dans les années 1980. / Crédits : Pauline Gauer

    Des tournées « à la shlag »

    Fin de concert pour Zitoun, qui finit en soutif sur scène. Elle s’empresse d’aller griller une clope dans la loge, une petite pièce où il est impossible de marcher sans écraser du matos ou des chips. Les murs, noirs et rouges, grouillent de slogans gribouillés, dont : « Moins de fafs, plus de foufs ». Quelques miettes gisent sur une table : les Murènes ont cuisiné des gâteaux pour les artistes. « Dans toutes les scènes contestataires, il a toujours fallu faire par soi-même », estime Ezra, bassiste de Trholz. Chaque concert est l’occasion de présenter ses zines, stickers, affiches faites à la main. « Ziggy sérigraphie les t-shirts et moi je découpe les patchs », présente Ezra, en inclinant sa casquette sur laquelle est collé un écusson « Support your local queer band ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/8_9.png

    La loge des artistes. / Crédits : Pauline Gauer

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/9_5.png

    Chaque concert est l’occasion de présenter ses zines, stickers et affiches. / Crédits : Pauline Gauer

    « Les mecs passent leur temps à dire qu’ils étaient là avant nous et s’emparent des rôles techniques », s’agace Zitoun. « Du coup on se sent moins légitimes. Mais on n’a pas besoin de grand chose pour monter un groupe ! » La screameuse a monté Trholz avec Ziggy il y a six ans pour la boum du lycée, après avoir lu le livre de référence sur le mouvement punk féministe Riot grrrls de Manon Labry. Aujourd’hui, la petite clique fait des tournées « à la shlag », dans des lieux alternatifs, de Berlin à Barcelone. Le groupe part avec son camion surnommé Balthazar, raconte Ezra :

    « Ici on apprend sur le tas. Je ne saurais même pas dire où est le Do sur ma basse ! »

    Au comptoir, Lisa, 27 ans, sourcils rasés, strass aux coins des yeux et haut troué, se jette dans les bras de Tate. Les deux acolytes se sont rencontrées à une soirée punk queer quelques semaines plus tôt. Lisa, chanteuse de Blastfem, a demandé à Tate de performer en drag sur un morceau. « J’ai débarqué sur scène en string, collant résille et cuissardes rouges », raconte Tate, en déroulant les photos sur son téléphone. Lisa commente :

    « C’est ça aussi la scène hardcore : on mélange les luttes, les genres et on tord les normes dans tous les sens. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/7_13.png

    Les Throlz marchent dans les pas des "Riot grrrls", un mouvement punk féministe des années 1990. / Crédits : Pauline Gauer

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER