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    11/05/2017

    Comment on a ouvert l’université aux réfugiés

    Par Marie Bassi , Sarah Lefèvre

    Avec des collègues, Marie Bassi a créé un programme intensif d’apprentissage du français à destination des demandeurs d’asile et des réfugiés. Chaque jour, à Paris 3, ils sont 20 à bosser la grammaire ou la poésie. Ils rêvent d'intégrer la fac.

    L’année dernière, j’étais déjà prof à Paris 3 en science politique et je donnais des cours de français aux migrants sur l’esplanade de la Rotonde (Paris, 19e) avec le Baam [Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants]. En août et en septembre, j’y suis allée tous les jours. Certains élèves faisaient des progrès spectaculaires. Ils dormaient dehors sur le campement de Stalingrad. Une grande partie d’entre eux ont fait des études dans leurs pays d’origine et rêvent de les reprendre en France.

    A Paris 3, on enseigne essentiellement le théâtre, la littérature et les langues. J’avais envie de mêler ces deux parties de ma vie, la fac et mon engagement par le biais des cours de français que je donnais avec le Baam. Avec une collègue, Suzanne, enseignante de Français Langue Étrangère [Fle], on a décidé de créer ce programme : une remise à niveau en français qui leur permet ensuite de reprendre un cursus universitaire. Il y a certains critères sur lesquels nous ne voulions pas transiger, comme celui d’ouvrir ce cursus à tous, sans restriction de statut ou de nationalité. On voulait pouvoir accueillir aussi bien des réfugiés statutaires que des apatrides, des demandeurs d’asile en procédure normale ou d’autres en procédure Dublin. Ces derniers sont menacés d’expulsion vers le premier pays européen qu’ils ont traversé, bien souvent l’Italie et la Grèce.

    Cela aurait été bien plus facile de mettre le programme sur pieds avec des personnes en « situation régulière » comme on dit, plus simple aussi pour demander des financements. C’est un choix politique, une démarche bien plus large que des cours de grammaire française. Tous les profs qui participent sont bénévoles et ça fonctionne bien.


    « On voulait pouvoir accueillir aussi bien des réfugiés statutaires que des apatrides, des demandeurs d’asile en procédure normale ou d’autres en procédure Dublin. »

    Marie Bassi, prof en science politique

    Un large réseau de facs engagées en France

    Depuis deux ans, plusieurs initiatives comme la nôtre ont vu le jour dans des facs comme à Paris 7, à l’ENS, la Fémis ou dans des écoles d’architecture. Toutes sont coordonnées par le Resome, le réseau études supérieures et orientation des migrant.e.s et exilé.e.s. Ce collectif permet aux profs et aux étudiants qui ont mis en place ce type de programme dans leurs établissements respectifs de rentrer en contact, d’échanger leurs expériences, de coordonner leurs actions ou d’écrire des communiqués communs. Quand on a décidé de mettre en place ce programme avec Suzanne, on les a contactés. Ils nous ont beaucoup aidés. Des centaines de demandeurs d’asile ou réfugiés sont inscrits sur leur liste d’attente et espèrent reprendre des études.

    L’idée était de proposer notre cursus à des gens qui étudiaient déjà dans leur pays d’origine, des étudiants ou des niveaux bac avec une bonne maîtrise de l’anglais, ou capables de lire les langues latines. On a réuni une petite équipe pluridisciplinaire autour de nous. Quatre profs au départ : des enseignants de littérature, de français langues étrangères, de sciences po comme moi. C’est allé vite. D’autres nous ont rejoint. L’objectif était de réunir assez d’enseignants pour que chaque cours soit animé par deux profs. C’est l’idéal pour accompagner les élèves quand on fait des exercices écrits. On peut passer dans les rangs, prendre le temps de les aider. Il ne fallait pas que ce soit une charge non plus pour chaque prof bénévole. S’ils doivent partir en déplacement, les cours peuvent toujours être animés par le second enseignant. Ce projet nous a soudés. Un vrai groupe s’est formé.


    « On a été très clairs quand on les a recrutés. Certains pourraient peut-être intégrer la fac en septembre 2017 ; pour d’autres ce serait plus compliqué à cause du niveau de français. »

    Marie Bassi, prof en science politique

    Suzanne s’est occupée de cette équipe pédagogique et de l’organisation des emplois du temps. Moi plutôt du recrutement. Pour cette première année, on a proposé à 25 élèves de suivre ces cours. On a été très clairs quand on les a recrutés. Certains pourraient peut-être intégrer la fac en septembre 2017 ; pour d’autres ce serait plus compliqué à cause du niveau de français. Il faudrait refaire une seconde année de transition. Ce qui est sûr c’est que sans cette année, il leur serait quasi impossible de s’inscrire à l’université. La plupart ne parlait pas un mot de français en septembre.

    Cours intensifs

    Ce programme est basé sur deux axes : les cours intensifs de français d’abord – grammaire, phonétique, écriture – du lundi au samedi, 13 heures par semaine d’octobre à juillet, soit 2h par jour (sauf le samedi, 3h). On se rend compte que ça paye. Ils ont bien progressé depuis le mois d’octobre. On a pu sortir des cours classiques de langue. On a parlé des élections présidentielles, des programmes des candidats. Ils se posaient plein de questions. On les a aussi emmenés au théâtre, au musée d’histoire naturelle, au jardin des plantes. Ils ont fait une résidence d’une semaine avec Benjamin Lazar [metteur en scène de théâtre] au Carreau du Temple autour de l’écriture de poétique. Il y a des textes magiques. Certains se sont mis à écrire des nouvelles.

    L’autre axe du programme, c’est la mise en relation avec des étudiants français, pour que chaque apprenant ait un référent qui puisse le guider au sein de la fac. J’ai expliqué à mes élèves de science politique comment ça allait se passer pour ces étudiants étrangers sur le plan administratif, les différentes situations possibles. Un bon noyau de 6 ou 7 étudiants vient en cours avec nous quasi quotidiennement. Ils s’assoient à côté de ceux qui ont le plus de difficultés. Une autre dizaine de jeunes vient de temps en temps et nous accompagne pendant les sorties. Les élèves français les aident aussi à gérer tout le côté administratif : comment fonctionne la bibliothèque universitaire, qu’est-ce qu’un Crous, à quoi il peut servir, comment on écrit un CV ? Certains binômes sont devenus amis depuis le début de l’année.

    Des étudiants de tous horizons

    Dans le groupe, il y a une majorité de Soudanais, quelques Afghans, une Somalienne, un Érythréen, un Irakien et un Tchadien. Deux d’entre eux n’ont que le niveau bac. Avant, les autres étaient profs d’anglais, profs de maths, diplômés d’archéologie, étudiants en microbiologie, ou juristes. L’un est passionné de montage et veut s’inscrire à la Fémis. Un autre est ingénieur. On va le mettre en contact avec l’école des ponts et chaussées. La seule femme du cursus étudiait la médecine en Somalie. Elle n’est arrivée qu’à partir du second semestre. Sa mère l’accompagnait en cours. Elle n’a que 19 ans et, en plus de parler norvégien, anglais et swahili, elle s’en sort aussi bien que les autres en français.

    Un Iranien non-voyant a pu suivre les cours aussi. On a fait traduire une grande partie des textes de Fle en braille. Il a participé aux activités culturelles que l’on a organisées, comme des sorties dans des musées. Il a aussi écrit des poèmes magnifiques. Mais il n’a pas pu venir depuis un moment. Il a eu un refus de l’Ofpra et doit faire appel à la Cour nationale du droit d’asile [CNDA]. C’est très compliqué pour lui de travailler son recours. Il s’en occupe avec son assistante sociale et des avocats.


    « On espérait que ce programme agisse comme un filet de protection contre leur grande précarité juridique et administrative. C’est aussi pour ça que l’on a fait le choix de prendre des étudiants en procédure Dublin. »

    Marie Bassi, prof en science politique

    Un barrage contre l’expulsion

    Avec les collègues, on voit vraiment ce projet comme une lutte plus globale pour le changement des politiques et des pratiques migratoires en Europe et en France. On espérait que ce programme agisse comme un filet de protection contre leur grande précarité juridique et administrative. C’est aussi pour ça que l’on a fait le choix de prendre des étudiants en procédure Dublin. Eux sont vraiment menacés. On se disait que s’ils avaient les possibilités d’une insertion au sein de l’université, ce serait peut-être plus facile pour eux d’obtenir l’asile en France, de faire annuler l’expulsion.

    Pour l’un d’eux, le fait de suivre ces cours a peut-être un peu aidé. On a écrit des lettres pour expliquer la situation. Le Tribunal administratif a annulé son expulsion. Quatre autres sont toujours en procédure Dublin.

    Hassan a eu moins de chance. Cet étudiant tchadien a été expulsé en cours d’année vers l’Italie, malgré les 2500 signatures à la pétition, le soutien du Baam, du président de l’université, de l’ensemble de l’équipe pédagogique du programme, et une promesse d’inscription en littérature l’année prochaine. Ça n’a pas de sens. Il n’a aucune attache là-bas, ne parle pas italien, n’y a aucun projet. Au contraire, il a construit sa vie ici. Rien à faire, ils l’ont renvoyé. Il ne faut pas abandonner. Il faut continuer et surtout mutualiser les combats entre les différentes universités. Nombreuses sont les facs qui connaissent les mêmes problèmes.

    Ces programmes doivent se multiplier. D’abord, pour donner une opportunité à toutes ces personnes qui ont envie et besoin d’étudier. Elles et ils ont une histoire, une vie, un bagage intellectuel, des rêves. C’est en leur permettant de s’exprimer, de reprendre leurs études, d’exercer leurs métiers, qu’ils pourront s’insérer. Pour cela, tous doivent pouvoir apprendre le français. Notre rôle est de leur en donner les moyens.


    « C’est en leur permettant de s’exprimer, de reprendre leurs études, d’exercer leurs métiers, qu’ils pourront s’insérer. Pour cela, tous doivent pouvoir apprendre le français. Notre rôle est de leur en donner les moyens. »

    Marie Bassi, prof en science politique

    Ensuite, il est important de changer l’image que les gens ont des demandeurs d’asile ou des réfugiés en général. Ils ne sont pas des victimes qui ne comprennent rien aux enjeux du pays dans lequel ils s’installent. Ils n’attendent pas non plus leurs papiers comme des réceptacles passifs d’une politique migratoire injuste. Certains sont très politisés. D’autres moins. Comme partout. On a manifesté tous ensemble le 1er mai.

    Il y a un truc qui me plaît particulièrement dans ce projet : depuis quelques semaines, l’un des étudiants vient à Stalingrad après ses cours de français à la fac. Il donne des cours d’arabe aux profs de français. Renverser le processus, c’est le meilleur des retours que l’on pouvait imaginer.

    Crédit photo : ©Davon Henry

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