Quand elle sera grande, Hawa veut élever un dauphin. Un dauphin « gentil », à qui elle donnera du lait et des légumes et qu’elle emmènera à la piscine et à la plage en le tractant sur une carriole à roulettes dans un aquarium. En attendant, elle le prend en photo. En effet, les murs du tunnel piéton dans lequel elle passe ses journées et ses nuits depuis un mois sont recouverts de tags et l’un d’eux représente un dauphin rose, qu’Hawa a baptisé Michou. Arrivée de Côte d’Ivoire avec sa mère et sa grande sœur de 13 ans, elle rêve maintenant d’aller à l’école, comme sa copine Rokia. Bien que scolarisée dans le 19e arrondissement, elle aussi partage une tente avec sa mère, tout près de l’entrée du tunnel.
Hawa devant sa tente. / Crédits : Nnoman Cadoret
En attendant des jours meilleurs, elle se réjouit d’avoir « une nouvelle maîtresse », avec laquelle elle apprend à lire le français et à parler anglais. « Moi, quand je disais que je voulais apprendre le français en Libye, les gardes ne voulaient pas » l’interrompt Hawa.
« Là-bas à la prison, on n’avait pas à manger. Un jour, un monsieur a eu pitié de ma grande sœur et moi et nous a donné des biscuits comme ça, avec du chocolat. »
Elle montre un paquet de Pépito.
« Ça a énervé le patron, il est venu insulter ma maman. Il a mis une arme sur elle et a dit qu’il allait la tuer. On a couru à côté d’elle pour demander pardon. Ça m’a fait pleurer. »
Arrivée de Côte d’Ivoire avec sa mère et sa grande sœur de 13 ans, Hawa rêve désormais d’aller à l’école. / Crédits : Nnoman Cadoret
« Même maintenant, on dirait que tu vas pleurer », la taquine Rokia. Des histoires de voyages comme celle-ci, Hawa en a plein les tiroirs. Les coups de pieds dans les dents quand elle prie, le grand bateau d’Ocean Viking venu les secourir en mer et le petit « où il faut souffler dedans », puis à l’arrivée, la fausse-couche de sa maman dans un hôpital parisien. D’ailleurs, si elle ne devient pas hôtesse de l’air, elle sera sage-femme. « Ma maman, je l’aime mille fois fort », promet-elle. Amina (1) n’est d’ailleurs jamais bien loin. « Elle a toujours été comme ça, confie-t-elle. À sept mois, elle n’avait pas encore de dents qu’elle marchait déjà. Depuis, pas une minute sans qu’elle parle ! »
Une centaine de migrants vivent depuis plus d’un mois sous ce tunnel enclavé entre le 19e arrondissement de Paris et le 93. / Crédits : Nnoman Cadoret
Plusieurs jeunes enfants vivent depuis plus d’un mois sous ce tunnel. / Crédits : Nnoman Cadoret
Quelques tentes plus loin, Ahmed, 3 ans, s’accroche au garde-boue d’un vélo qui traverse le tunnel. « Lui, tout ce qui l’intéresse, c’est de courir », s’amuse son père, Moussa (1). Lui et sa femme ont été expulsés du centre d’accueil pour demandeurs d’asile dans lequel ils étaient hébergés depuis un an, suite à une notification de refus. Depuis, avec leur dernier né Mohammed, un an et demi, ils squattent le tunnel en attendant « une solution » qui ne vient pas.
Tous attendent « une solution » qui ne vient pas. / Crédits : Nnoman Cadoret
Comme les autres très jeunes enfants du tunnel, Mohammed et Ahmed sont chouchoutés par les autres occupants et les riverains qui, déconcertés par la situation, viennent régulièrement déposer des jouets ou des vêtements chauds. Ahmed ne quitte d’ailleurs plus son Monster Truck rouge et blanc, qui abîme ses roues sur l’allée glissante du tunnel. En le regardant jouer, la voix de Moussa se brise :
« Parfois, il m’arrive de m’asseoir, et quand je regarde mes enfants, je pleure. Ils ne savent pas que l’on peut souffrir dans le monde comme ça. »
Ahmed, 3 ans, fait partie des très jeunes enfants qui vivent dans le tunnel. / Crédits : Nnoman Cadoret
Déconcertés par la situation, d'autres occupants ou des riverains viennent régulièrement déposer des jouets ou des vêtements chauds. / Crédits : Nnoman Cadoret
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Des adolescents désœuvrés
Rachid, 14 ans, est venu aider son père à récupérer quelques jouets appartenant à sa petite sœur de deux ans. Toute la famille a été temporairement relogée en début de semaine dans un gymnase près de la gare de l’Est. Au lendemain de la manifestation qui a mobilisé quelque 200 personnes dimanche 28 novembre, quelques familles avec des enfants en bas âge ont été prises en charge « à la suite des multiples alertes » effectuées par la mairie du 19e. « Ça va mieux depuis qu’on est là-bas », concède timidement Rachid, esquissant un sourire. Il n’en dira pas beaucoup plus. Tout comme la grande sœur d’Hawa, d’un an sa cadette, les paroles de l’adolescent sont rares. « Elle est trop triste et trop fatiguée. Depuis qu’on est ici, elle quitte à peine la tente », s’assombrit Amina.
La famille est restée deux mois sous le tunnel, puis a été relogée temporairement dans un gymnase près de la gare de l’Est. / Crédits : Nnoman Cadoret
Prostré dans sa tente, Kader, 16 ans, a le regard grave. Au regard de l’administration française, lui aussi est encore un enfant. « En France, il y a tout ce que j’aime. La culture, la mentalité, la liberté. Et le Paris-Saint-Germain. » L’un de ses joueurs star, Léo Messi, vient d’être élu Ballon d’Or. Avec une bande de copains d’infortune, il visionne la vidéo du sacre sur un téléphone. Il n’a toutefois pas le cœur à s’enthousiasmer des prouesses de l’Argentin. « Je suis dans la merde », lâche-t-il. Comme plusieurs milliers de jeunes chaque année, il n’a pas été reconnu comme mineur sur le territoire français, et ne peut donc être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance comme il l’espérait. « La Croix-Rouge [l’établissement missionné par l’État pour gérer le dispositif d’évaluation des mineurs étrangers à Paris, NDLR] m’a demandé de raconter mon histoire. À la fin, ils m’ont dit que ma manière de parler était trop développée, que je donnais l’impression de vivre ici depuis longtemps, que je parlais comme les jeunes de banlieue », raconte-t-il. Venu seul depuis la Côte d’Ivoire, sans aucune relation à Paris, il a été hébergé par une « femme très gentille » durant quelques semaines. Depuis, conscient d’être dans l’impasse, il perd espoir :
« Franchement, je ne sais pas ce que je vais devenir. »
Les familles se réchauffent comme elles peuvent près d'un feu de bois. / Crédits : Nnoman Cadoret
Des familles exilées survivent sous un tunnel. / Crédits : Nnoman Cadoret
(1) les prénoms des parents ont été changés
Contactées par téléphone, les équipes de l’association Utopia56 ne sont guère optimistes quant au sort de Kader, Hawa et les autres enfants du tunnel. « Les services sociaux de la mairie de Paris nous ont expliqué que le gymnase a été ouvert pour accueillir d’autres personnes que celles qui se trouvent sous le tunnel. Ils ont négocié quelques places la semaine dernière, mais c’est terminé », rapporte Kerill, coordinateur d’Utopia56.
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