« On veut montrer aux gens qu’ils ne savent pas qui on est, ni ce qu’on fait. Le but du documentaire, c’est d’en apprendre aux gens sur notre quotidien », explique Carmina à StreetPress. Les voix assurées, casque audio sur les oreilles, elle et Prune nous répondent dans leur espace de travail habituel : devant leur webcam, chez elles, seules. Elles exercent la profession de travailleuse du sexe (TDS) depuis dix ans. Prune est créatrice de contenu pour adultes sur plusieurs plateformes. Carmina est réalisatrice et performeuse de porno alternatif. À deux, elles ont réalisé le film documentaire, « TTDS », sur le quotidien des télétravailleuses du sexe, disponible à prix libre au grand public.
C’est en 2021 au cours d’une discussion, qu’elles arrivent à un constat : le Covid a plongé de nombreuses personnes dans une grande précarité, bloquées chez elles, sans travail. Carmina et Prune voient le nombre de TTDS augmenter. Une situation dont se sont emparés les journalistes, « pas toujours de la bonne manière », d’après elles. « Quand on parle de notre métier, c’est soit alarmiste, soit voyeuriste, soit misérabiliste », déplorent les deux femmes, qui font allusion notamment à un documentaire France Télévisions sur le porno amateur. « On s’est dit qu’il fallait que ce soit nous qui parlions de notre métier pour rester fidèle à la réalité, en réalisant nous-mêmes un docu ! », se remémorent-elles. Entretien.
Carmina et Prune ont commencé le documentaire il y a trois ans. Pour ce projet, elles se sont entourées uniquement de femmes et de personnes LGBT+. / Crédits : Marie Sarah Piron pour le SNAP Festival
On remarque que la profession de TDS en ligne implique une solitude permanente, c’était important pour vous de montrer cette réalité ?
Prune : C’est rare de trouver des personnes avec qui tu peux parler simplement de ta journée de travail. Quand on rencontre de nouvelles personnes, on se demande si on doit s’inventer un métier pour être plus acceptée. Des fois, je dis que je suis graphiste. Ça ne veut pas dire qu’on a honte de ce qu’on fait, on est très fières, mais on n’a pas envie de se faire rejeter donc on se crée un personnage. La production de ce documentaire a vraiment été un moment de catharsis, c’était super de pouvoir discuter de nos métiers et de nos ressentis avec d’autres, ça nous a fait du bien.
Carmina : Là par exemple, je suis dans mon appart, seule, devant ma webcam. Notre vie c’est beaucoup ça, et dans la vie en général, on est toujours un peu à l’écart du reste du monde. Les gens ne comprennent pas ce qu’on vit alors ils mettent une distance. Mais sur internet, on se sent beaucoup moins seules depuis quelques années. Il y a une vraie sororité qui s’est développée qui n’était pas là à nos débuts.
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Dans votre documentaire, vous laissez beaucoup de place au quotidien de ces TDS en ligne, pourquoi avoir fait ce choix ?
Carmina : Parce que les gens n’imaginent pas les compétences et le travail que mobilise ce métier. On est cheffe d’entreprise, photographe, ingé-son, vidéaste, monteuse, secrétaire… C’était important de montrer toutes les facettes de notre métier.
Prune : Tu dois savoir gérer ton image, créer ton contenu, l’éditer, le faire valoir… Sans parler de travail du sexe, ça représente déjà un temps considérable de travail. Les gens pensent qu’on rentre dans ce métier on gagne immédiatement 10.000 euros par mois, pas du tout ! Ça peut prendre des années, comme ça peut ne jamais arriver et ça implique d’être précaire parfois pendant longtemps.
Carmina et Prune, créatrices de contenu pour adultes, ont décidé de raconter leur quotidien et leur métier à travers un documentaire via le portrait de cinq travailleuses du sexe en ligne. / Crédits : TTDS
Dans le film, il y a plusieurs références au féminisme. Faire ce métier, c’est aussi un acte militant ?
Prune : J’ai mis du temps à prendre conscience de ça. Au début, il n’y avait pas forcément une volonté militante, je ne savais même pas ce qu’était le féminisme à l’époque. Mais avec les années, tu commences à comprendre pourquoi tu t’es mise à faire ça. Du jour au lendemain, tu dis : « C’est moi qui décide de ce que je fais avec mon corps. » Et tu utilises la culpabilité qu’on a mis sur toi toute ta vie pour faire quelque chose qui te plaît. Sans le savoir, oui, c’était une décision carrément féministe !
Carmina : S’il n’y avait pas eu le travail du sexe, je pense que je ne serais pas devenue féministe à ce point. Si je regarde ma vie avant, j’étais coincée dans un couple hétéronormé, dans un monde patriarcal et je n’en avais pas du tout conscience. Je subissais ma vie plutôt que de la vivre. J’ai compris ce que voulait dire être une femme en commençant le TDS.
Ce qu’on ressent dans le docu, c’est la liberté de ces TTDS vis-à-vis de leur métier. Une liberté possible dans la mesure où les plateformes ne suppriment pas vos comptes…
Prune : On se retrouve coincées parce qu’on est obligées d’avoir une présence en ligne, sur des plateformes qui ne veulent pas de nous. On doit faire de gros efforts pour exister en créant des comptes à l’infini mais c’est extrêmement chronophage et éreintant.
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Carmina : On a toutes des comptes supprimés régulièrement. C’est terrible parce qu’on nous empêche de travailler, alors que ce qu’on fait est légal, on paie les cotisations à l’Urssaf ! On est pénalisées car on ne peut pas travailler comme tout le monde.
« On s’est dit qu’il fallait que ce soit nous qui parlions de notre métier pour rester fidèle à la réalité, en réalisant nous-mêmes un docu ! » / Crédits : Prune
Vous avez cherché des cinémas pour projeter votre documentaire et la première réponse que vous avez reçue était : « Nous ne souhaitons pas projeter, même en séance privée, sur ce type de sujet. »
Prune : Là on parlait vraiment d’une projection privée et même pour ça, ils ne veulent pas. Ce n’est pas un film pornographique avec des actes sexuels, il n’y a même pas de nudité frontale, c’est un documentaire ! En plus, on l’a vraiment pensé pour qu’il soit vu par le plus grand nombre et par des gens qui ne connaissent pas du tout le sujet.
Carmina : La réponse est décevante mais pas surprenante. Après ça, il y a plein de gens qui ont réagi en disant : « Mais pourquoi vous ne contactez pas tel squat, tel bar associatif ou tel endroit communautaire LGBTQI+ ? » On sait très bien que ces lieux nous accepteront et bien sûr qu’on fera ces projections, mais il faut essayer de sortir des groupes qui sont déjà derrière nous. On cherche à faire un peu de bruit et à être reçues de la même manière que n’importe quel autre documentaire !
Image de Une issue du documentaire TTDS.
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