Saint-Denis (93) – « Nos quartiers ne sont pas des déserts, féministes ! Nos quartiers – ne sont pas – des déserts – féministes ! », scande au micro Loubna, 22 ans, debout à l’arrière d’un camion qui fait office de scène. La cinquantaine de personnes présentes à cette mobilisation l’applaudit. Les prises de paroles vont bientôt commencer. Au programme, plusieurs collectifs féminins du 93, tels que Justice et vérité pour Yanis [mort après une course-poursuite avec la police], l’association Mamama [qui vient en aide aux mères isolées et à leurs enfants], l’association Diivines LGBTQI+ [visibiliser les personnes afrodescendantes, afro-caribéennes LGBTQI+] ou encore le collectif Décolonisons le féminisme [Collectif de femmes et minorités de genre racisées].
Plusieurs collectifs, comme celui de Justice et vérité pour Yanis, étaient présent au rassemblement. / Crédits : Lina Rhrissi
« C’est notre deuxième évènement du genre », explique Massica, une des organisatrices de la « Marche féministe et antiraciste ». La première a eu lieu le 15 octobre dernier, « c’était il y a longtemps. Et c’est tout l’enjeu de notre démarche », explique la femme de 38 ans, bonnet vissé sur sa frange noire :
« On n’est pas des militantes professionnelles. On est des personnes concernées, des femmes précaires et racisées qui portent une lourde charge mentale au quotidien. »
« On s’inscrit dans le mouvement du 8 mars, mais il faut faire un temps d’arrêt sur nos revendications spécifiques d’habitants des quartiers populaires », précise Hanane, la co-organisatrice du mouvement et militante dyonisienne. Elle ajoute : « Dans nos quartiers il y a des figures féministes et il faut les mettre en avant. On a besoin d’espaces autonomes et non mixtes ! » Massica fini :
« Dans les milieux féministes, on sacrifie trop souvent la question de l’antiracisme, et dans les milieux antiracistes, on sacrifie trop souvent celle des femmes. »
Saloua tient le stand d'en cas à prix libre préparé par le collectif Justice et vérité pour Yanis. / Crédits : Lina Rhrissi
Personnes concernées
« Je suis là, car je me sens invisibilisée dans la lutte du féminisme blanc », témoigne Riham. « J’ai fait une heure de trajet pour venir ici. Je suis asio-féministe, et j’ai du mal à trouver un collectif engagé depuis le covid. » La jeune étudiante en son et image poursuit :
« C’est important que je sois là aussi pour donner de la visibilité, il y a tellement peu de jeunes filles du Sud-est de l’Asie qui osent se mobiliser. »
Alors qu’elle parle, Loubna, qui animait depuis le camion et qui est aussi la petite sœur d’Hanane, ajoute : « Il faudrait des mobilisations comme ça dans tous les quartiers ! ».
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« Je m’appelle Leina, j’ai 11 ans, et je suis déjà en colère… » Loubna est coupée par une voix enfantine. La petite Leina, a pris le micro et lit son poème devant la petite foule réactive : « Plus je comprends comment le monde fonctionne, plus la colère grandit. Je suis une fille racisée, et j’habite dans le 93. Que me réserve mon avenir ? »
Hanane est la co-organisatrice du mouvement. / Crédits : Lina Rhrissi
Aux abords de la mobilisation, trois lycéennes de l’établissement Angela Davis, venues participer, l’applaudissent. Pour Nissa, Shaina et Malek, 16 ans, « c’est nécessaire d’être ici ». Shaina précise : « Je suis une femme noire lesbienne, je me sens vraiment concernée par la cause car je suis victime d’énormément de discriminations. » Elle ajoute : « Depuis que je suis petite, j’ai été conditionnée à plus me battre que les hommes. Ce n’est pas normal. »
À Saint-Denis, la journée des droits des femmes est aussi contre le racisme. / Crédits : Lina Rhrissi
Réappropriation de l’espace
Les organisatrices ont spécialement décidé de l’endroit du rassemblement. D’un côté, il y a l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île de France. « Ce sont eux qui ont tous les chiffres des décès, des gens qui sont morts avant la retraite », explique Loubna. De l’autre, il y a le lycée de quartier : « Parce que c’est la jeunesse qui souffre le plus, et on ne les prend pas au sérieux ». Sa grande sœur, Hanane, grimpe sur le camion et s’empare du micro. Elle tonne, avec émotion :
« On veut que les élèves racisés et/ou lgbtqi+ trouvent leur place, sans souffrance. »
Camille, 32 ans, est professeure dans un autre établissement dyonisien. Elle commente : « Je vois les violences racistes que subissent les élèves. La précarité dans laquelle ils et elles vivent, dans laquelle les institutions les laissent. Ici, il n’y a jamais aucune mesure mise en place pour protéger les personnes victimes. »
A la fin de la mobilisation, les associatifs ont recensé plus de 200 participants. Sur la photo, à la deuxième place en partant de la gauche, Pierrette Pyram fondatrice de l'association Diivines LGBTQI+. / Crédits : Lina Rhrissi
Nous toutes ?
« Le 8 mars c’est hyper institutionnalisé ! », observe Massica. « On nous dit que nos quartiers sont des déserts féministes, que les femmes voilées ne peuvent pas être féministes, que les hommes des quartiers populaires sont systématiquement sexistes », reproche la trentenaire. Dans la mobilisation, tout le monde est d’accord. « Il faut plus d’intersectionnalité ! » déclare Riham. Mais « c’est important de participer à la marche, et de montrer qu’on est là », tempère Lilia, membre du collectif féministe du Pain et des roses [association féministe].
C'est le deuxième évènement du genre organisé par le collectif. / Crédits : Lina Rhrissi
D’autres refusent de s’y rendre, comme cette membre du collectif Nta Rajel ? [collectif féministe composé de personnes issues des diasporas nord-africaines], co-signataire de la mobilisation, qui préfère rester anonyme :
« Je ne vais pas à la marche nationale parce que je n’y suis pas représentée. Nous on va à leur manif et eux ne viennent pas aux nôtres. Ils ne jouent pas leur rôle d’alliés. »
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