En ce moment

    07/04/2023

    Des messages d’une extrême violence

    Des militants d’extrême droite discutaient d’un projet d’attentat contre Bilal Hassani

    Par Julien Rieffel

    En amont du concert de Bilal Hassani à Metz, finalement annulé, des militants d’extrême droite ont longuement évoqué l’idée de commettre un attentat au moment du show. StreetPress s’est procuré les échanges. Ils sont d’une violence extrême.

    Ce sont des messages d’une extrême violence. Sur plusieurs chaînes Telegram, des militants d’extrême droite évoquent l’idée de commettre un attentat contre le chanteur Bilal Hassani, à l’occasion de sa venue à Metz ce mercredi 5 avril. Un concert finalement annulé. Nous avons, avant la publication de cet article, prévenu l’artiste de la teneur des messages que nous nous sommes procurés.

    En amont du concert, des militants d’extrême droite qui semblent pour la plupart habiter l’Est de la France, projettent une action violente, homophobe et raciste à l’occasion de la venue de Bilal Hassani. « Ça va être une dinguerie », annonce l’un. « Mercredi je serai là avec ma petite lame auto, ma ptite cagoule verte et mes coqués », fanfaronne un autre qui semble envisager une agression, sans qu’on sache si c’est le public ou l’artiste qui serait visé. D’autres évoquent même l’idée d’aller plus loin :

    « Je sais aussi fabriquer des bombes, des cocktails molotovs, des projectiles de fou et des grenades. »
    « Je pensais plus à un incendie. »
    « On peut attaquer le PD à l’acide. »

    StreetPress n’était pas directement présent sur la chaîne Telegram où l’essentiel de ces messages ont été échangés. C’est une source militante « infiltrée » dans différents canaux d’extrême-droite qui nous a transmis des dizaines de captures, dont quelques-unes ont déjà été publiées sur le compte Instagram metz_antifasciste.

    Un concert dans une église désacralisée

    Ce mercredi 5 avril, le chanteur Bilal Hassani devait se produire dans l’ancienne basilique Saint-Pierre-Aux-Nonnains (57), désacralisée depuis 500 ans et devenue depuis quelques années un espace culturel de la ville de Metz. Le concert a finalement été annulé la veille « à la vue des menaces formulées à l’encontre de Bilal Hassani et de son public », expliquait alors la production dans son communiqué.

    Tout débute il y a dix jours environ quand un collectif messin baptisé Lorraine Catholique monte au créneau. Ils ne voient pas d’un bon oeil la venue de l’artiste et appellent à les rejoindre pour une « prière » devant l’ancienne église, au moment même du show. L’organisation d’extrême-droite catholique Civitas partage sur ses réseaux l’annonce de l’opération. Tout comme le groupe identitaire Aurora. Ce groupuscule Lorrain qui s’est construit sur les cendres de Génération Identitaire, après sa dissolution en 2021, diffuse sur Instagram une vidéo particulièrement efficace. Elle est reprise, au début de la semaine par différents médias. Dans cette capsule, Léo, leader d’Aurora Lorraine, invite l’extrême droite à se rassembler avant le concert. Ça, c’est la façade visible. En sous-marin, ils projettent une action bien plus radicale…

    L’idée de commettre un attentat

    Il y a quelques jours, le compte Twitter Tajmaât publiait un thread révélant l’existence d’une chaîne Telegram baptisée « FR DETER ». Dans cette boucle aux 7.300 abonnés, de nombreux identitaires évoquent l’idée de mener des actions locales violentes, comme des ratonnades ou des projets d’attentats contre des mosquées.

    Dans le canal Telegram « FR DETER Moselle » que notre source a pu infiltrer, l’appel d’Aurora Lorraine contre la tenue du concert de Bilal Hassani est alors partagé par Henri.T. Ce militant identitaire est l’un des membres du noyau dur d’Aurora Lorraine.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_1_1.jpg

    Dans le canal Telegram « FR DETER Moselle » que notre source a pu infiltrer, l’appel d’Aurora Lorraine contre la tenue du concert est partagé par Henri.T, un des membres du noyau dur d’Aurora Lorraine. / Crédits : DR

    Il tente d’ailleurs de recruter parmi les abonnés du canal FR DETER Moselle, des nouveaux militants pour Aurora Lorraine en les invitant à participer à une « séance de boxe » du groupuscule identitaire.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_2_1.jpg

    Le militant identitaire Henri T. tente de recruter des nouveaux militants pour Aurora Lorraine parmi les abonnés du canal FR DETER Moselle. / Crédits : DR

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_3_0.jpg

    Henri T. propose aux membres de FR DETER Moselle des séances de boxe avec son groupuscule d'extrême droite. / Crédits : DR

    Il existe une autre boucle Telegram beaucoup plus « select » encore et beaucoup plus violente qui envisage de s’en prendre à Bilal Hassani. La chaîne, baptisée « Discussion natio Metz », regroupe certains des militants les plus violents du canal mosellan de « FR DETER ». Sur cette chaîne qui compterait quelques dizaines de membres, les projets d’actions armées contre le concert de Bilal Hassani et la manifestation de soutien au chanteur, programmée le soir du concert, fleurissent. Notre source, un militant antifasciste infiltré à l’intérieur, témoigne :

    « C’est ce groupe qui est à l’origine de toutes les menaces contre le concert. C’est le groupe le plus violent qu’on a pu rejoindre. »

    Dans un premier temps les militants d’extrême droite envisagent de s’en prendre à la manifestation de soutien :

    « – Moi j’ai un peu de tout, des armes blanches aux armes à feu. Je sais aussi fabriquer des bombes, des fumigènes, des cocktails molotov, des projectiles de fou et des grenades mais moins puissantes que les vraies et des petites bombes. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_6_2.jpg

    Un membre du groupe expose son arsenal et confie qu'il sait fabriquer « des grenades » et des « petites bombes ». / Crédits : DR

    « – Ça va taper de ouf mercredi. »
    « – Perso, mercredi, je serai là avec mes 44 de sécu, ma petite lame auto, ma ptite cagoule verte et mes coqués. »
    « – Moi aussi normalement. »
    « – J’hésite même à ramener ma veste de protection coqué mais je préfère garder une bonne liberté de mouvement s’il y a une confrontation. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_7_0.jpg

    Les militants d’extrême droite envisagent de s’en prendre à la manifestation de soutien, prêts à se battre violemment. / Crédits : DR

    Ils discutent ensuite de différentes options d’attentat qui viseraient plus directement l’artiste :

    « – Faut faire plusieurs attaques simultanément. »
    « – Je pensais plus à un incendie. »
    « – Le plan d’attaque principal les voitures ? »
    « – Perso c’est la meilleure option sans dégrader la basilique. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_4_4.jpg

    Les membres du canal Telegram select discutent de différentes options d’attentat qui viseraient plus directement l’artiste, comme un incendie et viser les voitures. / Crédits : DR

    « – Moi en vrai cocktail Molotov ça pourrait être bien mais faut voir si le camion est assez éloigné de l’église. Après, on peut attaquer le PD à l’acide. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_5_2.jpg

    Un des membres du groupe propose avec un emoji d'attaquer Bilal Hassani « à l'acide », après avoir discuté de cocktails Molotov. / Crédits : DR

    Des militants d’autres régions

    Sur cette même conversation, on apprend également que « des mecs de Reims et Paris » devaient monter pour l’occasion. Deux villes connues pour leurs groupuscules de hooligans d’extrême droite comme les MesOs et les Zouaves.

    Sur une autre chaîne Telegram, baptisée Les vilains fachos (LVF), connue pour regrouper des militants néonazis parmi les plus radicaux, on évoque également l’idée de s’en prendre à Bilal Hassani. L’un des administrateurs (anonyme) annonce même à la communauté qu’il fera le déplacement. C’est sur une précédente mouture de cette même chaîne qu’avaient fleuri des menaces de morts visant (parmi d’autres) le rédacteur en chef de StreetPress.

    Les projets de violences racistes et homophobes prennent en quelques jours de l’ampleur. Ce sont ces menaces qui ont conduit à l’annulation du concert. L’entourage de Bilal Hassani a été alerté par la préfecture, qui craignait la présence de bandes d’extrême droite aux abords de la salle, en plus du rassemblement des catholiques intégristes. La préfecture disait craindre pour le public de l’artiste.

    Si le projet de rassemblement du groupe Telegram ne fait aucun doute, nous ne savons pas si le projet d’attentat relevait du fantasme ou si des préparatifs concrets avaient été entamés. C’est la justice qui le déterminera. Contacté jeudi par StreetPress, le parquet de Metz a confirmé l’ouverture d’une enquête contre X pour « menace de délit contre une personne en raison de son orientation sexuelle, provocation à la haine contre une personne en raison de son orientation sexuelle et provocation publique et non suivie d’effet à commettre un crime ou un délit. » Nous ne savons pas si la justice a déjà connaissance des échanges que nous publions ici.

    Ludovic Mendes, député Renaissance de la 2ème circonscription de la Moselle, a de son côté annoncé qu’il allait demander à Gérald Darmanin la dissolution « des groupes identitaires à l’origine de ces intimidations ». Contacté par StreetPress, le député indique n’avoir jamais entendu parler d’Aurora avant la semaine dernière et cet appel à la mobilisation.

    Qui se cache derrière Aurora

    Ce n’est pas la première fois que les militants d’Aurora Lorraine font parler d’eux sur Metz. À l’été 2022, le mouvement a sorti le grand jeu en reproduisant grandeur nature la scène de crime du meurtre d’un jeune homme de 22 ans en centre-ville. L’action, partagée sur les réseaux sociaux du groupe, avait ainsi connu son petit succès et attiré les médias locaux.

    Le groupuscule s’est créé il y a environ deux ans et fait partie de ces nombreux groupes locaux ou régionaux à avoir vu le jour à la suite de la dissolution de Génération Identitaire. Son leader, Léo, est d’ailleurs l’une des anciennes têtes fortes de Génération Identitaire en Moselle. Il a fait ses gammes au sein du mouvement Jeunes du bloc identitaire en Lorraine : « Kerkant » (qui signifie « indomptable » en patois lorrain).

    On peut également noter que deux des lieutenants de Léo au sein du noyau dur du groupe, Théo.C et Henri.T – celui-là même qui fait la passerelle entre Aurora et le canal Telegram « FR DETER Moselle » – se revendiquent comme membre du projet Argos, lancé à l’été 2022 par des anciens du groupuscule dissous et reprenant certains de ses codes et ses méthodes.

    À LIRE AUSSI : Argos France, les héritiers de Génération identitaire

    Par ailleurs, Henri.T figurait également parmi les petites mains de Génération Z, le mouvement des jeunes avec Eric Zemmour, en Moselle lors de la campagne présidentielle de 2022. L’identitaire a participé à plusieurs collages sur Metz au début de l’année 2022.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_8_1.jpg

    Membre du groupe qui a voulu s'en prendre à Bilal Hassani, Henri.T est aussi dans les petites mains de Génération Z, le mouvement des jeunes avec Eric Zemmour, en Moselle lors de la campagne présidentielle de 2022. / Crédits : DR

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo_9_2.jpg

    L’identitaire Henri T. a participé à plusieurs collages sur Metz au début de l’année 2022. / Crédits : DR

    On a cherché à en savoir plus sur les liens entre Aurora et la branche mosellane de Reconquête, d’autant que plusieurs « têtes d’affiche » du parti dans le département ont partagé l’appel à la mobilisation, en plus de se réjouir de l’annulation du concert sur leurs réseaux sociaux.

    StreetPress a joint « Thonia-Z », responsable de Génération Z en Moselle, via son collaborateur, qui nous a renvoyé vers Reconquête. Le parti indique que « ni Génération Z, ni Reconquête n’ont pris part » aux mobilisations contre le concert, avant d’ajouter que « s’il y a eu des réactions sur les réseaux sociaux de la part de certains militants, c’est tout à fait personnel. »

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER