Le Mesnil-Amelot (77) – « C’est un quatre-étoiles ce Cra ! », assure le directeur adjoint du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (77). À 100 mètres des pistes de l’aéroport de Paris Charles de Gaulle, 165 sans-papiers (sur 240 places) sont enfermés dans ce lieu de privation de liberté, dans l’attente d’une décision de justice, qui arbitrera leur expulsion ou non du territoire français. « Ah oui vraiment ? », demande le député écologiste Benjamin Lucas, qui exerce son droit de visite parlementaire, ce jeudi 2 mars. Il est accompagné de cinq journalistes, dont l’AFP, Libération ou StreetPress. « Oui, le Cra de Vincennes est pire ». Pourtant, Zaiki, un jeune algérien aux yeux bleus, trouve les lieux « très sales ». Les poubelles débordent de déchets devant les cellules des retenus. Des mégots parsèment le sol de la pièce de télévision, où trois bancs en métal font office de canapé. Mais surtout, une odeur de renfermé se dégage des pièces de vie.
Le député écologiste Benjamin Lucas exerce son droit de visite parlementaire et vient échanger avec des retenus du Cra du Mesnil-Amelot, ce jeudi 2 mars. / Crédits : Pauline Gauer
Dans le bâtiment 5 du Cra, la poubelle déborde et est rarement vidée. / Crédits : Pauline Gauer
« Un mois ici, c’est comme un an en détention », déclare Mohamed, un jeune Guinéen de 23 ans, passé par la prison de Fleury-Mérogis (91). Il est arrivé en France à l’âge de 13 ans et a fait sa scolarité dans des établissements de banlieue parisienne. « On n’a pas de plaques pour cuisiner, pas d’activités, tout est sale », continue-t-il. Des retenus affirment qu’il y aurait des puces de lit et des rongeurs. Hakim (1), un Algérien retenu depuis un mois embraye :
« La femme de ménage passe tous les jours mais nettoie toute l’aile avec la même serpillère. »
« Il n’y a même pas d’oreillers dans les lits », relève le député Benjamin Lucas. L’élu a été alerté des conditions de vie indignes par la Cimade. Depuis le 2 février, l’association d’aide aux personnes vulnérables, seule organisation présente sur place, a décidé d’utiliser son droit de retrait pour dénoncer les « conditions d’enfermement indignes des personnes » et la « très nette dégradation des conditions d’exercice de ses missions ». Le 16 février, le Défenseur des droits s’est même auto-saisi après avoir constaté les nombreuses révélations de l’association.
Depuis le 2 février, la Cimade, seule organisation présente sur place, s'est retirée pour dénoncer les « conditions d'enfermement indignes » et la « très nette dégradation des conditions d'exercice de ses missions ». Ce 2 mars, elle manifeste devant le Cra. / Crédits : Pauline Gauer
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Unité médicale défaillante
« Vous avez vu ma photo à mon arrivée ? J’ai perdu 20 kilos depuis que je suis ici », s’indigne un autre Mohamed, de Libye cette fois. Les retenus défilent et dénoncent le manque de nourriture. « Il n’y a pas de porc, mais ce n’est pas halal. Du coup, je ne mange pas », confie Zaiki. Lors de la visite du réfectoire, la police aux frontières assure pourtant que les repas sont conçus par une diététicienne et que les retenus ne manquent de rien. « Même l’eau est sale », renchérit Dribzan en pointant le point d’eau rouillé et vétuste. Dribzan explique que les douches sont tout le temps bouchées. Des crachats parsèment les lavabos.
« Un mois ici, c’est comme un an en détention », déclare Mohamed, un jeune Guinéen de 23 ans, passé par la prison de Fleury-Mérogis et qui est en France depuis dix ans. / Crédits : Pauline Gauer
Le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot est à 100 mètres des pistes de l’aéroport de Paris Charles de Gaulle. 165 sans-papiers (sur 240 places) sont enfermés dans ce lieu de privation de liberté. / Crédits : Pauline Gauer
Dans la cour, de nombreux retenus se plaignent de problèmes dentaires. « Ça fait deux mois qu’il n’y a pas de dentistes ! », s’emporte Ibrahim en montrant ses dents brunies. Dans le couloir orangeâtre qui mène à l’infirmerie, Ibrahim s’agite. Il a besoin de ses médicaments, mais il y a trop de monde chez l’infirmière. Juste derrière lui, Saïd semble mal en point. « J’ai le VIH depuis l’année dernière », explique le Libyen.
« On dit que la région est un désert médical, mais je vous assure que ce n’est pas le cas ici », tente la cadre de santé, à son arrivée dans la salle de soins. Personne ne rit. « On est le seul Cra de France à avoir un psychiatre », reprend-elle. Il n’est toutefois présent qu’une fois par semaine, hors vacances. Dans un article de StreetPress publié en septembre, la Cimade expliquait pourtant que « beaucoup de retenus présentaient des pathologies psychiatriques lourdes à porter ». La cadre de santé confirme :
« 60% des consultations sont orientées vers les soins psychiatriques. »
Ayoub a quitté la Libye en bateau en passant par l'Italie, et se serait fait tirer sur les jambes. Enfermé depuis mardi au Mesnil-Amelot, il ne devrait pas tarder à y être renvoyé. / Crédits : Pauline Gauer
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Violences en rétention
Brusquement, dans la cour, deux hommes se mettent à se battre et à s’insulter. Un policier en civil, qui officie comme médiateur, part leur parler pour les calmer. « On n’a plus de cigarettes, c’est la bagarre tous les jours », raconte Idriss. L’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), seul habilité à vendre du tabac sur place, n’est pas venu au Cra depuis six jours. Selon le policier en civil, « trois quarts des violences au Cra se passent entre retenus ».
Mamri est arrivé au Cra il y a dix jours. « Je ne comprenais pas pourquoi j’étais là. J’ai eu une crise, j’ai crié, et six policiers sont venus dans ma chambre et m’ont donné des coups de pied. » Il a perdu trois dents. / Crédits : Pauline Gauer
Une des cellules d'isolement du Cra et ses toilettes, sales. / Crédits : Pauline Gauer
Zaiki raconte également des violences des policiers : « Ils nous tapent, la matraque, le gaz lacrymogène, tous les jours. » Mamri aurait même perdu plusieurs dents lors d’un passage à tabac des policiers. Il montre sa gencive édentée :
« Je suis arrivé il y a dix jours. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais là. J’ai eu une crise, j’ai crié, et six policiers sont venus dans ma chambre et m’ont donné des coups de pied. »
Pour Mohamed, tous les policiers ne sont pas violents « mais certains le sont, et racistes aussi ». « On est traités comme des chiens ici ! » s’énerve Ibrahim. « Ils ne respectent pas la loi, c’est la France ça ?! » De son côté, le directeur adjoint déplore une baisse des effectifs. Ce qui « augmente les tensions entre les retenus et les policiers », explique un autre policier.
Droits bafoués ?
Dans le Cra I, celui des femmes, on trouve des toboggans et des jeux d’extérieur pour les enfants. L’enfermement de nourrissons et de mineurs est une des particularités du Mesnil-Amelot, environ une dizaine de Cra ont la même politique en France métropolitaine. La CEDH a pourtant condamné neuf fois la France pour l’enfermement d’enfants en centre de rétention, les jugeant indignes. Quand StreetPress demande s’il y a encore des enfants ici, le policier assure, souriant : « Bientôt, il n’y en aura plus ! ». Un Cra est spécialement dédié aux femmes. « On a une vingtaine de femmes en ce moment pour 32 places », explique la responsable de cette aile du Mesnil-Amelot. La plupart sont d’origine roumaine, donc ressortissantes européennes. Elles risquent pourtant l’expulsion.
Radija, 18 ans, est dans la zone femme du Cra. « On a une vingtaine de femmes en ce moment pour 32 places ». La plupart sont d’origine roumaine, donc ressortissantes européennes. Elles risquent pourtant l’expulsion. / Crédits : Pauline Gauer
L’enfermement de nourrissons et de mineurs est une des particularités du Mesnil-Amelot. Une dizaine de Cra ont la même politique en France métropolitaine. La CEDH a pourtant condamné neuf fois la France pour l’enfermement d’enfants en centre de rétention. / Crédits : Pauline Gauer
Reste le cas très particulier d’Idriss, le doyen de l’endroit, âgé de 28 ans. L’Ivoirien est enfermé au Mesnil-Amelot depuis cinq mois. La loi interdit pourtant de dépasser les 90 jours de rétention, soit trois mois. « La juge m’a dit de faire appel. Je suis allé voir les policiers, mais ils n’ont rien fait », explique-t-il :
« Il n’y a plus la Cimade, je ne sais pas comment faire. »
Idriss est enfermé au Mesnil-Amelot depuis cinq mois. La loi interdit pourtant de dépasser les 90 jours de rétention, soit trois mois. « La juge m’a dit de faire appel. Je suis allé voir les policiers, mais ils n’ont rien fait. » / Crédits : Pauline Gauer
(1) Le prénom a été changé.
Photo de Une : Mohamed, Libyen, a perdu 20 kilos depuis son arrivée au Cra.
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