« Parce que je n’ai pas souhaité m’entretenir avec elle, une journaliste de StreetPress se met à harceler mon entourage pour mendier des infos sur moi. La grande classe », écrit le 12 octobre dernier Thaïs d’Escufon à ses 22.000 abonnés Telegram et ses 37.000 followers Twitter (désormais X). Sur les deux réseaux, celle qui s’appelle au civil Anne-Thaïs du Tertre d’Escoeuffant partage des captures de plusieurs de nos messages, comme celui envoyé à Alice Cordier, présidente du collectif féministe identitaire Nemesis. Non sans humour, celle-ci avait répondu :
« J’ai un grand front, mais y’a pas marqué poucave dessus. »
Ce que Thaïs d’Escufon qualifie de harcèlement n’est rien d’autre qu’une démarche journalistique des plus classiques : StreetPress a cherché à interroger des militants qui ont croisé l’ancienne égérie identitaire, reconvertie en influenceuse masculiniste. Car depuis 2021 et la fin de Génération identitaire (GI), Thaïs d’Escufon a pris un grand virage politique. Elle joue désormais la tradwife, « épouse traditionnelle » en VF. Un courant originaire des États-Unis qui promeut un retour des femmes à leurs « rôles matrimoniaux traditionnels ».
Capture d'écran d'une vidéo de Thaïs d'Escufon. / Crédits : Capture d'écran
La femme au foyer qui parle aux incels
Premier tournant en 2021. L’ancienne porte-parole de Génération Identitaire s’est reconvertie en influenceuse d’extrême droite, quelques mois après la dissolution de son mouvement. Et elle a, dès le début, annoncé la couleur :
« Je pars en croisade sur YouTube. »
Miniatures calquées sur ce qui fonctionne sur la plateforme, titres en majuscules et récits très écrits, toujours construits autour de sa ligne identitaire. Ses premières vidéos cumulent entre 150.000 et 250.000 vues, score relativement élevé pour du contenu politique, et son canal Telegram se développe. Mais assez rapidement, elle stagne, voire perd de l’audience. Face à la dégringolade de son nombre de vues, Thaïs prend les choses en main l’hiver dernier, et annonce ce qu’on « ne verra plus sur sa chaîne YouTube ». Changement de thématiques, le discours identitaire passe au second plan, l’influenceuse est désormais « vidéaste militante qui parle de la psychologie des rapports hommes-femmes ».
Thaïs d’Escufon se consacre désormais à promouvoir un discours antiféministe et masculiniste. Au menu de ses vidéos : interprétation questionnable de la biologie, apocalypse du monde occidental qui viendrait de l’industrie pornographique, « debunkage » du patriarcat, « vérité » sur les amitiés homme-femme, « misère sexuelle », polyamour… Son nouveau contenu fait monter son audience, et elle touche un nouveau public, très réceptif à son discours.
Dernière vidéo de Thaïs titrée : « Où sont passés les vrais hommes », sous-titrée de : « Où sont passés les Lino Ventura, les Alain Delon et les Napoléon ? La dévirilisation de la France et de l’Europe est bien réelle ». / Crédits : Capture d'écran
Le rebranding ne sort pas de nulle part. Thaïs d’Escufon a une cible bien précise, une communauté d’hommes qui se sentent rejetés, pas en phase avec une société moderne dans laquelle ils ne trouvent pas leur place et qui, eux aussi, détestent les féministes : les incels. Ces derniers politisent leur solitude au travers d’une misogynie exacerbée. La pasionaria identitaire a tout pour leur plaire : elle coche les cases des canons de beauté contemporains. Elle est jeune, elle a fait des études supérieures et elle cajole leur égo et leurs insécurités en leur promettant qu’ils méritent une femme docile, au foyer, qui s’occupera de leurs enfants. Elle incarne un fantasme inaccessible pour son public, et fait de cela un de ses principaux arguments de vente. Et cette audience incel qui politise sa misogynie n’a pas besoin de beaucoup d’encouragements pour souscrire à l’idéologie identitaire dont elle a fait la promotion toute sa carrière.
Thaïs d’Escufon a certes tout pour plaire aux incels d’extrême droite auxquels elle s’adresse, mais elle risque bientôt de se retrouver dans une impasse. Quand on construit une audience plutôt lucrative sur des stéréotypes, mieux vaut y correspondre. La vingtenaire n’est pas encore rentrée dans le giron de ce qu’elle prône, ce qu’un certain nombre de militants d’extrême droite ne manquent pas de lui rappeler sous chacune de ses publications. Un commentaire revient souvent :
« Thaïs, quand est-ce que tu fondes une famille ? »
Une des vidéos les plus populaires de Thaïs, sortie il y a un an. / Crédits : Capture d'écran
Pas de concurrence
En attendant, Thaïs d’Escufon a la cote et ses vidéos dépassent régulièrement les 150.000 vues sur YouTube. Il faut dire que dans le petit milieu des influenceurs d’extrême droite français, il n’y a que peu de concurrence féminine. Et aucune ne se place précisément sur la ligne politique de Thaïs d’Escufon, encore moins avec le parcours qu’elle revendique. Ceux qui partagent des discours masculinistes, qui « décryptent les relations hommes-femmes » ou encore les « coachs en séduction », sont en immense majorité des hommes. Seule Virginie Vota aurait pu à une époque se rapprocher d’elle. Mais cette influenceuse tradwife, convertie à un catholicisme schismatique extrêmement conservateur, autrice d’un blog sur la « beauté naturelle », n’a jamais connu la célébrité de sa cadette.
Ce virage récent, s’il contient « clairement une part d’opportunisme » selon Magali Della Sudda, autrice d’un ouvrage consacré aux « nouvelles femmes de droite », ne sort pas de nulle part pour autant. Thaïs d’Escufon a toujours revendiqué défendre « la vision européenne d’une femme libre, mais qui a également une complémentarité avec l’homme européen et une place propre dans la famille, diamétralement opposée avec celle de la culture arabo-musulmane que nous ne voulons certainement pas importer chez nous », comme elle l’explique dans un débat avec Alice Cordier organisé par le magazine d’extrême droite l’Incorrect en 2021.
Vidéo sortie le 30 juillet 2023, titrée : « Pourquoi il faut absolument critiquer les femmes qui font ça ». / Crédits : Capture d'écran
La star de GI
Finalement, la trajectoire de Thaïs d’Escufon serait « tout à fait cohérente avec son profil sociologique, mais aussi avec son parcours militant » analyse Magali Della Sudda. Elle appartient à un réseau d’influenceurs identitaires aux évolutions similaires, comme Damien Rieu, Baptiste Marchais ou Julien Rochedy. Fille d’une famille noble de la région toulousaine, Thaïs d’Escufon est élevée dans un catholicisme axé sur « les valeurs familiales traditionnelles », mais pas dans un environnement particulièrement militant. Elle effectue un passage à l’Action française, puis se tourne donc vers Génération identitaire, qu’elle décrit à l’époque, selon plusieurs témoignages, comme un endroit où elle trouve de l’action, et où les filles sont mises à égalité avec les garçons, dans un collectif qui « présente bien ».
Toulouse (31) est la ville de ses débuts militants où elle est « membre du noyau dur » même si elle « n’était même pas dans le bureau », rapporte un observateur de l’époque. Anne-Thaïs est bien présente à quelques réunions, mais petit à petit, l’ancienne porte-parole se détache de sa section locale, commence à naviguer entre la ville rose et la capitale. Tant pis pour les petits nouveaux qui se pressent aux réunions locales et demandent : « Où est Thaïs ? » selon le même observateur. Les portraits d’elle affluent après sa participation à l’opération de com’ que tente GI lors de la grande manifestation contre les violences policières en juin 2020.
En parallèle, Thaïs d’Escufon se lance dans la communication politique en 2019, et devient même en 2020 community manager pour le député RN Sébastien Chenu, aujourd’hui vice-président de l’Assemblée nationale. Celui-ci la congédie en janvier 2021 suite à l’opération « Defend Europe : Pyrénées » des zids, et un passage de Thaïs dans l’émission de Cyril Hanouna Touche pas à mon poste. Il argumentera avoir découvert le militantisme identitaire de son employée à ce moment-là. Cette fin d’activité, sa forte notoriété, et la dissolution de Génération identitaire au même moment par le gouvernement l’amène à créer sa chaîne YouTube, aidée d’anciens zids qui s’y connaissent en vidéo. Le début de sa « croisade » en solo.
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