Sarcelles (95) – « C’est un peu notre QG ici », sourit Ukkacha, 23.000 abonnés sur TikTok, dans la pièce qui servira à terme à enregistrer des podcasts. « On vient tous d’un peu partout de la région parisienne, ici c’est vraiment un endroit où on peut se retrouver, créer du contenu… »
Le jeune homme de 23 ans, dont la famille est originaire de la partie musulmane du Sri-Lanka, est un des fondateurs de la Desi House, un collectif de néo-influenceurs principalement actifs sur TikTok et Instagram, tous originaires d’Asie du Sud. Le terme Desi regroupant les différentes ethnies du sous-continent indien : « Il y a des Sri-lankais, des Pakistanais, des Indiens, des Tamouls, des Bengalis », énumère son compère Thenura, 20 ans et 37.000 abonnés sur TikTok, lui aussi d’origine srilankaise.
Ils sont aujourd’hui dix, six garçons et quatre filles, de 19 à 23 ans. Certains se connaissaient dans la vraie vie, la plupart se sont rencontrés sur les réseaux, à la faveur de l’algorithme : « TikTok nous montre des gens qui nous ressemblent », explique Thenura. « Au fur et à mesure, on a discuté, on a fait des lives ensemble, puis on s’est rencontrés. » La formation « officielle » de la Desi House remonte à octobre 2021. « L’idée de se réunir en house c’est principalement pour valoriser nos cultures et lutter contre le racisme que notre communauté subit », appuie Ukkacha, lunettes aux verres fumés bleus sur la tête.
Hassan, Ukkacha et Thenura font partie des dix influenceurs de la « Desi House ». / Crédits : IamDesi
Racisme banalisé
« On est peu représentés dans les médias. Et il y a vraiment une banalisation du racisme envers nous », explique Novela, 19 ans, 82.000 abonnés sur YouTube et 132.000 sur TikTok. La jeune femme, active sur les réseaux sociaux depuis qu’elle a 12 ans, considère leur travail comme « hyper important pour démonter les clichés qui entourent [sa] communauté. »
« Les gens vont poster des commentaires, ce qu’ils considèrent comme des blagues, en disant : “Ah une house d’épiciers”, “Ça coûte combien le caprisun ?” », avance Thenura. Quand il a eu le malheur de se plaindre d’un de ces commentaires, il a essuyé des mots tels que : « Ah tiens y’a le pakpak qui s’énerve. »
« Ils vont nous appeler Paki, sans penser à mal, mais ils reprennent des termes racistes utilisés par l’extrême droite anglaise dans les années 80 », raconte Ukkacha. Il fait référence aux « Paki-Bashing » dans le Royaume-Uni de la fin du XXème siècle où militants d’extrêmes droites et premiers skinheads organisaient des ratonnades contre les immigrés d’origine indienne et pakistanaise.
Aujourd’hui, pensent-ils, les Anglais originaires d’Asie du Sud sont davantage intégrés dans la société et subissent moins le racisme qu’en France : « Là-bas ils sont considérés comme tout le monde. Ici on est en dessous de tout », souffle Thenura.
Le collectif souhaite lutter contre le racisme envers les Asiatiques du Sud. / Crédits : IamDesi
Tensions au sein de leurs communautés
Si des commentaires racistes continuent d’arriver, le fait de se rejoindre entre différentes communautés d’Asie du Sud a aussi provoqué quelques tensions de la part même de ces communautés. « J’ai fait un TikTok où j’avais mis “duo indien pakistanais”, j’avais plein de commentaires qui disaient que les deux peuples ne pourront jamais s’entendre », explique Hassan, 19 ans, lui-même d’origine pakistanaise. « Mais ça, c’était au début. Maintenant, les gens comprennent un peu plus notre démarche. »
« On est des communautés qui de base ne se mettent pas trop en avant », embraye Ukkacha.
« Certains ont pu se dire qu’on venait faire les zouaves sur les réseaux sociaux. Mais on a montré qu’on était là pour faire avancer la cause, pas forcément pour se mettre en avant. »
Aujourd’hui, Novela estime que 70% de sa communauté est Desi.
Pour l'instant, les jeunes ne vivent pas encore de leur travail d’influenceurs, même s'ils collaborent parfois avec des marques, comme des enseignes de tenues traditionnelles basées en France. / Crédits : IamDesi
Valoriser les cultures avec IamDesi
Dans le petit pavillon d’une ruelle calme de Sarcelles, une bonne dizaine de personnes traînent dans la salle de réunion, quand d’autres terminent un montage.
La Desi House a investi à la fin du mois de mai les locaux et signé un contrat d’agence avec l’association IamDesi. La structure alimente un magazine en ligne où sont publiés des articles sur des personnalités de la communauté, ou des reportages lors d’évènements culturels ou religieux. « On va par exemple publier des interviews de personnalités Desi qui peuvent être des sources d’inspiration pour les jeunes, et qu’on ne voit pas ailleurs », explique Sarah, membre de l’équipe depuis un an et demi.
Les jeunes de la Desi House trouvent dans l’équipe un peu plus âgée d’IamDesi des conseils avisés, et une organisation : « Au début, quand on était que nous, c’était un peu le bordel », reconnaît Ukkacha :
« Depuis qu’on a signé, on a un endroit pour créer du contenu, dès qu’on a un problème, même entre nous, on peut leur en parler. »
« On a surtout le même but, mettre nos communautés en avant », appuie Sarah.
En qualité d’agent, IamDesi prend un pourcentage sur les éventuels revenus des talents, mais pour l’instant, les jeunes ne vivent pas encore de leur boulot d’influenceurs. Tous sont étudiants et collaborent de temps en temps avec des marques. Ils sont contactés quelquefois par des enseignes de tenues traditionnelles basées en France. Mais ce n’est pas le plus important pour eux. « S’il y a possibilité dans quelques années de gagner sa vie avec, pourquoi pas, mais le truc principal c’est de monter en tant que groupe », développe Ukkacha.
La question de la représentativité dans les médias est évidemment importante. Novela explique avoir emmagasiné la confiance nécessaire pour se lancer sur Internet en suivant notamment l’influenceuse anglaise Nivii06 :
« Elle fait des vidéos en tamoul, elle valorise sa culture avec des vlogs. En France, on n’a pas ça. Pas encore. »
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