Rangées de CRS de part et d’autre de la foule, slogans antifas, gaz lacrymo, gilets jaunes et « tout le monde déteste la police » scandés à l’unisson. Le samedi 27 novembre, à Paris, de Ménilmontant à place Saint-Michel, des milliers de manifestants ont marché contre l’extrême droite et le racisme. Dans la manif’, des drapeaux de l’Action Antifasciste, la Jeune Garde, de Solidaires, du Collectif Paris Queer Antifa ou du NPA. Un cortège inhabituel sort du lot avec ses K-way fluos, ses fumigènes bleus pétants et ses baffles qui diffusent Pookie d’Aya Nakamura. Une quarantaine de personnes, loups vénitiens artisanaux sur les yeux, se tiennent derrière une banderole argentée « Akira : révolution ou barbarie ». Ce sont les membres d’une nouvelle organisation qui s’est fait connaître il y a deux mois. « On veut ramener de la joie dans la révolution », explique Jeanne (1), doctorante en sociologie à l’EHESS.
Fin novembre, à Paris, des milliers de manifestants ont marché contre l’extrême droite et le racisme. Dans la manif’ un cortège inhabituel sort du lot. Une quarantaine de personnes se tiennent derrière une banderole argentée « Akira : révolution ou barbarie ». / Crédits : Nnoman Cadoret
Le mercredi 3 novembre au Sample, un lieu culturel alternatif installé dans une friche éphémère à Bagnolet, le collectif anonyme organisait sa première session de recrutement. Sur place, une dizaine de curieux et cinq membres reconnaissables à leurs masques dorés pailletés. Ils seraient une trentaine à militer dans la petite structure, tandis qu’une centaine de personnes, moins actives, graviteraient autour. Parmi eux, des enseignants, des chercheurs, des étudiants, mais aussi une infirmière, un cadre dans une ONG ou des salariés du privé. Tous habitent la petite couronne, mais « pas Paris intra-muros », tient à préciser Idriss (1), l’un des porte-paroles d’Akira, 26 ans, professeur d’histoire-géo dans un collège de Seine-Saint-Denis.
Dans la manif’, les soutiens d'Akira portent des loups vénitiens artisanaux sur les yeux. / Crédits : Nnoman Cadoret
Des totos en K-way colorés
Les membres fondateurs disent s’être rencontrés il y a plus de deux ans, certains pendant les manifestations des gilets jaunes en 2018 ou celles contre la loi Travail en 2016, d’autres encore ont fait connaissance dans des cantines solidaires auto-gérées de l’Est parisien comme la Cantine des Pyrénées, dans le 20ème arrondissement de Paris. Ils ne veulent pas citer les organisations militantes par lesquelles ils sont passés pour « n’être affiliés à aucun dogme ». Lucien (1), 30 ans, ancien journaliste passé par Sciences Po Paris devenu vendeur, assume lui avoir été influencé par la philosophie autonome promue par le Comité invisible.
« Le projet d’Akira m’a attiré parce qu’il y a l’idée de diffuser les pratiques de l’autonomie politique à des cercles beaucoup plus larges », abonde Julien. Un autre membre d’Akira croisé à la manifestation du 27 novembre confirme avoir fait partie de la mouvance autonome pendant des années et qu’il est loin d’être le seul :
« L’idée c’est de faire la jonction entre le cortège de tête et les intersyndicales. »
Un objectif et des accointances politiques que les porte-paroles désignés d’Akira préfèrent taire pour garder une image « mainstream ». « On avait la volonté de créer une organisation qui soit la plus ouverte possible et qui nous sorte de l’entre-soi, de la logique affinitaire dans laquelle on crée des groupes entre potes qui se crament au bout d’un an », défend Idriss, qui a notamment milité sur les bancs de Tolbiac. D’où l’idée d’un numéro de téléphone joignable par tous et de coups d’éclat qui s’appuient sur la viralité des réseaux sociaux. Revers de la médaille : depuis leur première apparition médiatique, une image très parisienne et un peu élitiste leur colle à la peau.
Le mouvement « Akira » garde une image très parisienne et un peu élitiste, depuis leur première apparition médiatique. / Crédits : Nnoman Cadoret
Dénoncer « la blague » de l’élection présidentielle
C’est le dimanche 19 septembre que le collectif fait parler de lui pour la première avec une vidéo Youtube publiée sur la chaîne de Cerveaux Non Disponibles. On y voit une jeune femme masquée en veste scintillante entourée d’hommes de main en blouson de cuir débarquer sur le perron du musée Carnavalet, dans le 3ème arrondisssement de Paris. Elle annonce sa candidature à la présidentielle de 2022 : « Nous sommes les enfants d’une époque en flamme mais dans ces flammes, je vois de la colère et de la révolte, je vois les peuples entiers se lever pour la dignité », déclame-t-elle sous les applaudissements des visiteurs. « On m’appelle Akira, un nom pour toutes et pour tous, un nom synonyme à la fois de rage et d’espoir. Un nom qui n’a ni parti, ni syndicat, ni lobby à remercier. » Jeanne, qui a participé à l’organisation de cet « happening » raconte qu’ils ont pu profiter d’un quiproquo. « On était super stressés, à tout chronométrer. Mais comme c’était les journées du patrimoine, les gens qui étaient là par hasard et les agents de sécurité ont cru que c’était une performance », s’amuse-t-elle.
Le dimanche 19 septembre, une jeune femme masquée en veste scintillante apparaît sur le perron du musée Carnavalet, dans le 3ème arrondisssement de Paris. / Crédits : Nnoman Cadoret
Mais dans les milieux militants, la mise en scène est largement raillée pour son décor chic et son ton théâtral. « C’est un happening du cours Florent ? », « C’est quoi cette merde de bourgeois hipster ? ». Sur Twitter, les moqueries et les insultes fusent. Mais les révolutionnaires ne se démontent pas. « On s’était déguisés en bourgeois », dit Jeanne. « L’idée c’était justement de reproduire les codes traditionnels d’une campagne pour dénoncer la “blague” de l’élection présidentielle », complète Idriss, « on n’est pas des bobos du 11ème et nos actions balaieront rapidement ces critiques. »
Le dimanche 19 septembre, Akira annonce sa candidature à la présidentielle de 2022. / Crédits : Nnoman Cadoret
L’objectif de la campagne Akira 2022, c’est justement d’occuper l’espace médiatique que représente l’élection présidentielle. Malgré le bad buzz, le pari est réussi puisque Médiapart puis Le Monde publient des articles après l’annonce de la candidature atypique. Au Sample, la sociologue Jeanne développe devant les nouveaux venus : « Ça va être un grand moment de triomphe des idées libérales, réactionnaires, voire fascistes. On veut investir ce moment d’attention médiatique pour rendre massivement visible un discours radical qui n’est jamais relayé par les candidats du pouvoir. »
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L’argument convainc Zoé, transgenre de 19 ans et adepte de freeparty, qui s’est déplacée pour en savoir plus sur Akira. « Cette campagne, on n’a pas d’autres choix que de se battre. Avec Macron et maintenant un Zemmour qui est en feu, moi ça me fait peur ! » Idriss ajoute que la candidature est sérieuse et qu’ils vont aller chercher leurs 500 signatures : « On souhaite imposer l’idée d’une candidature collective, et la question de savoir si on met un nom ou pas sur le bulletin de vote est encore en discussion. En tout cas, pour le moment, on souhaite demander aux maires de soutenir Akira et pas une candidature individuelle. »
Dans les milieux militants, la mise en scène d'Akira est largement raillée pour son décor chic et son ton théâtral. / Crédits : Nnoman Cadoret
Rendre la révolution instagrammable ?
L’autre point fort sur lequel veut s’appuyer le collectif, c’est son esthétique. Le nom est inspiré d’un célèbre manga japonais cyberpunk de Katsuhiro Otomo, paru entre 1984 et 1993 qui raconte l’histoire d’Akira, un orphelin détenteur d’un pouvoir capable de détruire le monde cauchemardesque qui l’entoure. « L’idée c’était de trouver quelque chose qui ne sonne pas sectaire comme “Union Communiste Libertaire”, qui soit joli et participe du mystère qu’on entretient », révèle le prof Idriss. « On veut se démarquer de l’esthétique militante classique qui utilise des codes de reconnaissance excluant le plus grand nombre et de s’en servir comme un outil au service de la lutte. » Anna, psychologue de 50 ans, qui vote aussi bien NPA que Verts, a vu une des affiches noires épurées « Rejoins la révolution » d’Akira dans sa rue dans le 19ème arrondissement. Séduite, elle a envoyé un SMS au numéro indiqué. « Ça a attisé ma curiosité, et vu qu’il y avait de l’arabe, je me suis dit que ça n’avait pas l’air facho. »
Selon Jeanne, le jour de l'action au musée Carnavalet le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Mais depuis, les initiatives se font attendre et le collectif peinerait à rassembler. / Crédits : Nnoman Cadoret
Une stratégie du mystère qui a en partie fonctionné. « Le jour de notre action au musée Carnavalet, c’était la folie totale, le téléphone n’arrêtait pas de sonner », se souvient Jeanne qui estime qu’ils ont reçu des milliers d’appels. Ceux qui prenaient leur téléphone tombaient sur un répondeur automatique : « C’est Akira. Vous souhaitez rejoindre la révolution. On vous rappelle bientôt. » Et, un mois plus tard, le 18 octobre, l’équipe a envoyé son formulaire toujours en ligne sur le site à tous ceux qui les avaient joints. « On a reçu environ 1.000 formulaires, dont pas mal de trolls d’extrême-droite, mais quelque 500 retours sérieux », affirme Idriss.
Mais depuis leur première action au musée Carnavalet, Akira n’a pas vraiment répondu à la promesse et les initiatives se font attendre. Le 22 novembre, le groupe a bien organisé une journée de formation au Sample mais l’entraînement au déplacement collectif en manifestation a dû être remplacé par des exercices pour gérer le stress à deux ou à trois. Trop peu de monde a répondu présent.
Le nom d'Akira est inspiré d’un célèbre manga japonais cyberpunk de Katsuhiro Otomo, paru entre 1984 et 1993 qui raconte l’histoire d’Akira, un orphelin détenteur d’un pouvoir capable de détruire le monde cauchemardesque qui l’entoure. / Crédits : Nnoman Cadoret
(1) Les prénoms ont été changés.
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