Pantin (93) – Des cris résonnent derrière les portes d’un garage anonyme. Entre les murs d’un ancien hangar de fruits et légumes converti en temple, le pasteur Charles Bameko agite son micro avec passion. Les fidèles endimanchés répètent et scandent des chants à la gloire de Jésus. Des caméras de télévision et des téléphones retransmettent en direct l’office sur TikTok et sur YouTube. Pourtant, pas le moindre signe religieux dans la salle. Juste un panneau lumineux sur lequel est écrit le nom de l’émission « Tout va bien avec Jésus-Christ ». Avec ses quelque 205.000 abonnés sur YouTube, l’église évangélique Bostra – pour Bonne semence transmise – est l’une des plus suivies d’Europe. Beaucoup d’équipement, une régie, et la diffusion de prêches 24h/24 lui garantissent un succès qui dépasse les frontières de la métropole.
Bonne Semence Transmise
Cette notoriété, Charles Bameko a su la faire fructifier. L’homme s’est largement rempli les poches en jouant de la confiance de ses fidèles. Le 19 septembre 2023 au matin, Charles Bameko et sa femme Mamie sont placés en garde à vue pour abus de confiance, blanchiment et travail dissimulé, a révélé le Parisien. Pendant ces années, un bandeau était diffusé sur les vidéos des prêches avec un relevé d’identité bancaire, incitant les fidèles à faire des dons pour des œuvres caritatives. Des orphelinats, des écoles, des hôpitaux en Afrique… Tout est faux ou presque. Charles Bameko assure qu’un orphelinat a bel et bien été créé à Kinshasa. À l’audience, la procureure lui lance, cinglante :
« Un seul orphelinat créé avec deux millions d’euros, ce n’est pas beaucoup monsieur. »
Les autres projets ne verront jamais l’argent des fidèles. Les virements que le pasteur recevait étaient répartis sur plusieurs comptes – personnel, professionnel et associatif au nom de l’église. C’est finalement le Tracfin, l’agence chargée de la lutte contre les circuits financiers clandestins qui lève le lièvre et alerte la justice. Quelques mois plus tard, le 18 janvier 2024, le pasteur est condamné par le tribunal correctionnel de Créteil (94) à trois ans de prison avec sursis pour avoir détourné plus de deux millions d’euros de dons de fidèles, destinés à construire les fameux orphelinats.
Les virements que le pasteur recevait étaient répartis sur plusieurs comptes – personnel, professionnel et associatif au nom de l’église. / Crédits : Lea Taillefert
« Donne et Dieu te le rendra »
La confiance des fidèles semble pourtant à peine ébranlée. Lorsque Charles et Mamie Bameko sont placés en garde à vue, une pétition est lancée : « Acquittement du pasteur Charles Bameko Boketshu ». Elle a recueilli plus de 2.200 signatures et indique : « Nous demandons que justice soit faite car plusieurs vies, enfants et familles dépendent de la liberté de cet homme. » Mike, 24 ans, est d’origine congolaise. Le jeune homme énergique et révolté raconte que ses oncles et tantes sont adeptes de l’église. Il analyse :
« On est sur du culte de la personnalité. Il n’y a qu’à voir la manière dont les fidèles réagissent au procès. »
Pour ses proches, tout serait « complètement faux ». « Tout est mis en place pour détruire un pasteur dont la destinée serait trop forte pour nous autres, et nous serions les envoyés du Diable pour détruire un enfant de Dieu… On est sur de l’idolâtrie pure. » Par fanatisme, ils vont parfois jusqu’à nier le réel : lors de l’annonce du verdict, les quelques fidèles présents se réjouissent. Ils sont une dizaine à attendre dans la nuit devant le tribunal. Quand soudain, ils se mettent à scander : « Victoire ! Charles Bameko a gagné ! Merci Seigneur ! ». Le pasteur a pourtant bel et bien été condamné pour abus de biens sociaux, abus de confiance et blanchiment pour des faits qui se sont produits entre 2019 et 2022.
L’homme va reprendre ses prêches, comme si de rien n’était ou presque. Interrogés à la sortie de l’église, les fidèles parlent d’un « complot » exercé par « jalousie ». Personne ne semble croire en la culpabilité du prédicateur. Pourtant, son éditeur et ami Franck Cana n’est pas si radical : « Il a péché beaucoup plus par négligence, par ignorance et parce que certains collaborateurs n’ont pas veillé à certaines choses » souligne-t-il, en ajoutant que, depuis, de l’ordre a été fait dans l’administration de Bostra.
La mère de Julien (1) fait partie des fidèles qui donnent religieusement « leur dîme » chaque dimanche. Chez les évangéliques, cette pratique est courante : il s’agit de donner environ 10% de ses revenus à l’Église. La mère de Julien continue de soutenir le prédicateur pendant la procédure judiciaire. « Elle n’arrêtait pas de dire que c’était n’importe quoi, que les accusations venaient de personnes jalouses ». Pour lui, l’importance des dons tient dans le discours sous-jacent de Charles Bameko :
« Indirectement, il sous-entend que si tu donnes, Dieu te le rendra. »
Un engouement qui étonne pourtant et qui est notamment dû à l’ascension fulgurante de Charles Bameko et à la singularité des fidèles qui le suivent.
L’ascension de Charles Bameko
Charles Bameko, 52 ans, se présente dans ses livres comme « le principal responsable de l’église de la Bonne Semence près de Paris ». « Un ministre de Dieu » qui n’a pourtant suivi aucune formation théologique en France ou à l’étranger. Il est originaire de la République démocratique du Congo et se forme au Togo auprès d’un pasteur évangélique appartenant à l’église dite du « réveil ». Un mouvement religieux qui a émergé avec l’avènement de la démocratie et de la liberté de culte dans le pays au début des années 1990. Il décide ensuite de partir pour la France, où il officie près de Rennes (35). En 2013, il rejoint la radio évangélique Pain du soir. « Dans cette structure, les messages de Charles Bameko vont faire la différence : on les trouve plus percutants, allant droit à l’essentiel pour résoudre les problèmes du quotidien », souligne son ami Franck Cana. Charles Bameko met en place des programmes de prière et sa notoriété va croissant.
Il s’autoproclame pasteur et se dit spécialisé dans « la délivrance ». La maladie, la sorcellerie, la guérison, le voyage en Occident ou encore les liens néfastes avec l’entourage sont au cœur de son discours. Des sujets qui plaisent particulièrement à la diaspora congolaise, marquée par la guerre civile, et qui le suit assidûment. Progressivement, le message de Charles Bameko va propulser la radio Pain du soir sur le devant de la scène évangélique.
En 2018, il quitte la Bretagne pour la région parisienne et ouvre une première église dans un local à La Courneuve (93). Il faut déménager plusieurs fois par manque de place, et il finit par s’installer à Pantin (93) où il officie depuis. En 2019, il lance la chaîne YouTube Bostra TV, dont les quelque 3.300 vidéos cumulent plus de 111 millions de vues à ce jour.
La notoriété de Charles Bameko est notamment due à l’importance de la diaspora congolaise, considérée comme l’une des plus grandes d’Afrique : en 2019, plus de 68.000 immigrés congolais vivent sur le territoire français. C’est sans compter leur importance au Canada, en Allemagne ou aux États-Unis. Aussi, la particularité de son message joue un rôle dans son succès : Charles Bameko sait parler à ses fidèles, il connaît leurs difficultés et peut fournir un message adapté à leurs attentes. Mike analyse :
« Il prend quelque chose qui est vrai, qui est écrit dans La Bible, mais tout ce qu’il va broder autour va servir ses intérêts in fine. C’est comme ça que les gens s’attachent à lui et non pas à la parole de Dieu. »
Avec Charles Bameko, chaque problème est le fruit d’un mauvais esprit qu’il faut chasser. Ses ouvrages en sont la preuve. On peut notamment lire, dans Vaincre les ennemis de ta destinée, publié en 2020 : « Si en Matthieu 10:36, il est écrit : “L’homme aura pour ennemis les gens de sa maison”, cela veut dire que les premières personnes à s’opposer à notre réussite dans la vie se trouvent dans nos familles […] et ce mal peut venir d’un père, d’une mère, d’un frère ou d’une soeur ». Un discours clair, simple à comprendre, qui repose sur une interprétation personnelle des textes selon Mike.
Quand on demande à Franck Cana pourquoi le prédicteur n’est pas passé par le cursus classique pour devenir pasteur évangélique en France, il répond :
« Les populations qui s’intéressent au message de délivrance ne veulent pas attendre que les gens aillent trois ans dans un institut pour apprendre la Bible. Ils ont un besoin urgent de soutien spirituel. »
Mike analyse : « Il prend quelque chose écrit dans La Bible, mais tout ce qu’il va broder autour va servir ses intérêts. C’est comme ça que les gens s’attachent à lui et non pas à la parole de Dieu ». / Crédits : Lea Taillefert
Le pasteur ou la parole d’évangile
La réussite du pasteur tiendrait donc à la nécessité urgente pour les fidèles de trouver des réponses. Un besoin de soutien dont témoigne Julien : « Ma mère avait beaucoup de traumatismes à régler. Elle a fui la guerre civile au Congo quand elle était encore une jeune adulte et elle n’a jamais consulté de psychologue ». Pendant le confinement, la mère de Julien perd sa meilleure amie et ne peut pas aller se recueillir dans son église, fermée pendant la pandémie. C’est alors qu’une femme lui recommande Bostra TV, dont les prêches en ligne sont continus et aisément accessibles. Julien et son entourage voient la mère de famille changer et tomber dans une forme de « fanatisme ». « Comme la plupart des fidèles, elle a suivi un parcours scolaire inexistant ou limité, puisqu’ils ont fui la guerre. Beaucoup pensent que si le pasteur le dit, c’est qu’il a raison. Ils n’ont pas les outils pour avoir un recul nécessaire », souligne Julien.
La parole du prédicateur comme parole d’évangile, c’est le risque selon Maria (1), 56 ans, ancienne adepte aujourd’hui éloignée du mouvement : « Beaucoup ne se sentent pas intégrés, ne savent pas lire, donc il faut les aider dans leurs démarches administratives. L’aide est conséquente et assez large. Cela permet aussi à la diaspora de se retrouver à travers des chants qui leur parlent communément, des repas, un soutien scolaire. » Mais le risque, c’est de considérer le pasteur comme seul maître de son « école de la délivrance » :
« C’est le nom de l’une de ses émissions, et c’est assez parlant. Il propose un véritable enseignement alors que selon moi 60% de son auditoire n’est jamais ou presque jamais allé à l’école. Certains n’ont même pas de Bible. »
Maria a immigré pendant la guerre, elle aussi. Elle s’est très vite reconnue dans les messages de Charles Bameko, car elle « souhaitait guérir ». Mais le procès l’a déçue, et depuis, elle voit d’un autre œil l’organisation évangélique : « J’ai été profondément choquée par cette affaire. Se faire de l’argent sur le dos des fidèles qui croient en lui… C’est détestable. Je me suis mis la communauté à dos, mais je ne pouvais pas faire autrement. »
Contacté par StreetPress, Charles Bameko n’a pas répondu à nos sollicitations.
Enquête de Léa Warrin avec les illustrations de Léa Taillefert.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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