Aminata presse le pas dans les labyrinthes des métros souterrains de la Seine-Saint-Denis. Ce soir, l’Ivoirienne de 25 ans et son bébé ne dormiront pas dehors : une chambre d’hôtel s’est libérée à Saint-Ouen (93), l’a prévenu le 115. À la hâte, la jeune femme fait zigzaguer sa poussette entre les passants. Son fils de 2 ans, Mohamed, s’amuse à lancer son camion miniature aux pieds d’inconnus. Elle sort de sa sacoche quelques morceaux d’attiéké grillé qu’elle glisse dans la bouche du bambin, avant de porter la poussette à bout de bras. La promesse de ces trois mois de répit la gonfle de force. Même si la solution n’est pas pérenne.
Aminata presse le pas dans les labyrinthes des métros souterrains de la Seine-Saint-Denis. / Crédits : Pauline Gauer
Son fils de 2 ans, Mohamed, s’amuse à lancer son camion miniature aux pieds d’inconnus. / Crédits : Pauline Gauer
Elle installe son enfant sur le strapontin. Le regard d’Aminata est fuyant, toujours tourné vers l’horizon. Chaque émotion se dissimule derrière un doux sourire, l’air de dire qu’elle en a vu d’autres. Depuis le mois de juin, la mère célibataire survit dans les rues de Saint-Denis (93), en proie au froid, à la faim et aux tentatives d’agressions. Chaque soir, elle attend les coups de 23h pour installer son lit de camp sous le parvis des urgences de l’hôpital Delafontaine, aux côtés d’une vingtaine de femmes exilées à la rue. Avant la fin de la trêve hivernale, elles pouvaient s’allonger au chaud, dans le hall d’entrée de la maternité. La direction de l’hôpital a depuis décidé de fermer ses portes aux visiteuses nocturnes. C’est à ce moment-là qu’avec ses compagnons d’infortune, elles se sont organisées en collectif pour affronter la mairie de Saint-Denis. Avec Aminata en porte-voix.
Le regard d’Aminata est fuyant, toujours tourné vers l’horizon. Chaque émotion se dissimule derrière un doux sourire, l’air de dire qu’elle en a vu d’autres. / Crédits : Pauline Gauer
Près de 450 personnes dorment dans les rues du département de Seine-Saint-Denis. Parmi elles, 37 femmes seules ou enceintes. / Crédits : Pauline Gauer
Fuir toujours
Arrivée dans l’escalier exigu de l’hôtel du 115, Aminata a un mauvais pressentiment. Une odeur de tabac et d’humidité se diffuse dans les couloirs surveillés par des caméras de vidéo-surveillance. Sur le pas-de-porte de la chambre, des cafards ont été piétinés par les anciens occupants. Aminata inspire profondément, comme une boxeuse avant d’entrer dans le ring. Elle s’était juré ne pas remettre les pieds en Seine-Saint-Denis. Trois ans plus tôt, elle y avait passé ses premières nuits en France, dans le froid d’une gare improvisée en refuge pour les exclus du Samu social. Par chance, l’administration l’avait rapidement envoyé en Corrèze, dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile, planté entre une maison de retraite et l’église du village. L’Ivoirienne a enfin trouvé, dans cette bourgade de 800 habitants, une forme de quiétude après trois longues années d’exil de la Côte d’Ivoire jusqu’en Libye.
Ce soir, l’Ivoirienne de 25 ans et son bébé ne dormiront pas dehors : une chambre d’hôtel s’est libérée à Saint-Ouen. / Crédits : Pauline Gauer
Aminata a fui les mutilations sexuelles imposées par ses pairs et guidées par des croyances d’une autre époque, raconte-t-elle. Sa paix en Nouvelle-Aquitaine est de courte durée. L’homme avec qui elle a pris le large serait devenu son bourreau. Pour protéger son nourrisson, Aminata prépare une nouvelle fuite :
« Il me menaçait, j’ai dû partir me cacher. »
La demande d’asile du couple est rejetée. Ils sont expulsés. Aminata aurait attrapé la balle au bond pour sauter dans un train avec son enfant. La jeune mère tente sa chance à Poitiers et obtient une place dans une halte de nuit. Son fils entre à la crèche. Mais son ex-mari la traque et finit par retrouver sa trace. Aminata n’a pas le choix : elle reprend la route. Elle n’a qu’une seule amie vers qui se tourner, à Saint-Denis. Retour à la case départ.
La promesse de ces trois mois de répit gonfle de force Aminata, même si la solution n’est pas pérenne. / Crédits : Pauline Gauer
Le goût de la révolte
Dans le square Condroyer, la jeune Ivoirienne profite des après-midi ensoleillés pour retrouver ses camarades de galère pendant que les enfants se chamaillent pour les balançoires. Le groupe de femmes partage les bonnes adresses et le garba chaud, ce plat traditionnel ivoirien qui associe la semoule de manioc avec des tranches de thon salé. Depuis le début de l’été, des sages-femmes croisées chaque matin devant l’hôpital se joignent à elles le vendredi. Au fil des discussions, l’idée germe de créer un collectif de lutte :
« L’hiver commence à arriver. La France doit protéger nos enfants ! »
Aminata est devenue la porte-voix des femmes à la rue de Saint-Denis. / Crédits : Pauline Gauer
Elles l’appelleront Combat pour l’hébergement. Aminata est naturellement désignée pour porter la voix des femmes, des mères et des enfants abandonnés par l’État. Son bon Français et son sang-froid font l’unanimité. Elle refuse d’abord d’assumer cette responsabilité, craignant de ne pas être à la hauteur. Mais la frénésie du premier rassemblement la convainc de se laisser porter par le groupe. L’exilée, qui n’avait jamais participé à une manifestation il y a encore un mois, se retrouve en tête de cortège, haut parleur à la main. Au désespoir, Aminata a préféré la révolte, ne serait-ce que pour montrer l’exemple à son fils.
Aminata est naturellement désignée pour porter la voix des femmes, des mères et des enfants abandonnés par l'État. / Crédits : Pauline Gauer
Alors cet été, elle a battu le pavé devant la mairie de Saint-Denis. Sa voix timide se mue en cri rassembleur. Ses sourcils se froncent et ses bras se lèvent :
« On en a marre de la rue, du froid, et des puces ! »
Aminata et ses camarades se sont organisées en collectif pour affronter la mairie de Saint-Denis. / Crédits : Pauline Gauer
Les caméras se braquent sur la jeune femme qui n’oublie jamais de présenter son bébé Mohamed aux journalistes. Il est avec elle à chaque mobilisation. Vendredi dernier, elle a été invitée à rencontrer le cabinet du maire PS de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, avec une délégation du collectif.
Cet été Aminata a battu le pavé devant la mairie de Saint-Denis. / Crédits : Pauline Gauer
Aminata a aussi été invitée à rencontrer le cabinet du maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin. / Crédits : Pauline Gauer
La jeune femme n’a pas oublié de rappeler que, d’après un rapport datant de septembre dernier de l’Interlogement 93, l’association gestionnaire du 115, autour de 450 personnes dorment dans les rues du département de Seine-Saint-Denis. Parmi elles, 37 femmes seules ou enceintes. Aminata espérait un engagement de la municipalité. Peut-être même la réquisition d’un bâtiment vacant. Il n’en sera rien. Du côté de l’État, Aurore Berger, ministre sortante chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, a promis aux femmes du collectif « des solutions concrètes, dans les meilleurs délais ». Mais Aminata ne se fait pas d’illusions : ce n’est que le début d’un long combat.
Aminata ne se fait pas d’illusions : ce n’est que le début d’un long combat. / Crédits : Pauline Gauer
Article de Jérémie Rochas, avec les photos de Pauline Gauer.
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