« J’ai failli mourir. » Mourad, 29 ans, est encore sous le choc. Assis à la cafétéria de l’hôpital de Créteil (94), au côté de sa femme Émilie, il réalise tout juste ce qu’il s’est passé ce vendredi 17 novembre 2023. Ce jour-là, alors qu’il est au travail, un homme lui vocifère des insultes racistes, avant de lui entailler la gorge avec un cutter.
D’une voix tremblante, Mourad raconte les circonstances de l’agression. Avec ses deux collègues, le jardinier s’affaire à transporter les branches des arbres qu’ils viennent de couper dans un jardin de Villecresnes (94). Il est 13h50, des klaxons retentissent soudain. Leur camion bloque la route devant le pavillon. Un homme d’environ 70 ans sort alors de la voiture et lance : « Oh ! C’est chez moi les bourricots », avant d’y aller plus franchement dans l’insulte raciste et de hurler à plusieurs reprises :
« Les bougnoules, je suis chez moi ! »
« Je ne le connaissais pas. Je pensais que c’était un fou qui sortait d’un hôpital », se souvient Mourad, encore choquée par les événements. « J’ai sorti mon téléphone pour filmer, au cas où. Mais c’est une personne âgée, je ne m’attendais pas à ce que ça parte plus loin que des insultes. » À plusieurs reprises, l’homme répète la même insulte et crie à Mourad :
« Rentrez chez vous ! »
Une plaie de 15 centimètres et 15 jours d’ITT
L’homme retourne à son véhicule et revient avec un cutter à la main. « Quand j’ai vu le cutter et ses yeux… Son regard voulait tout dire. Un regard vide et déterminé. Là, j’ai commencé un peu à flipper. »
Mourad, jardinier, a été victime d’une agression raciste au cutter. / Crédits : Nnoman Cadoret
L’assaillant marche vers la remorque du jardinier et tente de la déplacer, en vain. Mourad continue à filmer tandis que l’homme s’approche de lui. « Là, ça va trop vite », nous raconte-t-il. « Il s’avance, me montre le sol, j’ai cru qu’il me demandait de regarder un truc, je baisse la tête et là le coup part. » Mourad est atteint à la gorge. La lame ouvre une large plaie cervicale de 15 centimètres, comme détaillé dans le compte-rendu médical consulté par StreetPress. La médecin a accordé au jeune homme 15 jours d’Incapacité totale de travail (ITT). StreetPress a pu consulter la vidéo prise par la victime, ainsi que l’enregistrement de la caméra de surveillance de la maison. Toutes les deux corroborent la version de Mourad.
Rajaa, la propriétaire du pavillon pour laquelle Mourad travaillait ce jour-là, appelle rapidement le Samu, qui arrive avec la police. « Ils ont été super rapides, ils étaient là en 6, 7 minutes », se souvient Mourad. Le jeune homme communique rapidement sa vidéo aux policiers. Sur celle-ci, la plaque d’immatriculation de l’agresseur est clairement visible. Le septuagénaire est arrêté chez lui dans la foulée.
La médecin a accordé au jeune homme 15 jours d’Incapacité totale de travail. / Crédits : Nnoman Cadoret
Difficile de porter plainte
Pendant l’altercation, Rajaa est chez elle et entend tout. « J’ai ouvert la fenêtre et j’ai vu un papi qui criait sur mes jardiniers : “Bougnoules !” », se souvient-elle. « Je suis musulmane, je porte le voile. Tristement je suis habituée aux insultes. Alors j’ai fermé la fenêtre, sans m’inquiéter. » Au téléphone, cette mère célibataire fond en larmes :
« C’est peut-être là que j’ai merdé. »
C’est elle qui va appeler le Samu et quelques heures après les événements, Rajaa s’est finalement rendue au commissariat pour déposer plainte où elle estime avoir été mal reçue. Face aux policiers, elle insiste sur le caractère raciste des faits. Un fonctionnaire lui aurait affirmé que « ce n’était pas la peine » de porter plainte. « Ils ont levé les yeux en l’air, comme si j’en faisais trop. » Rajaa n’a finalement pas la force d’insister et se promet d’y retourner un autre jour.
Depuis, la jeune femme vit dans l’inquiétude. D’autant qu’elle a découvert que l’agresseur porte le même nom de famille que sa nouvelle voisine et donc serait apparentée. La veille de l’agression, Rajaa a fait la connaissance de cette dernière. Les jardiniers ayant installé par erreur leur véhicule sur leur place réservée, celle-ci est venue s’en plaindre, dans un dialogue qui se voulait « très cordial » selon Rajaa. Malgré tout, cette mère célibataire est persuadée que « Mourad était juste au mauvais endroit au mauvais moment ». « C’était mes enfants et moi qui étions visés », estime-t-elle.
« Aujourd’hui, je me sens menacée », témoigne Rajaa. Elle raconte, bouleversée, qu’elle n’arrive pas à sortir de chez elle, de peur de rencontrer l’agresseur ou sa voisine. « Mes caméras ont filmé quelqu’un qui est venu rôder devant la maison, raconte-t-elle en larmes. Je psychote peut-être un peu… mais c’était un homme qui a regardé à travers mes fenêtres. »
Islamophobie ambiante
La propriétaire décrit un climat raciste dans son quartier de Villecresnes :
« Des gens comme moi, avec des origines, il n’y en a pas beaucoup ici et encore moins des propriétaires. Je sentais déjà des regards pesants. »
Mourad partage ce constat. À la fin de son récit, il précise d’un ton las, que c’est la deuxième fois en deux semaines qu’il subit des insultes racistes. « Heureusement qu’il y avait les caméras, souffle-t-il. Sans ça, il serait déjà sorti de garde à vue. Il aurait affirmé qu’on l’avait tapé, qu’il a juste riposté et il aurait été cru », pense le jardinier. Près de lui, sa femme acquiesce.
Mourad raconte que c’est la deuxième fois en deux semaines qu’il subit des insultes racistes. / Crédits : Nnoman Cadoret
Le jeune homme est non seulement soulagé de pouvoir prouver son témoignage, mais également de ne pas « donner raison aux racistes » :
« On est en train de bosser, on voit les bottes, on voit les branches. On n’est pas en train de voler ou de vendre de la drogue, comme ils aiment bien dire. »
Selon l’avocat de la victime, maître Hosni Maati, le septuagénaire devrait comparaître en comparution immédiate ce lundi 20 novembre pour violence volontaire avec armes (1). Une qualification insuffisante pour l’avocat. « Au vu des images en notre possession, il y a là une tentative d’homicide », nous explique-t-il. « Nous espérons que mon client obtiendra une réparation intégrale et à la hauteur de son préjudice. »
Contacté par StreetPress, le parquet n’avait pas répondu à nos questions au moment de la publication de l’article.
(1) Selon maître Hosni Maati, le septuagénaire agresseur a refusé d’être jugé immédiatement en comparution immédiate et son procès est prévu pour mai 2024. Il est ressorti avec un contrôle judiciaire qui l’oblige à pointer au commissariat deux fois par semaine. Il n’a en revanche aucune interdiction de retourner sur les lieux de l’agression.
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