« C’est votre avenir que vous engagez là, vous en avez conscience ? », interroge la juge du tribunal de Paris à Pierre C., 19 ans. Avec Louis N., 21 ans, ils comparaissent tous les deux ce 7 mai 2024. Le second est venu avec son père, le premier est aux côtés de sa famille et se tient droit. Ils sont tous les deux en costume et avec des chemises bien repassées. Pour un peu, ils pourraient presque être là pour un entretien d’embauche.
Mais ils doivent répondre de leur violence dans une attaque raciste qui a eu lieu il y a plus d’un an, le 20 avril 2023, devant le lycée Victor Hugo à Paris, où ils étaient accompagnés d’une quinzaine de membres de la division Martel. Une bande d’extrême droite violente et raciste, qui a été dissoute par le gouvernement le 6 décembre dernier, et sur laquelle StreetPress a enquêté. En face, peu de victimes de l’attaque. Un jeune homme et sa mère sont sur les bancs des parties civiles. Avec la LDH, ils sont représentés par maître Arié Alimi.
« Un penalty max par arabe »
L’histoire commence avec un jeune franco-russe, Alexandre H., victime d’un canular téléphonique qui se transforme en menaces par d’anciennes connaissances d’un autre lycée. Il rameute ses amis Alexandre E., Maxim W. et Noé H., des jeunes néonazis de 16 et 17 ans qui se sont radicalisés en ligne comme StreetPress l’avait raconté en janvier. Mais Alexandre H. fait aussi appel aux bagarreurs de la division Martel, comme Pierre C. et Louis N. Une discussion spéciale est créée pour l’attaque du lycée Victor Hugo intitulée « Aneries de l’après-midi ». Elle rassemble 16 personnes. Avant l’expédition punitive, un cadre de la « DM » y fait le point :
« Zéro couteau, matos léger (gants coqués, petite gazeuse, ceinture, matraque) […] Surtout, on ne les tue pas (1 pénalty max par arabe). »
Si certains estiment qu’il ne faut pas « laisser des handicaps à vie », le reste de la conversation oscille entre le trolling nazi et les armes à utiliser. « Pour Hitler et pour JMLP [Jean-Marie Le Pen] », pianote l’un. Un autre fait marrer tout le monde quand il poste la pancarte qu’il a confectionnée avec écrit : « Jambon Hooligan ». Pierre C. est aussi dans ce groupe. À la barre, pourtant, il ment et indique qu’il n’avait pas connaissance de cette pancarte et ce qui était « marqué dessus ».
Viser les « sarrasins »
Avant l’agression, le créateur du canal Antoine C. prévient les troupes :
« On trolle mais quand faut taper, vous le faites tous sans excuses. »
Le 20 avril, à 17h40, l’expédition punitive se prépare dans une rue à côté du lycée. Les militants d’extrême droite « enfilent leurs cagoules et gants coqués ». Ils ont également des gazeuses et des béquilles. « Imagine, ils sont plus que nous ? », lâche quand même un des membres, inquiet, sur une vidéo consultée par StreetPress. Lors de leur charge devant le lycée, ils hurlent : « Jambon hooligans ! Paris hooligans ! » En face, il n’y a qu’une poignée de jeunes qui ont entre 13 et 16 ans. « Les malheureux sarrasins plantés là se prennent des coups et du gazage en règle », retranscrit ensuite Pierre C. à ses potes de la Martel et du Gud sur un de leur canal Telegram commun. Interrogé sur ce point au procès, ses explications sont à peine audibles :
« Je voulais utiliser le vocabulaire de la bataille de Poitiers c’est pour ça que j’utilise les termes francs et sarrasins. »
Quand d’autres néonazis utilisent des gazeuses lacrymogènes, ce dernier semble donner un coup de bouteille à une victime tandis que Louis N. use pour sa part d’une béquille. Après les faits, selon Pierre, les militants auraient « engueulé » leur seul comparse qui aurait crié les « sales bougnoules » entendus sur la vidéo. Les jeunes néonazis se sont surtout empressés de publier une photo commune sur les réseaux pour « revendiquer » leur action, à la façon des groupes hooligans. Tant d’éléments qui vont servir aux enquêteurs.
Des militants bien insérés
Les différents militants se font toper le 13 juin 2023 à 6h du matin par les policiers. Pierre C. et Louis N. ont du mal à nier leur implication : leur téléphone et leur chambre à coucher sont remplis d’éléments qui les associent à la division Martel. Des stickers sont retrouvés à côté du lit de Louis, tandis que le téléphone de Pierre contient un message vocal. Il y explique que la division Martel est « un groupe politique de rue qui va chercher la baston » :
« Ce n’est pas comme le Gud où il y a des tracts. C’est purement des actions coup de poing, c’est plutôt marqué extrême droite. »
Dans une galerie photo de son téléphone, Louis N. a lui un dossier nommé « Fafland » avec 111 photos d’individus masqués ou floutés, tenant parfois des drapeaux de la division Martel. Mais il est parfaitement intégré dans les rouages de l’extrême droite classique : il participe par exemple aux meetings de Reconquête depuis la dernière élection présidentielle et tracte pour le parti zemmouriste ou le Gud. À un de ses potes, il assure écouter Zemmour « presque tous les soirs sur Itélé [Cnews] » : « C’est un pur génie ce mec, il a tout compris. » Toutes les paniques morales de la droite et de l’extrême droite semblent se mélanger dans son esprit avec un même coupable à chaque fois : les Arabes. « C’est la seule minorité qui représente 80% des problèmes », croit-il savoir. L’ouvrage Tintin au Congo fait polémique auprès d’associations antiracistes ? Pour Louis N., ce sont les « bougnoules » qui voudraient « censurer Tintin, soit disant raciste ». Des critiques américains pointent le colonialisme de la musique ? Les « bougnoules » veulent censurer le solflège « parce qu’une note blanche vaut deux noires ».
Un racisme bien ancré
Chez lui, les enquêteurs retrouvent une cible avec 29 balles d’armes à feu. Il confie faire du tir sportif à Auteuil et confie aux agents son ambition : devenir policier et même passer « le concours de commissaire ». Comme Pierre C., il est socialement bien inséré. La mère de Louis N. est directrice à l’Institut Servier. Celle de Pierre est cadre en charge des droits humains au sein d’un grand groupe pétrolier français. Dans la maison familiale de 140m2 avec trois étages et dix pièces, les pandores retrouvent un couteau à cran d’arrêt. « Moi je suis un patriote. Mais pas nationaliste. Je n’ai pas la haine des autres », dit-il en garde à vue. Mais sur son téléphone, les policiers remarquent des photos de Pierre qui fait des saluts nazis. « C’était dans le cadre privé, il n’y avait pas de dimension politique c’était juste pour choquer », évacue-t-il à la juge.
Les agents ont-ils également découvert le groupe Telegram de la division Martel, nommé « Touche pas à mon WP », pour White Power, le « pouvoir blanc ». Chacun y a son surnom. Celui de Pierre est « Bigeard », du nom du général français qui a combattu en Indochine et en Algérie – mais il peut être surnommé « Chinois » par ses comparses en raison de ses origines laotiennes. Louis N. répond lui au blaze de Dalton.
Quelques semaines après la ratonnade de Victor Hugo, Pierre alpague un autre membre de la Martel. « Pourquoi on ne sort pas la vidéo des Arabes ? », lui lance-t-il dans un audio :
« Ça nous ferait des recrues. Parce que des actions comme ça, des Français qui niquent des Maghrébins ce n’est pas tous les jours qu’il y en a. Les patriotes qui voient ça, ils bandent dessus. »
Toujours des militants racistes
À l’audience, ils font pourtant beaucoup moins les fanfarons. Fini les phrases comme « Cagoule noire, copain blanc » ou « White Charia » sur leur profil Instagram, à les écouter, ils ont été pris dans un engrenage et ne voulaient pas faire cette agression. Pierre a la voix qui tremble. Il bégaie parfois, ne parle pas fort, les juges lui demandent à plusieurs reprises de hausser le volume. La procureure de la République souligne sa « stupidité » tout comme celle de Louis N. « Ce sont deux jeunes aussi crétins l’un que l’autre. » Pour elle, le racisme de l’acte ne fait « pas l’ombre d’un doute » et requiert contre eux 300 heures de travaux d’intérêts généraux et six mois de prison avec sursis si les TIG ne sont pas effectués. Alors que l’avocat de la Licra souligne une « stratégie d’évitement » des deux hommes tout au long du procès, Maître Alimi, lui, tonne :
« Ils savaient pourquoi ils venaient : pour se faire des arabes qui auraient pu être tués. Voilà la réalité. »
Pour rassurer les juges, l’avocat de Louis N. explique dans sa plaidoirie que le vingtenaire a des amis qui ont des « origines » pour prouver que son client n’est pas raciste. Des gens aux noms de familles pas « Français », qui certifient que le militant n’est « pas raciste ». Même stratégie pour le conseil de Pierre C., qui souligne sa « petite-amie juive » et qui serait allé à Auschwitz avec sa famille. « Je regrette profondément, j’étais en quête d’aventure », lâche Pierre à la fin de l’audience. L’affaire aurait d’ailleurs « ruiné [son] projet de vie », ne pouvant poursuivre sa formation à Saint-Cyr.
La menace d’une sentence judiciaire ou les révélations médiatiques par StreetPress ou Mediapart de son rôle dans la division Martel n’ont pourtant absolument pas empêché Pierre de continuer à fréquenter l’extrême droite. StreetPress a révélé quelques mois plus tard qu’il a fait partie d’un groupe nommé le Gnom Crew. Il y envoyait des vidéos de lui traitant plusieurs de ses camarades de classe de « sale nègre », à ses potes qui ont participé à la descente raciste de Romans-sur-Isère. Pierre n’y était pas : sa mère l’avait puni après ses dernières incartades. Mais le 31 décembre, il était avec d’autres membres de la division Martel pour fêter le Nouvel An. Évidemment, ils ont fait des saluts fascistes sur les photos. Le délibéré sera rendu le 4 juin prochain.
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