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    18/03/2024

    Après un mois et demi de grève, la direction leur a proposé 13 centimes d’augmentation

    Les employés d'un call-center pour retraités du groupe Colisée en grève

    Par Lisa Noyal , Jeanne Actu

    Onela est une succursale de Colisée, quatrième gestionnaire français d’Ehpad. Pendant un mois et demi, presque l’entièreté des salariés du service d’astreinte a été en grève. Ils dénoncent un rythme de travail infernal et un manque de reconnaissance.

    Paris, 11 mars 2024 – Sous la pluie du 16ème arrondissement, trois salariés distribuent des tracts aux passants devant l’agence d’Onela, spécialisée dans le service à la personne depuis 2006. « Regardez le slogan là-haut. Ils disent “Bien chez soi”, nous on dit “Mal au travail” », pointe du doigt Bridgette. La jeune femme travaille dans le service d’astreinte de la marque depuis 2021. Le 1er février, elle et 12 autres de ses collègues se sont mis en grève pour la première fois de leur vie. « Je ne savais même pas ce que c’était une grève », remarque à moitié amusée Bridgette. La quinzaine de salariés du service, tous très jeunes, sortent à peine des études.

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    Le 11 mars 2024, les salariés en grève d'Onela manifestent devant l'agence de la société dans le 16ème arrondissement. « Regardez le slogan là-haut. Ils disent “Bien chez soi”, nous on dit “Mal au travail” », pointe du doigt Bridgette. / Crédits : Jeanne Actu

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    Après huit rendez-vous entre les salariés et la direction dont un à l’Assemblée nationale avec le député LFI Eric Coquerel, les retours sont très mitigés pour les salariés d'Onela. / Crédits : Jeanne Actu

    Tous les soirs, les week-ends et les jours fériés, la petite équipe prend les appels des personnes âgées ou handicapées et ceux des auxiliaires de vie lorsque les 65 agences d’Onela sont fermées. Certains weekends, cela pourrait monter à 2.500 coups de téléphone selon les salariés, plus de 150 sonneries par personne ! Un rôle essentiel pour la marque Onela, qui dépend du groupe Colisée, quatrième gestionnaire de maisons de retraite et d’Ehpad en France. Car sans les employés d’astreinte, la société serait considérée comme une entreprise de ménage et non de soin (1). Quitte à malmener les travailleurs qui dénoncent une augmentation de la charge de travail depuis quelques mois. Et pour cause, certains employés ont appris en avril dernier qu’ils bossaient également pour deux autres entités de Colisée depuis plusieurs années. Marisa, responsable adjointe du service et salariée de l’entreprise depuis près de 12 ans, résume :

    « Ça rajoute une charge, mais on n’a pas plus de sous. »

    « On n’est pas qu’un call-center »

    Les employés concernés dénoncent depuis un travail dissimulé alors que la direction assure être dans les clous via l’existence d’une convention entre les trois sociétés de Colisée. Pour régler la mire, une structure administrative nommée Onela Services a été créée début 2024. Elle regroupe les services initialement rattachés aux trois sociétés. « Il n’y a aucun changement pour les salariés », assure pourtant Laurent Ostrowsky, directeur général d’Onela. Pour les employés, il y a un réel manque de considération et de reconnaissance du travail de l’astreinte de la part de l’entreprise. « On ne peut pas traiter les personnes de cette manière, c’est une question de respect », affirme Marisa la responsable adjointe du service :

    « On a l’impression qu’on est délaissé au niveau de la société… »

    En plus de trouver des remplaçants aux auxiliaires de vie absentes, les salariés sont également amenés à gérer des décès ou des agressions verbales ou physiques par téléphone. « Une des choses qui m’a choquée en arrivant, c’est la gestion des cas graves », relate Nora (2), entrée dans l’entreprise à 21 ans. La jeune femme raconte :

    « Une fois, une auxiliaire a appelé, elle avait quelqu’un qui est décédé dans ses bras. C’est mon premier travail, je n’ai jamais été formée à ça… »

    Sa collègue Bridgette confirme : « On n’est pas qu’un call-center, on est aussi des psys. » Elle ajoute avoir demandé à plusieurs reprises des formations pour apprendre à gérer les situations difficiles. Selon le directeur général d’Onela, cette demande n’aurait pas été remontée jusqu’à présent. Ce dernier accepte néanmoins le principe de mettre en place un accompagnement en gestion de conflit.

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    Le 15 mars dernier, les salariés d'Onela comme Marisa (à droite) ont été manifester devant le siège du groupe Colisée, quatrième gestionnaire de maisons de retraite et d’Ehpad en France, à Paris. Les grévistes ont été soutenus par la député LFI Rachel Keke. / Crédits : Jeanne Actu

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    Pour communiquer, les salariés ont un slogan : « Salarié mais pas esclave. » « Pendant un entretien, le directeur nous a lu la définition du mot esclave », se souvient Bridgette qui souligne que tous les grévistes sont racisés. / Crédits : Jeanne Actu

    Autre point de discorde : les salariés comme Marisa pointent le manque de place. « On est beaucoup trop nombreux dans les locaux, certains sont obligés d’être en télétravail », relate-t-elle. La responsable adjointe explique que la quinzaine de membres d’astreinte partagent des locaux de 65m2, soit quatre mètres carrés par salarié pour travailler. Des conditions niées par le directeur général du groupe, qui assure ne pas avoir « de sureffectif dans les locaux » du fait des « shifts » et du télétravail qui ne serait pas forcé.

    « Le directeur nous a lu la définition du mot esclave »

    Pour communiquer sur leur situation, les salariés diffusent depuis des semaines des affiches sur les réseaux sociaux avec une personne noire bâillonnée et le slogan : « Salarié mais pas esclave. » La communication a entraîné un épisode déroutant. « Pendant un entretien, le directeur nous a lu la définition du mot esclave », se souvient Bridgette, ébahie, qui souligne que tous les salariés de l’astreinte sont racisés. Interrogé sur ce sujet, Laurent Ostrowsky confirme avoir donné la définition pour expliquer que ce n’était pas la situation dans laquelle se trouve l’équipe. « La responsable de ce service, c’est compliqué de la qualifier d’esclavagiste ou de raciste, je ne vous fais pas de dessin… La numéro deux du service, pareil, elle ne vient pas de Corrèze », remarque plein d’assurance le directeur. Et de continuer avec aplomb qu’il n’y aurait aucun racisme à Onela :

    « C’est en dehors des valeurs qui nous animent, il suffit d’aller sur le plateau et de voir, c’est un exemple de diversité et c’est une magnifique richesse… »

    Après huit rendez-vous entre les salariés et la direction dont un à l’Assemblée nationale avec le député LFI Eric Coquerel – l’élue LFI Rachel Keke est également venue soutenir les grévistes – et la mise en place d’une conciliation avec l’inspection du travail, les retours sont mitigés. « On a demandé 17 euros de l’heure, on savait que c’était haut, mais on était prêt à négocier », détaille Bridgette. Selon elle, la première proposition d’augmentation formulée par la direction était de 3%. « C’est indécent, ce sont les salariés avec les pires situations ! », réagit la syndicaliste Béatrice Bell, du syndicat Sud-Service à la personne. Douche froide supplémentaire au rendez-vous suivant, où les salariés ont eu une proposition d’augmentation de 1,13% sur leur salaire horaire de 12 euros. Soit… 13 centimes brut en plus. « 13 centimes au bout d’un mois de grève c’est… osé », s’étonne un salarié de l’astreinte depuis cinq ans. Le presque trentenaire oscille entre colère et dépit face à la situation :

    « Ils ne se rendent pas compte de l’importance de ce service… »

    (1) Selon un rapport datant de décembre 2023, demandé par le CSE sur la nouvelle organisation de l’entreprise, « l’objet du service “astreinte” est bien d’assurer une continuité de service conformément aux exigences législatives pour maintenir l’agrément. Si tel est bien le cas, le texte semble clair, pour remplir sa mission la société Onela Services doit également être détentrice de l’agrément. »

    (2) Le prénom a été modifié.

    Article de Lisa Noyal, photos de Jeanne Actu.

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