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    12/02/2025

    « Je n'aurais jamais imaginé que le concert de Pitbull puisse être une safe place »

    Pitbull, icône pop culture malgré lui

    Par Elisa Verbeke

    Pitbull, star kitsch des années 2010, n’est pas à la retraite : avec ses millions de streams, Mr Worldwide a rempli l’Accor Hotel Arena de Paris en quelques secondes. À l’occasion de ce concert le 23 février, les fans racontent la folie Pitbull.

    « Aller au concert de Pitbull est une consécration pour tous les gens qui l’écoutent depuis leur enfance », affirme Gabriel, créateur de contenu pop culture sur TikTok. La star des années 2010, connue pour ses morceaux festifs et son masculinisme exacerbé, se produit à l’Accor Hotel Arena de Paris ce 23 février. Les 20.000 places se sont arrachées en moins d’une minute. Avec ses 57 millions d’auditeurs mensuels, l’Américain d’origine cubaine ne semble pas avoir pris une ride. Rachel, une archiviste de 25 ans, brûle de hâte. Elle ne connaît pas si bien la discographie de l’artiste – comme le reste des personnes interrogées – mais a adoré l’écouter dans sa pré-adolescence :

    « Pitbull a trop la tête d’une icône LGBT. C’est très pop culture, pas comme Bad Bunny [rappeur portoricain] qui fait plus sérieux. »

    « C’est un show que je verrai au moins une fois dans ma vie », s’enthousiasme Lily, 22 ans. Malgré plusieurs concerts prévus cette année, notamment de k-pop, c’est celui dont elle a le plus hâte. L’étudiante en art a d’ailleurs la ferme intention de s’y rendre déguisée en… Pitbull.

    Au-delà de la tendance « nostalgie des années 2000 » – qui peut s’illustrer avec le retour de la Star Ac’ ou de la tournée de la chanteuse Lorie –, l’artiste incarne dans la pop culture un personnage hyper masculin que le public se réapproprie volontiers, d’après le journaliste Hanneli Victoire :

    « Pitbull cristallise le côté jouissif de la transgression du bon goût. »

    Icône queer ?

    Avec ses lunettes de soleil aviateur, son bouc bien taillé et son crâne chauve, le tout dans le même costume-cravate noir depuis 2009, difficile de croire que Pitbull soit resté si populaire. « Il ne chante pas particulièrement bien, et ses textes sont loin d’être profonds », soulève d’ailleurs Gabriel. « Mais ce n’est pas pour ça qu’on l’écoute. » Pour Rachel, l’archiviste, il a su conquérir une communauté gay et lesbienne, comme elle :

    « Son côté macho est tellement poussé à l’excès, presque caricatural, que ça devient camp. »

    Le camp est un style et une esthétique fondés sur l’exagération, le grotesque, la provocation et l’ironie, associées à la sous-culture gay et queer. Alors tout est bon pour incarner le flambeur américain des années 2000, « qui arrive en boîte en décapotable, avec des femmes et du champagne », contextualise Hanneli Victoire, journaliste sur les tendances socio-culturelles (1). « On a complètement neutralisé le premier degré sexiste du personnage. Il n’est pas féministe, mais c’est devenu comique et c’est un kiff d’aller à son concert déguisé », explique-t-il.

    Crâne chauve à 8 euros

    C’est la première fois que Mathieu, un francilien de 21 ans, se déguise pour un concert :

    « Il est hors de question que je touche à ma chevelure ! Alors j’ai acheté un faux crâne sur Amazon – 8 euros – et des lunettes de gros kéké. »

    Il a découvert Pitbull à l’âge de 11 ans, avec la choré du jeu vidéo Just Dance 2014 sorti pour la console Wii, sur le titre Timber, en featuring avec Ke$ha. « J’ai un liner marron avec lequel je vais me faire sa moustache. » Charlène, 21 ans et étudiante à Dijon, a déjà pu tester le déguisement à Halloween. « On a fait fureur, les gens éclataient de rire et prenaient des photos avec nous. » Pour l’Accor Hotel Arena, elle espère avoir un faux crâne de meilleure qualité.

    « J’ai entendu que pendant ses concerts une caméra se balade dans le public et cible les crânes chauves », s’enthousiasme Laurie, une Albigeoise de 23 ans. Elle a même commandé un micro pour parfaire son look de Pitbull qu’elle portera le 23 février. Pour réaliser cet objectif, la jeune a déboursé près de 250 euros. « 89 euros la place de concert. 79 euros de billets de train. 62 euros l’hôtel, divisé par deux avec mon amie. Et 10 euros pour le crâne chauve sur Amazon », énumère celle qui habite à 680 kilomètres de Paris :

    « Franchement, ça vaut le coup. »

    Si beaucoup n’y voient que de l’humour, Hanneli Victoire observe également une réappropriation des genres par le déguisement, faisant de Pitbull une « icône drag king ». Pour lui, toutes ces femmes et personnes queers qui se rendent déguisées au concert, « c’est une subversion du genre », une réappropriation des codes « too much » :

    « Pitbull est devenu une figure iconique, qui traduit comment les jeunes filles ont évolué sur les questions de masculinité et de féminité en la détournant en drag. »

    Mr Worldwide

    Ce phénomène s’observe facilement sur les réseaux. Il suffit de scroller un peu sur TikTok pour tomber sur des vidéos virales, dans lesquelles des centaines de femmes, coiffées de faux crânes chauves et vêtues de costards et lunettes aviateurs, défilent vers les portes de ses shows. Léa, sur une de ces vidéos TikTok, commente :

    « Je n’aurais jamais imaginé que le concert de Pitbull puisse être une safe place à ce point. »

    Sur Internet, des memes avec Mr. Worlwide, surnom qu’il s’est lui-même attribué, sont légions, notamment celui où il porte la terre au creux de sa main, reprenant le style graphique de ses plus belles années de la décennie 2010. Sur YouTube, les mashups de ses musiques comptabilisent plus de vues que ses interviews. Il existe aussi des déclinaisons déco kitch – plaids, bougies, coussins, drapeaux… – avec sa tête et ses punchlines « been there, done that » (déjà vu, déjà fait) ou « dale ! » (fais-le !). « Ce sont ses signatures », affirme Laurie, la jeune femme d’Albi. L’artiste lui-même joue de cette e-réputation, par exemple quand il présente ses voeux pour la nouvelle année dans une vidéo avec en légende « happy new year dallllleeeeee #MerryPitMas ». Selon Internet et des tonnes de commentaires :

    « Pitbull est le gars le plus drôle du monde. Personne ne peut remplacer Mr.Worldwide. »

    À défaut de sa discographie, les fans racontent l’histoire et les inspirations d’Armando Christian Perez, le vrai nom de Pitbull. Son costume cravate ? Il illustre son ascension sociale. « Je fais de la musique pour sortir de la rue et pas pour rester dans la rue », et pour représenter la classe de l’immigration cubaine dans le Miami des années 1980. Son nom de scène ? Pour la niaque de cette race de chiens, interdite à Miami. « C’est un immigré qui se bat pour la cause des immigrés, il est vachement présent sur ce point », estime Laurie. En 2016, il s’est même publiquement opposé à Donald Trump, à Miami, en Floride. Une ville et un État trumpistes depuis quelques années.

    (1) Hanneli Victoire écrit régulièrement pour StreetPress.

    Illustration de Caroline Varon.