Au lendemain de la déroute électorale d’Eric Zemmour, Baptiste Marchais a appelé les Français à quitter la France. Le youtubeur d’extrême droite aux gros bras et à la moustache touffue a lui-même décidé d’embarquer en direction des Etats-Unis. Depuis le Texas, il s’adonne à la chasse au fusil d’assaut, s’entraîne avec des policiers dans une salle de sport, déguste des ribs… Bref, il vit le rêve américain à la sauce conservatrice et le met en scène dans ses « Vlog Texas ». Des vidéos publiées chaque semaine sur sa chaîne YouTube Bench&Cigars qui compte plus de 260.000 abonnés. Un petit voyage qu’il a pu financer grâce à un partenariat avec le réseau social Gettr. L’entreprise prisée par la fachosphère pour son absence de censure a été fondée par un ancien porte-parole de Donald Trump.
Sur YouTube ou Instagram, les influenceurs de la patriosphère prennent de plus en plus de place. Des historiques comme Papacito, le Raptor ou Baptiste Marchais donc. Et une nouvelle génération qui pousse avec Valek, El Rayhan, Bruno Salé et la Chaîne de Georges. Sur la plateforme, ils présentent tranquillement leurs idées racistes, anti-féministes et réactionnaires dans des vidéos qui font des centaines de milliers de vues. Et comme les autres youtubeurs, ils ont recours massivement aux placements de produits pour financer leurs productions. Quelles sont les entreprises qui sponsorisent la haine en ligne ? Et combien ça rapporte ? Difficile d’obtenir des informations : StreetPress a contacté quatre influenceurs et cinq entreprises. Seule Displate, boîte directement concernée, a accepté de nous répondre. Pour le reste, on a dû faire avec ce qui était disponible ailleurs.
Terre de France, la plus active de toutes
Autour d’une grosse assiette de victuailles essentiellement à base de sanglier, l’humoriste Jean-Marie Bigard taille le bout de gras avec Baptiste Marchais. La troisième vidéo la plus vue de sa chaîne, plus de 1,2 million de vues, a été financée par la marque Terre de France. Sur son site Internet et dans certains commerces partenaires, la marque créée en 2018, propose des produits exclusivement made in France, du parfum aux chaussettes, en passant par des bustes de Jeanne D’Arc ou des bougeoirs médiévaux. L’entreprise se présente comme « patriote et solidaire ». Elle assure que 100% de ses bénéfices sont reversés au « service de notre pays », à savoir les familles de militaires, des agriculteurs en difficultés et les écoles rurales.
À l’ère du tout internet, la marque bien tradi a compris l’importance de s’associer avec des influenceurs de son bord. Ils ont ainsi financé au moins une vingtaine de vidéos de youtubeurs d’extrême droite, dont une grande majorité avec Baptiste Marchais, 13 à ce jour.
« Communiquer sur Youtube fonctionne plutôt bien. Ça coûte moins cher qu’un panneau publicitaire dans le métro et ça a un impact assez efficace vis-à-vis du public qu’on veut toucher », expliquait le co-fondateur de la marque, Paul Farnet, dans un article du Figaro en avril 2021. Pour présenter ses polos fabriqués dans l’Aube, ils ont choisi comme modèle le très droitier Valek, 378.000 abonnés sur Youtube et grand copain de Papacito, Baptiste Marchais et consorts. Terre de France était également à l’origine d’un projet de long métrage qui a fait pschitt. « En 2022, le cinéma français va renaître », se félicitait d’avance Thaïs D’Escuffon, ex-porte parole de Génération Identitaire. Elle devait partager l’affiche d’un film sur la France médiévale avec Papacito et Julien Rochedy, financé par les internautes. Devant le manque d’argent récolté, le projet a été abandonné selon la marque quelques jours plus tard.
Des fondateurs, on ne connaît pas grand-chose. À peine que son co-fondateur Paul Farnet est passé par HEC et a monté deux boîtes dans le domaine du numérique, avant de se lancer pleinement dans l’aventure Terre de France. La marque n’a pas répondu aux demandes d’interviews de StreetPress.
Petite galaxie de marques fafs
Dans la lignée de Terre de France, une petite galaxie de marques qui semblent partager les idées des youtubeurs de la fachosphère participe à leur petite économie. Bien ancrée depuis quelques mois maintenant, la marque de fringues Kalos, basée à Lyon, finance régulièrement des vidéos Youtube. Créée par deux frères, Yanis et Mehdi, Kalos use volontiers de symboles guerriers. Elle propose des polos siglés d’un casque spartiate, d’un tee-shirt avec un Famas et même des couteaux de combat, « les mêmes que l’armée française ». Dans une émission de TMC consacrée aux « nouveaux réacs », Mehdi, qui anime d’ailleurs la chaîne YouTube L’assimilé, regrettait que beaucoup d’immigrés « vivaient encore selon les mœurs et les us et coutumes de leur pays d’origine », à la différence de lui. Il poursuivait :
« On a principalement des Maghrébins, des sub-sahariens en France et je crois que par le nombre ce sont les plus problématiques. »
Venant de Lyon toujours, capitale française de l’extrême droite, on retrouve les éditions Phoenix. Une entreprise créée par deux jeunes qui se sont rencontrés sur les bancs de la prestigieuse École centrale de Lyon, Paul Bégaint et Oscar Franoux. Sur le site de leur jeune maison d’édition, on retrouve des bouquins à la couverture cartonnée et dorée. Des bouquins censés nous faire redécouvrir « la grandeur de l’histoire de France ». Mais surtout des manuscrits tombés dans le domaine public (ce qui permet de ne pas payer de droits d’auteur), vendus 45 euros pièce ! Pour refourguer leur camelote, les Lyonnais se sont offert les services du vidéaste « histoire » Christophe Lannes, également animateur sur la très droitière TV Liberté, qui fait la promotion des bouquins dans deux vidéos.
Jeux mobiles et VPN
Les youtubeurs d’extrême droite ne bénéficient pas seulement du soutien d’entreprises « engagées ». Le 1er février 2022, le youtubeur Bruno Salé présente à ses 270.000 abonnés la marque Displate qui propose des tableaux de décoration personnalisables. Displate est bien connue des habitués de Youtube. Elle a notamment sponsorisé des vidéastes plus « classiques » comme Mastu ou Benjamin Verrecchia. Interrogée sur la façon dont elle a pu financer un youtubeur de la fachosphère, la marque basée en Pologne répond simplement avoir « travaillé avec de nombreux influenceurs et médias sur la base des plans de marketing et de relations publiques pour un marché et des cibles spécifiques ». En clair, on cherche à toucher le plus de monde possible.
D’après un vidéaste qui fait de temps en temps des placements de produits avec ce genre de marque, leur intérêt est surtout « de créer un effet de masse. C’est pour ça que, d’un coup, tu vas voir une vague de placements de produits pour tel jeu mobile ou tel VPN ». Et pour ça, ces entreprises ne sont pas trop regardantes sur les influenceurs avec qui elles travaillent. Ainsi, Valek a produit cinq vidéos financées par Cyberghost VPN. Ou Bruno Salé sept vidéos avec le jeu mobile Raid Shadow Legend. « Les VPN et les jeux mobiles, c’est les opérations les plus faciles et qui rapportent le plus. Ça leur coûte cher de payer les youtubeurs mais le rendement est garanti », poursuit le vidéaste interrogé par StreetPress.
Combien tout cela rapporte ?
C’est le sujet tabou par excellence sur Youtube : il est difficile de connaître précisément combien gagnent les vidéastes. Une partie de leurs revenus est issue directement du réseau social. Le chiffre varie en fonction de la période, du contenu de la chaîne, mais une vidéo qui cumule 100.000 vues rapporterait entre 200 et 500 euros.
Et combien paient les marques qui sponsorisent des vidéos ? Sans sources directes, il est impossible de savoir combien les marques engagées à l’extrême droite refilent aux influenceurs. Il n’est même pas sûr qu’elles soient alignées sur les tarifs en vigueur sur le marché. Pour les autres, plus généralistes, on a plus d’infos même s’il est compliqué de donner des chiffres précis. Le vidéaste cité plus haut explique qu’il y a généralement un système de palier, avec un montant débloqué à un certain nombre de milliers de vues. On parlerait en tout cas de plusieurs milliers d’euros.
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