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    20/04/2022

    Une guerre de motards se prépare-t-elle ?

    L’événement contre la mucoviscidose tourne à la baston entre bikers

    Par Julien Rieffel

    Tout part d’un beau geste. Une asso de passionnés de camions organise un événement caritatif au profit de l’association Grégory Lemarchal. Mais la fête a été le théâtre d’affrontements ultra-violents entre des groupes de bikers criminalisés.

    Nœux-les-Mines (62) – Au pied de la piste de ski artificielle, le club de routiers du Nord Ch’ti Truckers organise ce samedi 9 avril, un rassemblement de camions au profit de la lutte contre la mucoviscidose. Les bénéfices de l’événement iront à l’association Grégory Lemarchal. Les enfants, présents en nombre, peuvent effectuer un baptême de camion ou s’amuser à descendre les grands toboggans gonflables installés pour l’occasion.

    Quelques mètres plus loin, plus reculé sur le parking sous un chapiteau noir, il y a les Black Shadow North (BSN), un motoclub partenaire de l’événement. À 16h, « en plein boom, quand toutes les familles commencent à arriver », raconte un bénévole des Ch’ti Truckers, une « vingtaine de types cagoulés » débarquent sur le parking du site et à l’entrée. Le groupe tombe sur le président BSN à bécane, qui accompagne un baptême moto. Il se fait « lyncher », selon un membre BSN présent, qui a souhaité rester anonyme :

    « Ils avaient des battes de baseball, des poings américains et nous ont dit qu’ici, c’était leur territoire. »

    Une bagarre qui pourrait être le premier acte fort d’une guerre de territoire violente opposant plusieurs gangs de bikers 1%, – en référence aux 1% de motards criminels, qui ne respecteraient pas la loi.

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    Une affiche pour le moins chargée... / Crédits : DR

    Cinq blessés, dont deux graves

    Après avoir tabassé le président des Black Shadow North, l’équipe punitive fend la foule en direction du stand BSN. Emma, 24 ans, était sur place, simplement venue passer une tête à la petite fête :

    « Ils étaient armés de battes, de matraques télescopiques et de tasers. Ils sont arrivés et ont détruit le stand des motards. Ils se sont acharnés sur eux. »

    L’organisateur des Ch’ti Truckers complète : « Même nous, on s’est fait menacer avec leurs battes de baseball. On nous a fait comprendre que c’était mieux de s’écarter et de ne pas s’en mêler. » Une vidéo a été tournée par un homme pour filmer la scène selon Emma, « mais l’un des motards l’a vu et l’a obligé à la supprimer. Il le menaçait avec une batte ».

    Le bilan du passage à tabac est assez lourd : cinq blessés, dont deux graves. Le vice-président des Black Shadow est resté plusieurs jours en soins intensifs, en raison « d’un œdème cérébral, d’une fracture à la pommette et d’un déplacement de la mâchoire », liste le membre anonyme du club agressé. Selon lui, le crew était là « bénévolement » pour proposer « des baptêmes à moto aux enfants » :

    « Nous ne sommes pas un gang de motards, mais une association d’anciens militaires qui s’investit dans des actions caritatives locales ! »

    Une présentation du club, reprise dans ces termes par la Voix du Nord qui la première révèle l’affaire. La réalité est en effet toute autre…

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    Dans la presse locale, les Black Shadow North sont présentés comme une asso d'ancien militaire qui font du caritatif. La réalité est bien autre : le groupe est une sorte d'annexe du motoclub de Serge Ayoub. / Crédits : DR

    Des soutiens de Serge Ayoub

    Les Black Shadow North sont un club de moto supporter (sorte d’annexe ou de structure vassale) du motoclub 1% international Gremium MC, dont la section française est dirigée par Serge Ayoub et composée de huit chapitres. Avec l’ancien boss des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR), dans cette nouvelle aventure, pêle-mêle : d’anciens membres du Bastion social, de Génération Identitaire ou du White Wolf Klan, un groupuscule néonazi qui a terrorisé la Picardie au début des années 2010. On retrouve également d’anciens JNR – groupe violent d’extrême droite, dissous à la suite du meurtre du militant antifasciste Clément Méric – qui ont suivi Ayoub dans cette nouvelle aventure.

    À LIRE AUSSI : Règlement de comptes chez les bikers néonazis de Serge Ayoub

    Parmi le butin des agresseurs de ce samedi, au passage : la veste blanche du président des Black Shadow. La même que celle portée par Serge Ayoub. Des membres du club de moto, dont le président, ont d’ailleurs pris la pose avec Batskin, lors du troisième anniversaire des Gremium France, en novembre dernier.

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    Preuve de leur amitié avec Serge Ayoub, des membres du Black Shadow North, dont le président, ont pris la pose avec lui, lors du troisième anniversaire des Gremium France, en novembre 2021. / Crédits : DR

    Face à ces éléments, le membre anonyme du Black Shadow North revient sur sa version : « Oui, on est club support Gremium, mais on s’est arrangé pour garder notre indépendance. On ne doit rien aux Gremium, ils ne nous demandent rien, on ne leur paye rien. » À quoi bon, donc, s’afficher avec le patch Gremium et ainsi encourir de tels risques ? « Ça doit nous apporter la sécurité, étant donné qu’on est support d’un gros motoclub, les autres gangs n’osent pas s’aventurer car ils savent qu’il peut y avoir des représailles ». Loupé…

    Le motard anonyme l’assure, il n’y aurait pas de représailles en préparation :

    « Les Gremium et Serge Ayoub ont été informés de l’agression dans les dix minutes. Ils nous ont conseillés de passer par les voies de la presse pour nous expliquer. »

    Les Chosen Few en embuscade

    Une déclaration à prendre avec des pincettes, mais un communiqué a bien été publié sur Facebook et envoyé aux médias locaux. Celui-ci se conclut de la sorte :

    « Nous accusons les Chosen Few MC, les Nordik Crew MC et le Steel Head MC, en bande, avec armes et préméditation de nous tuer. »

    Pour Étienne Codron, criminologue et spécialiste de l’univers des motards 1%, ces mystérieux gangs de bikers du Pas-de-Calais sont « des clubs indépendants » mais ont « un certain degré de proximité » avec les célèbres Hells Angels. Le chercheur prévient :

    « Les Chosen Few, notamment, c’est du lourd. »

    En 2015, une opération de gendarmerie a permis de démanteler le gang bleu et blanc des Chosen Few et de mettre en examen quatorze de ses membres pour association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants, transport d’armes en bande organisée, recel et extorsion. Rien que ça. Au cours des perquisitions, ont été saisis des insignes néonazies, des armes, près de 50.000 euros en espèce et 800 grammes d’amphétamines, détaille Mediacités. En octobre dernier, devant le tribunal correctionnel de Lille, aucune peine de prison ferme n’a pourtant été prononcée. Selon la justice, il n’y aurait pas eu suffisamment d’éléments pour caractériser les infractions…

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    Les Chosen Few est un groupe proche des Hell’s Angels, condamné en 2021 pour trafic d’armes et de stupéfiants. / Crédits : DR

    Si les couleurs des motards du commando punitif n’étaient pas visibles, selon les témoins, le parquet de Béthune a bien ouvert une information judiciaire et trois des agresseurs présumés ont été présentés à la justice le 11 avril. Ils sont pour l’instant placés sous le statut de témoins assistés. D’après nos informations, la composition du trio est la suivante : un membre du MC Steel Head, un membre du Chosen Few MC et son fils.

    Le vice-président actuel des Chosen Few, qui a contacté de lui-même StreetPress quand il a eu vent de notre petite enquête, confirme la présence des siens ce samedi 9 avril, mais tempère : « On était sur place pour rencontrer les types de l’association poids-lourds afin de récupérer leur carte de visite. On compte organiser un show américain dans les semaines qui viennent. »

    Selon lui, ce sont plutôt les Black Shadow North qui seraient à l’origine de la rixe : « Ça a dégénéré car ce sont eux qui ont sorti des battes de baseball pour nous intimider ». Il ajoute :

    « Ce weekend-là, je n’étais pas sur place mais à Paris. Vous imaginez bien que si on avait prévu une telle opération, le vice-président national que je suis aurait été présent. »

    Des bikers équipés

    Les Black Shadow North étaient-ils équipés comme l’affirme le vice-président rival ? « Non, nous n’avions rien du tout », nie le biker anonyme BSN. StreetPress a pourtant retrouvé des vidéos prises dans l’après-midi, bien avant l’agression, qui montrent le contraire. Sur l’une d’entre elles, un membre des Black Shadow North pose avec une batte de baseball aux couleurs des Gremium. De manière caritative, sans doute…

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    S'ils assurent qu'ils n'étaient pas armés au rassemblement caritatif, StreetPress a bien retrouvé des vidéos d'eux dans l'après-midi où ils posent équipés. Notamment ici, où un joyeux biker pose avec une batte de baseball. / Crédits : DR

    Toujours selon nos informations, les commissariats du coin étaient avertis des menaces. Et selon un bénévole des Ch’ti Truckers, « plusieurs rondes de police et de gendarmerie, au moins cinq fourgons entre 10 et 16h » sont passés. Ce sont même les BSN qui ont prévenu le commissariat local la veille de l’événement. « On craignait pour notre sécurité », avoue le membre anonyme du motoclub, qui pourtant jurait quelques instants plus tôt être venu « l’esprit tranquille ».

    Une crainte que ça dégénère

    Contacté, ledit commissariat n’a fait aucun commentaire et a lancé un appel à témoins le weekend de Pâques. Maintenu, l’événement a donc été le théâtre de scènes extrêmement violentes, qui restent encore aujourd’hui dans la tête d’Emma, l’une des témoins :

    « Je passe des nuits difficiles depuis samedi. Les hurlements, les cris, les pleurs… Ces images me hantent toujours. »

    Dans ses enquêtes précédentes sur le sujet, StreetPress a raconté comment le déploiement des Gremium et d’autres motoclubs 1% – comme les Bandidos ou les Vagos MC – crispait la concurrence et faisait craindre le début d’une guerre de territoire dans le quart Nord-Est de la France. « Avec le printemps et le retour du beau temps, on reprend les festivals et les runs, on sort les motos, les couleurs… Donc plus de risques de croiser l’autre et de se mettre sur la gueule », nous a même indiqué Etienne Codron, le criminologue spécialiste de ces gangs, il y a quinze jours. Une anticipation qui a fait mouche.

    Selon nos informations, une alerte a été envoyée au Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) pour prendre en main le dossier de Noeux-les-Mines et suivre de près la situation. Avec la crainte que tout cela dégénère davantage. Comme ça a pu être le cas dans d’autres régions par le passé. En septembre dernier, des bikers Hells Angels du Sud-Ouest se sont attaqués à un groupe local du gang concurrent des Rebels, à Tarbes, en marge d’un salon américain. La rixe entre motards a fait un mort, et cinq blessés, dont deux graves.

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