Rennes (35) – À l’entrée de l’impasse se trouve la maison de Diallo et de ses trois colocataires. Voilà deux ans et demi que la Guinéenne en situation irrégulière est arrivée au square Louis Armand, qui longe le chemin de fer dans le quartier Saint-Hélier de Rennes. « Depuis que je suis arrivée à Rennes en 2018, j’ai enchaîné les squats », explique la jeune femme. Le quartier est composé d’une vingtaine de maisons, disposées les unes à côté des autres le long des rails. Blanches et quelque peu écaillées, de plain-pied, toit en ardoise et dotées d’un jardin, certaines d’entre elles sont à l’abandon depuis plusieurs années. Alors en 2021, des militants pour le logement pour tous ont soutenu l’initiative d’y installer des exilés qui avaient besoin d’un toit, dont Diallo :
« Je suis bien ici, ça fait du bien de pouvoir être enfin stable. »
Après avoir enchainé les squats, voilà deux ans et demi que la Guinéenne est arrivée au square Louis Armand, qui longe le chemin de fer dans le quartier Saint-Hélier de Rennes. / Crédits : Louise Quignon
La plupart des occupants sont des familles avec enfants, tous peinent à être régularisés, et ne peuvent donc pas prétendre à un logement et un bail stable. « Lorsqu’ils sont venus habiter le quartier, j’ai été soulagée », confie Gaëlle, une habitante. Son mari, Benjamin, raconte que le lotissement est né dans les années 1970 pour loger les cheminots qui travaillaient quelques centaines de mètres plus loin, à la gare de Rennes. Au fil du temps, les travailleurs sont partis et, ces six dernières années, les maisons se sont vidées sans que son gestionnaire, ICF Habitat Novedis, filiale de la SNCF, ne souhaite reloger personne à l’intérieur. L’objectif : préparer la destruction prévue en 2027, pour laisser place à des logements neufs dans le cadre du programme EuroRennes, nouveau quartier d’affaires de la ville, qui saurait tirer profit de l’idéale situation géographique, dans le centre-ville et proche de la gare. Alors Gaëlle l’assure :
« Ces nouveaux arrivants ont redonné vie à un quartier devenu morose. »
La destruction est prévue en 2027 afin de laisser place à des logements neufs dans le cadre du programme EuroRennes, nouveau quartier d'affaires proche de la gare. / Crédits : Louise Quignon
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Le nouveau visage du quartier
Gaëlle et Benjamin sont le premier couple non-travailleur de la SNCF à s’être installé dans le coin il y a douze ans. « Un coup de bol », se rappelle cet ancien électricien. « Trouver une maison au cœur de la ville pour moins de 900 euros, c’était une aubaine ! » Sur la dizaine de maisons jusque-là vides, une est juste en face de celle du couple. Des Géorgiens s’y sont installés et Elona, la mère de famille, bien heureuse d’avoir mis ses quatre enfants à l’abri, assure être « très heureuse ici » :
« Les voisins nous aident, nous vivons dans une maison et non dans une tente. »
Gaëlle l’accompagne dans ses démarches administratives. « Je l’ai même emmenée à l’hôpital lors de son accouchement », détaille-t-elle. Le dernier fils d’Elona vit ses premiers mois au square. Les conditions ne sont pas optimales : la famille vit dans une grande précarité et, même si certaines maisons ont bénéficié de quelques réparations, elles restent à la limite de l’insalubrité. Certaines familles vivent sans gaz et électricité. Tout de même, retourner à la rue serait très compliqué pour cette famille, d’autant plus que le petit à d’importants soucis de santé. « Nous allons régulièrement à l’hôpital, car il a du mal à respirer », s’inquiète sa mère. « Je sais que squatter c’est illégal », commente Diallo, la Guinéenne de l’entrée de l’impasse, qui vit dans la même incertitude que la famille géorgienne :
« Mais la situation nous pousse à le faire. »
Même si certaines maisons ont bénéficié de quelques réparations, elles restent à la limite de l’insalubrité. / Crédits : Louise Quignon
« On a habité dans des hôtels, des gymnases, des petits appartements à Guerche, à Montgermont (35) », abonde Ismaël, un Tchétchène venu avec sa femme Lisa, et leurs cinq enfants. « Puis en septembre, la mairie nous a installés ici. » La famille fait partie des rares occupants à profiter d’un partenariat entre la mairie et l’association Habitat et humanisme, qui les logent sous convention d’occupation précaire. En d’autres termes, ICF Habitat octroie un droit d’occupation. Cinq autres maisons sont conventionnées. Une situation loin d’être idéale pour Christophe, un riverain de longue date :
« Ça fait très 115. On loge ensemble des personnes qui ne se connaissent pas et de nationalités différentes. Comme pour les hébergements d’urgence. »
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« Des vigiles pour protéger la maison de derrière »
« Ils sont légalement autorisés à vivre dans cette maison, mais peuvent se faire expulser à tout moment », tient à contextualiser Maël (1), militant pour le logement pour tous et toutes, mais aussi colocataire de Diallo. Le jeune squatteur voit ces conventionnements de maison comme une forme de répression contre l’auto-organisation du square :
« Ils peuvent contrôler les personnes qui y habitent, peuvent expulser quand ils veulent, alors que le conventionnement devrait être utilisé comme un outil de droit au logement. »
« Vivre avec une telle mixité, c’est très agréable », positivise Christophe. / Crédits : Louise Quignon
Le militant poursuit sur la politique d’ICF Habitat et de la Métropole : « Pendant un mois, ils ont engagé des vigiles pour protéger une maison inoccupée. » Une façon d’empêcher de nouveaux squats de s’installer. Des propos confirmés par Diallo, sa colocataire, ou encore les voisins Benjamin et Gaëlle. Les doyens du quartier se rappellent également de ces maisons fermées avec ces grandes tôles en métal au niveau des portes et des fenêtres, dès 2017 : « La première fois que l’on a vu une maison murée, ça nous a fait un choc », explique Benjamin, « ça sonnait la fin du quartier ».
De son côté, ICF Habitat assure être « en train de travailler de manière proactive pour trouver des solutions qui tiennent compte des intérêts de toutes les parties impliquées » et précise être « pleinement engagé à agir de manière responsable et respectueuse, ainsi qu’à respecter toutes les réglementations en vigueur ».
Les fêtes de quartiers sont revenues au square. La dernière date du samedi 13 avril sous un soleil breton et de ses 25 degrés. / Crédits : Louise Quignon
Au programme, spectacle de clown, DJ, repas partagé, parties de palet... / Crédits : Louise Quignon
« Un cas d’école du vivre-ensemble »
« Vivre avec une telle mixité, c’est très agréable », positivise Christophe, l’heureux détenteur de la seule balançoire du square. Alors tous les enfants passent pour en profiter. « Nous avons construit un poulailler ! Et les enfants jouent entre eux dans la rue et les fêtes de quartiers sont revenues. » La dernière date du samedi 13 avril sous un soleil breton et de ses 25 degrés. Au programme, spectacle de clown, DJ, repas partagé, parties de palet… « Ma fille a commencé à jouer avec d’autres petits et c’est comme ça que j’ai rencontré leurs parents. C’est grâce aux enfants que l’on a pu créer du lien », contextualise Christophe. Alors il l’assure, depuis deux ans et demi, le square est « un cas d’école du vivre ensemble ». Pour Maël (1), le militant pour le logement pour tous et toutes, c’est également « un lieu de contradiction politique rennaise et nationale intéressant » :
« Des personnes ont créé du lien sous la pression de se faire expulser à tout moment. Et ce, à Rennes, ville avec une réelle crise du logement, mais avec une mairie socialiste qui a fait sa campagne avec le slogan “zéro enfant à la rue”. »
Christophe est l’heureux détenteur de la seule balançoire du square. / Crédits : Louise Quignon
Tous les enfants passent chez Christophe pour profiter de la balançoire. « Alors nous avons construit un poulailler ! » / Crédits : Louise Quignon
En mars dernier, 61 enfants dormaient dans les rues de Rennes. Pourtant, selon le site officiel ville-data.com, il existerait 8.245 logements vacants en ville – un chiffre en hausse de 14% ces cinq dernières années. En parallèle, la vente du square à un promoteur bordelais s’inscrit dans une nouvelle évolution du quartier Saint-Hélier, lié au développement du quartier d’affaires EuroRennes, propulsé par la Métropole rennaise. Conséquence directe de la nouvelle ligne TGV reliant Rennes à Paris en 1h30. « Nous tout ce que l’on demande, c’est de rester jusqu’au début des travaux en 2027 », insiste Christophe. Une pétition de soutien créée en mars dernier a récolté 385 signatures.
Nous tout ce que l’on demande, c’est de rester jusqu’au début des travaux en 2027 », insiste Christophe. Une pétition de soutien créée en mars dernier a récolté 385 signatures. / Crédits : Louise Quignon
Contacté par StreetPress, la Métropole de Rennes n’a pas souhaité répondre à nos questions.
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