Cour d’assises de Nanterre, 2e jour d’audience – Le commandant P., qui a dirigé l’enquête, se campe à la barre :
« Je suis arrivé sur les lieux le 8 février à 7h45, tout était dévasté. L’appartement avait beaucoup brûlé et le sol était recouvert d’un épais magma noir, résultat de la fonte de milliers de vinyles. »
Le feu est parti du canapé-lit. Le corps calciné de Philibert gît le long de la baie vitrée. L’autopsie révèle de nombreuses blessures : un os du cou cassé et la tempe fissurée. La victime a été tabassée avant de périr par le feu.
Trois des mis en examen écoutent le récit du policier, prostrés et déconfits. Jonathan, grand brun de 28 ans mal rasé, a parfois les yeux rougis. Thomas, blondinet de 25 ans au nez épaté, est comme figé. Julian a 23 ans, un léger embonpoint, la peau mate et une moustache duveteuse. Il est, comme ses co-accusés, pétri de honte. Les trois compères seront condamnés pour vol avec violence mais repartiront libres. Un quatrième accusé siège dans son box. De petits yeux noirs rentrés, un visage bouffi, des cheveux blonds en courte queue de cheval, Cédric Berny dit Le Belge, comparaît, lui, pour des faits de destruction par incendie ayant entraîné la mort. Il prendra perpèt’.
Les trois compères seront condamnés pour vol avec violence mais repartiront libres. Un 4e accusé siège dans son box. / Crédits : Guillaume Duchemin
L’appartement conspirationniste
Les faits remontent au 7 février 2014. Dans le huis clos d’un studio à Évry, les quatre jeunes conspirent dans la brume de shit. Ce sont tous des teufeurs. Jo, Thomas et Julian, qui se connaissent depuis leur enfance passée dans un petit village aux confins de l’Aisne et de la Marne, ont rencontré Cédric Berny en rave. Le Belge trame un coup fumeux : dépouiller Philippe L., dit Philibert. Ce sympathique sexagénaire est connu du milieu des rave-partys que Berny écume depuis des années. Il est un peu simplet. « La mentalité d’un adolescent de 15 à 18 ans », explique sa sœur, ce qui lui vaut un handicap officiel à 80%. Cet excentrique se plaît à organiser de longues soirées dans son petit appartement de Vanves. On y écoute de la musique – Philibert, DJ amateur, possède une imposante collection de vinyles – et on s’y drogue généreusement : MDMA et autres amphétamines, cocaïne et cannabis, mais pas d’alcool.
On s’excite un peu dans le tout petit appart’. On fume quelques joints accompagnés d’amphet’. Le Belge fait miroiter des milliers d’euros en espèce, de la came à gogo et du matériel hi-fi de pointe. Car en plus d’être DJ, Philibert serait un dealer. Julian est frileux, il ne veut pas y aller. Mais Prisca, la propriétaire du studio le flanque à la porte, alors il suit la troupe. Jonathan, dit Jo la Douille – « parce que je coule des douilles » – et Thomas se laissent également convaincre. Le plan est aussi tordu que Berny. Ce dernier a chopé du Subutex dans la journée, qu’il a pilé pour le réduire en poudre afin de le faire absorber à son insu à la victime. Sniffé, ce substitut à l’héroïne rend terriblement malade et devrait mettre Philibert hors d’état de s’opposer à ses cambrioleurs. Voilà l’équipage qui file dans la nuit. Direction le 9-2.
Racket raté
Il est une ou deux heure du mat’. La bande s’installe chez Philibert. Chacun son coussin car le propriétaire est un peu psychorigide, presque maniaque. Musique, drogue, soirée « classique » avec Philibert. Julian raconte être mal à l’aise en sa compagnie. Il est très maniéré et aime bien les jeunes gens. La soirée se passe, Philibert sniffe le « Sub » mais rien ne se passe. En fait, ce n’était pas la bonne came : on ne retrouvera pas d’opiacée à l’autopsie. L’hôte est à peine patraque suite à l’ingérence de cette substance jamais identifiée. Le plan initial s’écroule. Les trois suiveurs se lassent. Déjà Julian s’habille, les deux autres se lèvent.
Berny, naturellement surexcité, commence à psychoter. Il ne sait pas quoi faire pour sauver la mise mais il refuse de partir bredouille. Et soudain : « Il lui met une claque, une grosse claque, avec la paume », raconte Julian à la cour. Philibert crie :
« Aidez-moi ! Il va me tuer ! »
Mais les trois, tout dégonflés, s’éclipsent en vitesse. Ils montent paniqués dans la voiture, se trompent de route et repassent un quart d’heure plus tard en bas de l’immeuble au moment où Berny sort. Il a les bras chargés de disques durs et de matériel hi-fi. « Il n’est pas prêt de sortir ! », leur lance-t-il. Il est plus de cinq heures du matin, les quatre repartent au studio d’Évry. Puis Jo, Julian et Thomas rentrent dans leur village, près de Château-Thierry.
Dans le huis clos d’un studio à Évry, les quatre jeunes conspirent dans la brume de shit. / Crédits : Guillaume Duchemin
L’enquête
Moins de deux heures plus tard, le commandant P. pousse la porte de l’appartement calciné et découvre le corps de Philibert. L’enquête se concentre sur la téléphonie : la victime a été en contact avec un numéro non identifié cette nuit. Les enquêteurs appellent les autres contacts de ce 06 au propriétaire inconnu. Deux personnes, Marie et Emma, révèlent qu’il s’agit du portable de Berny. Quelques semaines auparavant, Berny leur a annoncé son intention de dévaliser Philibert. Le 9 février, il leur avait avoué, ainsi qu’à Prisca – la locataire du studio d’Évry – que le vol commis chez Philibert s’était « mal passé ». Ils avaient laissé la victime très mal en point. Il faisait également une allusion vague à un incendie et portait des chaussettes tachées de sang.
Berny est finalement interpellé le 19 février. Il nie en bloc. Ce sont les trois autres qui, selon lui, ont ourdi le plan. Ce sont eux qui ont frappé la victime et mis le feu à l’appartement, après avoir dépouillé Philibert de liasses de billets et de kilos de drogues diverses. Les trois lascars sont cueillis au fond de leur campagne. « Ils étaient morts de frousse, clairement pas habitués. Ils faisaient un peu péquenauds paumés », raconte le commandant. Ils n’ont appris l’incendie que plus tard et semblent dévastés par les conséquences de leur folle équipée. C’est leur version des faits, corroborée par les témoins, qui est reprise par l’accusation. La drogue en quantité et les liasses ? Pure invention de Berny, il n’en a jamais retrouvé la trace. D’ailleurs, selon sa sœur, partie civile au procès, Philibert n’était pas un dealer. Finalement, Berny explique à l’audience que Philibert était en fait la nourrice d’un autre dealer, un dénommé Chrysto. Appelé à témoigner, ce dernier nie.
Berny s’est confessé à ses proches
Aucun élément matériel n’incrimine Berny mais les témoignages de Prisca, Emma et Marie le désignent. C’est ce qu’on appelle un « faisceau d’indices » accablant. À l’une des trois filles, il a écrit de la prison pour qu’elle adapte sa déposition à la version qu’il tente de faire avaler aux juges. À une autre, il a confié avant les faits :
« Les vinyles, ça brûle bien, c’est parfait pour effacer les traces. »
Et puis il y a le témoignage de Salim, l’ex-codétenu de Cédric Berny. En juillet 2014, Salim a contacté les policiers pour leur raconter les confidences de Berny. Ce dernier lui a demandé d’approcher Prisca et Marie, afin qu’elles détruisent des éléments incriminants et qu’elles disent certaines choses aux enquêteurs, afin d’accréditer sa thèse. Salim est actuellement au Maroc et n’a pu être contacté par la cour d’assises, qui doit se passer de son témoignage oral.
Sur le procès verbal lu à l’audience, Salim rapporte des détails précis : la victime se serait agrippée à un ordinateur. En réaction, Cédric Berny l’aurait frappé puis étranglé avec sa ceinture. À son compagnon de cellule, il précise que pendant l’étranglement « le vieux » saignait de la bouche et suffoquait. « Il lui avait pété une artère ou je sais pas quoi dans la gorge ». Comprenant qu’il est en train de le tuer, il décide de mettre le feu pour détruire les preuves :
« Il m’a dit avoir incendié un matelas. Je sais juste qu’il a utilisé un produit dans la salle de bain. Cédric m’a expliqué avoir attendu que le feu prenne bien et que le corps commence à brûler avant de partir en courant. Il m’a précisé qu’il voulait être sûr que le corps avait bien brûlé, pour qu’il n’y ait pas d’empreintes. »
Le commandant P. pousse la porte de l’appartement calciné. / Crédits : Guillaume Duchemin
La vie chaotique de Cédric Berny
Pour tenter de comprendre Cédric Berny, il faut se plonger dans son passé. « L’histoire de votre famille est un peu compliquée », euphémise le président. Sa vie n’est que malheur, errance et drogue. Il naît en 1989 dans la région de Charleroi, en Belgique. Il a 7 frères et sœurs et vit avec sa mère, séparée de son père et recasée avec son beau-frère – le frère du père. « Que faisait-il, ce beau-père ? », questionne le président. « Il ne faisait rien : il buvait et jouait à la pétanque », répond Berny. Le père, lui, ne fait rien non plus. Il est en ménage avec la meilleure amie de la mère.
En 2001, la mère et une petite sœur de Berny périssent dans l’incendie criminel de leur maison – on n’a jamais su qui était l’incendiaire. Il va vivre chez son père, coureur invétéré qui emmène la demi-sœur de Cédric aux soirées échangistes qu’il fréquente. Pendant ce temps, son demi-frère part avec la troisième compagne de son père, et ses sœurs sortent avec des amis de son père, de 20 ans leur aîné. « Quand je raconte ça à un psy, il se perd très vite », concède Berny.
Ça se passe très mal entre lui et le paternel. Placé dans une école « d’handicapés, car j’étais hyperactif », il quitte le système éducatif à 12 ans, fugue sans arrêt et vit de petits boulots au noir, alors qu’il n’a que 13 ans. Le président n’y croit pas : « Serveur à 13 ans, ça devait se voir ! – J’étais pas serveur, j’étais au bar ! C’est facile », explique très sérieusement l’accusé. À 17 ans, il est mis à la porte par son père – un 31 décembre – et le voilà sur la route.
Pyromane multirécidiviste
Il intègre le milieu des teufeurs, fréquente les autonomes et se coule dans le moule : treillis, rangers, crête et keffieh. Il est SDF, vit dans des squats et chez des connaissances. Il court les rave-partys et devient dealer. C’est avant tout un toxicomane qui dépanne sur le lieu des teufs qu’il fréquente sans cesse. Il vit de petits trafics, fait des allers-retours en prison. En 2011, son fils naît dans une maternité de Lille. Il lui est immédiatement retiré, les infirmières l’ayant aperçu dans la chambre de l’hôpital avec des amis en train de taper de la cocaïne. Quelques minutes après la naissance, un feu de poubelle se déclenche à l’endroit où Cédric était allé fumer un joint, ce qui provoque un incendie conséquent et l’évacuation de la maternité.
Des mois plus tard, alors que le couple vivait dans un squat, Océane sa compagne de l’époque et mère de son fils, se réveille en pleine nuit. Son matelas est en feu. Cédric se tient à côté, un bidon d’essence à portée de mains. Océane résume sa relation ainsi :
« Il m’a battue, séquestrée, a tenté de me tuer. »
Un jour, Berny a incendié une cabane près du squat de Conflans Sainte Honorine qu’il occupait. En fait, son premier incendie date de ses 3 ans d’après son père. Mais ce dernier n’a pas pu venir témoigner : « Papa a eu un accident de voiture et a eu les deux jambes coupées », explique sa sœur à l’audience.
La vie de Cédric est jalonnée d’incendies criminels. Peut-on en conclure qu’il a une tendance nette à la pyromanie ? Les experts psychiatres refusent de trancher. Ils qualifient cependant Berny de « psychopathe » : intolérance à la frustration, impulsivité et mauvais contrôle de ses pulsions, agressivité, lien social extrêmement fragile et relation à la loi conflictuelle. « Cédric Berny, c’est quatre sur quatre, il remplit toutes les conditions ! », conclut l’avocat général au matin du dernier jour d’audience :
« Brûler quelqu’un vif, c’est pas commun, mais Cédric Berny n’est pas quelqu’un de commun. Ce qui m’a frappé, c’est cette dangerosité exceptionnelle. »Puis de demander « l’élimination sociale » de Berny, la peine maximum.
Son premier incendie date de ses 3 ans. / Crédits : Guillaume Duchemin
La peine maximale requise pour le « psychopathe »
Les avocats se succèdent ensuite : les peines demandées pour les trois lascars du 02 sont sévères. Les défenseurs tentent alors de minimiser leur rôle, brandissent la conscience honteuse de leurs clients, qui jamais, jamais « ne se comporteront de nouveau ainsi », dit l’un d’eux. Puis l’avocate de Berny plaide l’acquittement – suivant la position de son client – pour les faits de destruction par incendie ayant entrainé la mort. Elle relève qu’il y a « des témoignages certes, mais aucun élément matériel » :
« Cédric est violent, certainement dangereux, mais comment peut-on être certain que l’incendie n’est pas accidentel ? Est-ce lui qui a allumé le feu ? »
Après quatre heures de délibérations, la cour et les jurés ont révélé leur intime conviction. Berny, déclaré coupable, écope du maximum : perpétuité et 22 ans de sûreté. Jo et Thomas prennent deux ans dont 15 mois avec sursis, Julian deux ans dont 18 mois avec sursis – ils demeurent libres. Berny ne bronche pas.
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