« Nous avons déjà essayé de déconstruire les horreurs et les mensonges qu’il a pu écrire. » En 2014, l’ancien journaliste et homme politique Noël Mamère et le militant écologiste Patrick Farbiaz réagissaient au Suicide Français d’Eric Zemmour. Leur « Contre Zemmour » tentait de comprendre d’où venait le polémiste d’extrême droite, « de qui il s’inspirait, à partir de quel substrat politique il pouvait être entendu », rappelle Noël Mamère :
« Déjà, nous analysions les renoncements de la gauche et sa soumission progressive au néolibéralisme, l’attitude de la droite qui se comportait comme un prédateur sur les terres de l’extrême droite et le rôle des médias dans la mesure où Zemmour était dans On n’est pas couché. C’est le comble, il doit sa notoriété au service public ! »
Depuis, Eric Zemmour est candidat à l’élection présidentielle et rassemble derrière lui l’extrême droite nationaliste. L’occasion pour Noël Mamère et Patrick Farbiaz d’écrire un nouvel ouvrage : Le cas Zemmour. « On a souhaité que ce livre soit aussi une sorte d’aide à tous ceux qui veulent combattre Zemmour et qui doivent le combattre non pas avec des invectives mais avec des arguments », détaille Noël Mamère.
Pour vous, Eric Zemmour est au carrefour de trois courants. Lesquels ?
Il a derrière lui les « nostalgériques » de la colonisation, qui ne digèrent toujours pas la perte de l’Algérie, les identitaires par exemple et aussi la bourgeoisie catholique intégriste, issue du mouvement de la Manif pour tous. Ces soutiens datent de longtemps car le projet de Zemmour depuis des années est l’union des droites. Il y a travaillé avec Philippe de Villiers et Patrick Buisson. Un des bons exemples récents, c’est le passage de Guillaume Peltier, ancien vice-président de LR, de la droite à Zemmour. Ça annonce le projet de ce dernier : ce n’est pas d’être président de la République, mais comme il sait que Marine le Pen ne sera pas candidate une quatrième fois, il souhaite l’union des droites comme projet. Et, demain, il pourra avoir comme alliés des gens comme Laurent Wauquiez et Marion Maréchal-Le Pen. On peut se retrouver dans une situation où les digues tombent et on aura ce bloc « blanc » débarrassé de ces scories.
On a voulu expliquer tout ça dans ce livre quand on a vu que Zemmour allait se présenter. Cette candidature n’est pas celle d’un clown mais de quelqu’un qui est appuyé. On a regardé ce qui s’est passé depuis 2014. Les effets de la mondialisation, le Macronisme qui joue un rôle assez important dans la prospérité de Zemmour, la contamination de la droite par les idées de l’extrême droite, par exemple quand on voit les thèmes abordés par leur primaire…
C’est une conséquence directe du Macronisme selon vous ?
Oui, mais il n’y a pas que le Macronisme. Il y a aussi une responsabilité de la gauche et celle de Valls en particulier, qui incarne ce courant néoconservateur avec les propos sur les Roms, les lois sur le renseignement, l’état d’urgence permanent. C’est parti des années 90 quand la gauche a renoncé à défendre ses valeurs et s’est laissé contaminer par le néolibéralisme. Et quand on voit qu’aujourd’hui Manuel Valls propose la fin de l’immigration, du regroupement familial…
Quant au macronisme, c’est une grande imposture politique. Il a fait croire qu’il ne serait ni de droite ni de gauche, alors que c’est l’incarnation d’un libéralisme extrêmement dur sur la question des libertés avec la loi sécurité globale… Ou quand il explique que la sécurité est avant la liberté… Autant de thèmes qui ne font que montrer la prévalence et l’hégémonie de la pensée de droite. Ces gens-là n’ont fait que préparer le terrain à Zemmour, qui n’a plus qu’à incarner cette extrême droite qui était sous le boisseau depuis longtemps.
En 2002 vous étiez candidat à l’élection présidentielle. Imaginez-vous qu’on en serait là, 20 ans plus tard ?
Non, je ne l’imaginais pas. J’ai été choqué comme tout le monde de la présence de Jean-Marie Le Pen en 2002. Pour moi, c’était un signe de l’affaissement démocratique du pays et de la gauche qui ne savait plus parler à un électorat – qui s’est réfugié soit dans l’abstention soit dans l’extrême droite. Mais je n’imaginais pas en 2002 que la France, qui se présente comme un pays démocratique, puisse avoir en 2021 deux candidats de l’extrême droite et que la somme des voix de l’extrême droite et de la droite dure, incarnée par Valérie Pécresse, fasse près de 40%. Je ne l’imaginais pas. J’ai beaucoup combattu à l’Assemblée nationale la dérive de la gauche. J’étais parmi les six députés qui ont voté contre la prolongation de l’État d’urgence et j’ai combattu Valls qui m’avait accusé de n’avoir rien compris à la gauche et rien compris à la France. Bon bah… Voilà où on en est aujourd’hui.
Vous soulignez que derrière Zemmour, il y a les réflexions portées par la Nouvelle droite depuis 50 ans, l’aide du capitalisme conservateur de Bolloré et d’autres millionnaires… Comment combattre Zemmour malgré tout ça ?
On ne le combat pas, je pense, en acceptant les débats avec lui. Pour moi, le débat avec Mélenchon n’a pu que contribuer à lui donner une certaine légitimité. Ça a permis de cautionner cette idée que s’opposent deux visions du monde. Mais je pense que la vision de Zemmour n’est pas une vision du monde, c’est la défense d’un cimetière. Si on l’écoute et on le lit, sa France à lui n’aurait plus de femmes, plus de musulmans, plus de noirs… Plus que des hommes hétérosexuels et blancs. C’est plutôt étriqué !
Zemmour est le héraut d’une certaine bourgeoisie et d’un certain capitalisme. Il faut le répéter. C’est lui rendre service de débattre avec lui. Il faut déconstruire son récit qui est un récit fait sur-mesure pour promouvoir sa candidature. Et qui est un récit complètement fantasmé d’une France qui n’est pas celle qu’il vit et dans laquelle se retrouvent des gens qui sont paumés. Pourquoi ? Comme la droite est allée pêcher dans les eaux de l’extrême droite et que la gauche a complètement renoncé à défendre ses valeurs, quand vous avez en plus le réchauffement climatique, la pandémie qui est un fait social total, vous avez des Français complètement perdus et qui n’ont plus de références. Et d’une certaine manière, Zemmour apporte de l’ordre dans la confusion. Ils s’accrochent à ça mais il faut leur montrer que c’est une illusion suicidaire. Il faut que les écologistes et la gauche – pas celle du PS qui est en soins palliatifs, mais cette gauche de jeunes activistes qu’on voit dans la rue pour le climat et la justice pour tous – construisent un nouveau récit et une nouvelle offre politique.
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