Lorsqu’un journaliste souhaite contacter l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), il doit écrire à l’adresse mail presseademe[at]havas.fr. Un nom de domaine qui a de quoi surprendre. Havas est une filiale du groupe Vivendi, la multinationale de Vincent Bolloré. Réputée pour ses liens parfois troubles avec le pouvoir, l’agence de pub a fait un hold-up sur la com’ de cet organisme public qui dépend du ministère de la Transition écologique. Grâce à ce contrat, Havas empocherait au moins 800.000 euros de l’Ademe par an. Contactée par StreetPress, Valérie Martin, la cheffe du service mobilisation citoyenne et médias de l’Ademe, assure que la décision de collaborer avec Havas s’est faite « selon les règles en vigueur pour les marchés publics » et « dans le respect de ces procédures ».
Média-training made in Havas
En interne, ce mélange des genres fait grincer des dents une poignée de salariés de l’agence dédiée à la protection de la planète. Cécile (1), employée depuis plusieurs années au sein de l’Ademe, lâche, sous couvert d’anonymat :
« Ce qui me dérange, c’est que Havas est un mastodonte qui n’a aucun intérêt à ce que le monde change. Avec la montée en puissance de l’empire Bolloré, c’est encore pire. »
Comme la plupart de ses collègues, Cécile a toujours été au courant des missions déléguées à ce prestataire. Sans vraiment y prêter attention. Ce n’est que l’année dernière qu’elle réalise qu’elles peuvent poser problème. Le 28 novembre 2024, à l’occasion du « Black Friday », le boss d’Amazon France, Frédéric Duval, et le patron de l’Ademe, Sylvain Waserman, sont reçus sur le plateau de France Inter.
Le VRP du géant de la vente en ligne déroule sans véritable contradiction un discours sur les bienfaits écologiques du e-commerce. Le président de l’Ademe lui répond que ces méga-soldes sont l’occasion « de se poser les bonnes questions sur notre acte d’achat » et conseille des boucles WhatsApp entre voisins pour mutualiser sa perceuse. Sa proposition : l’Ademe pourrait aider Amazon à rajouter un filtre pour classer les produits selon leur impact environnemental.
« On était plusieurs à être choqués », se souvient Cécile. « À aucun moment il n’a remis en cause le modèle d’Amazon. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il était bienveillant, mais pas loin. » Selon des informations confirmées par un document que StreetPress a pu consulter, le président de l’Ademe a reçu un media-training made in Havas pour préparer son intervention radiophonique. Sylvain Waserman n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Une pub « éco-conçue »
S’il y a bien un accomplissement dont la direction de l’Ademe est fière, c’est celle du « Dévendeur ». Dans ces quatre spots diffusés du 14 novembre au 4 décembre 2023, ce dernier recommande au client de faire un geste pour la planète en louant sa ponceuse ou en faisant réparer son lave-linge. Une campagne « éco-conçue » par Havas Paris, comme l’indique son site. Les équipes auraient utilisé le « Havas Carbon Impact Calculator » pour calculer l’empreinte carbone de chaque étape de la fabrication des vidéos. Sur la chaîne YouTube de l’agence parisienne, elle avoisine des spots de pub produits pour LVMH ou KFC. L’employée blasée, Cécile, souffle :
« On se gargarise comme si c’était la campagne la plus agressive de l’Ademe depuis sa création. Quand on prend un peu de recul, c’est juste une campagne qui dit qu’il ne faut pas acheter deux fois le même polo. »
Selon nos informations, la campagne du « Dévendeur » fait partie d’un marché public remporté par Havas en 2022 dont la facture s’élève à 3,25 millions d’euros pour quatre ans. Soit 812.500 euros par an.
Havas aime aussi l’Office de la biodiversité
La collab’ entre le sixième groupe publicitaire mondial et l’Ademe remonte au moins à 2013. L’agence environnementale, où le mot « décroissance » serait banni des éléments de langage, a renouvelé son contrat avec Havas en 2018, pour quatre années supplémentaires. L’appel d’offres, qui a mis en concurrence quatre agences, indique que le contrat inclut « le suivi opérationnel des relations avec les médias (presse et réseaux sociaux) de l’Ademe […] ainsi qu’un accompagnement stratégique pour la diffusion de ses messages ». Le montant du marché public, accessible en ligne, s’élevait alors à 2,3 millions d’euros.
Rebelote en 2022. Cette fois-ci, la collaboration se fait avec l’Agence verte, une agence de pub « experte en communication d’intérêt général » rachetée par Havas un an plus tôt, en 2021. Grâce à cette acquisition, le géant de la pub renforce son image d’agence « responsable »… et récupère dans la foulée un autre marché public labellisé écologie.
En effet, avant d’être avalée par Vivendi, l’Agence verte gérait la communication de l’Office français de la biodiversité (OFB), un organisme qui est sous la tutelle des ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture. Elle a de nouveau remporté l’appel d’offres de 2022 de l’OFB, cette fois-ci sous le giron de Havas. Selon les informations obtenues par StreetPress, la facture s’élève à 4,36 millions d’euros pour quatre ans. Contacté, l’OFB n’a pas donné suite.
Lutter contre le greenwashing avec l’agence du greenwashing
Le choix de l’Ademe interroge d’autant plus que l’une de ses missions est la lutte contre le greenwashing dans la publicité D’un côté, l’agence environnementale entièrement financée par des fonds publics met en place des kits à destination des publicitaires et établit des rapports sur les pratiques du secteur. De l’autre, elle travaille avec Havas qui est l’un des acteurs principaux du lobbying contre la régulation de la publicité.
Le 27 novembre 2020, Havas a organisé « les états généraux de la communication » qui a réuni des professionnels du secteur et des décideurs, comme la ministre Aurore Bergé. Comme l’a raconté Reporterre, ce grand raout est une réponse à la Convention citoyenne pour le climat, lancée par Emmanuel Macron, qui a proposé l’interdiction des publicités sur les produits très polluants. Les discussions visent à convaincre le gouvernement qu’interdire coûterait trop cher et que des engagements vertueux sont préférables. Le jour-même, dans le Figaro, la présidente Exécutive d’Havas Worldwide Mercedes Evas se félicite d’être « parvenue à convertir les politiques ». En 2021, le projet de loi climat est vidé de quasiment toutes les mesures concernant la publicité… Mais les campagnes « éco-conçues » sont nées.
Relancée concernant les problématiques qui pourraient découler de la collaboration entre Havas et l’Ademe, la directrice de la com’ de l’agence environnementale Valérie Martin n’a pas répondu.
(1) Le prénom a été modifié.
Illustration de Une de Timothée Moreau.