« Dublin, Dublin, Dublin ». Les immigrés le disent tout le temps. Ils savent que le premier pays qu’ils traversent est celui qui sera juge de leur devenir. Même s’ils n’ont aucune envie d’y rester.
Hassan*, la vingtaine, est un « dubliné ». Sa situation administrative relève du règlement de Dublin III, ce qui signifie que c’est le premier pays où il a été contrôlé, où l’on a relevé ses empreintes, qui est responsable de sa demande d’asile. Il doit quitter le territoire français le 20 mars prochain. Son cas est emblématique de la situation des exilés en Europe.
Un parcours migratoire classique
Tchadien, il a traversé le désert libyen dans des conditions humaines atroces. Il a ensuite pris un bateau, direction l’Italie, et a débarqué en Sicile. Jusque là, tout est (malheureusement) très classique.
Sur l’île italienne, Hassan a dû donner ses empreintes. Sous la pression de l’UE, ce pays a durci sa politique migratoire et doit désormais relever les empreintes de tous les nouveaux arrivants, par la force s’il le faut. L’Europe a même dépêché de nombreux officiers européens pour vérifier que la police italienne relevait bien les empreintes aux frontières.
De son côté, Hassan a ensuite pris la route pour la France en passant par l’Italie. Arrivé dans l’Essonne au début de l’été, la police a effectué un autre relevé d’empreintes. Elle a ensuite consulté la base de données européenne Eurodac, un système de reconnaissance digitale qui enregistre toutes les empreintes des exilés contrôlés sur le continent. C’est comme ça qu’elle a su que Hassan avait déjà été contrôlé en Sicile et que toutes ses démarches administratives de régularisation devaient donc s’effectuer en Italie, qui croule bien sûr sous les demandes d’asile avec ce fameux règlement Dublin.
Le règlement de Dublin se moque du parcours de chaque réfugié
Les agents de police ont alors expliqué à Hassan qu’il ne pouvait pas faire de demande d’asile en France. Après avoir été placé en procédure Dublin, il a été convoqué à la préfecture de l’Essonne. A l’issue de son rendez-vous, il a été placé au Centre de rétention administrative (Cra) de Palaiseau, au sud ouest de Paris, le 2 août 2016. Il a fait appel de cette décision devant le tribunal administratif de Versailles et a remporté le recours. Il a donc été libéré du centre.
Cependant la préfecture d’Évry a fait appel de la décision du TA de Versailles. La décision de la chambre d’appel est tombée à la fin du mois de février. Retour au Cra pour Hassan.
Entre temps, Hassan avait repris des études à l’université
J’ai rencontré Hassan un jour de septembre, il y a cinq mois, lors d’une énième opération d’évacuation du camp de migrants de Jaurès-Stalingrad, à Paris. Il regardait la nasse mise en place par la police, sans trop savoir quoi faire. Il observait. J’étais à côté de lui. On a commencé à parler. J’étais fascinée par son calme et son niveau de français.
Avec d’autres collègues de plusieurs disciplines, je préparais depuis l’été un cursus d’apprentissage intensif du français à destination des réfugiés. J’essayais de le mettre en place au sein de l’Université Paris 3, où j’enseigne. C’est un programme pour tous les exilés, qui souhaitent reprendre leurs études en France. Je lui en ai parlé ce jour-là et lui ai dit que si ça l’intéressait, je le tiendrais informé.
Tout immigré peut y accéder, peu importe le statut administratif : apatrides, demandeurs d’asile – en procédure normale ou Dublin – ou réfugiés. Ce choix de ne faire ni restriction statutaire, ni restriction de nationalité est un acte politique de notre part.
Hassan est venu en France pour reprendre ses études
Je l’ai recroisé trois semaines après notre rencontre, quand je donnais des cours à Jaurès. On avait entre temps finalisé ce programme d’apprentissage du français. Il est venu passer de courts entretiens pour ensuite intégrer le cursus.
« Hassan suivait bien les cours. Il est venu à certains TD de science politique que je dispense. Ironie du sort, le premier cours auquel il a assisté concernait la procédure Dublin. »
Marie Bassi, Membre du Baam et enseignante de science politique
Ces cours de Fle (Français langues étrangères) intensifs ont commencé mi-octobre. Il était présent tous les jours, du lundi au samedi inclus. Il a rencontré des étudiants de Paris 3 que l’on essaie d’intégrer au cursus pour qu’ils aident nos élèves, les soutiennent.
Hassan suivait bien. Il faisait partie de ceux à qui l’on a proposé d’assister à d’autres cours en auditeur libre. Par exemple, il est venu à certains TD de science politique que je dispense. Ironie du sort, le premier cours auquel il a assisté concernait la procédure Dublin.
Bien sûr, ils n’ont pas le même statut qu’un étudiant lambda ce qui complique la reconnaissance de ce suivi par l’administration ou la justice. Ce programme est bénévole et comme c’est tout nouveau, même s’il a lieu au sein de la fac, qu’il est reconnu et accepté par la présidence de l’université, la formation n’est pas “reconnue” officiellement et donc moins prise en compte par les juges.
On va essayer d’avancer sur ce point et de faire passer des tests officiels à nos étudiants avec une reconnaissance nationale pour l’apprentissage du français.
Le règlement Dublin l’a rattrapé
Quand Hassan a été placé pour la deuxième fois en détention, il ne savait pas ce qui allait lui arriver. Il avait reçu une nouvelle convocation de la préfecture d’Évry pour le 8 mars. Comme il est plutôt légaliste et qu’il a à cœur de suivre les procédures, il va toujours à ses rendez-vous. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde, puisqu’on ne sait jamais ce qui peut arriver. Ce jour-là, il y est allé avec une amie. Ils l’ont emmené.
La seule réponse de Hassan quand je l’ai eu la dernière fois au téléphone, c’était :
« – T’en fais pas, c‘est normal pour nous de dormir en prison ».
Là on a l’exemple parfait d’un jeune homme qui n’a qu’une envie, intégrer un parcours universitaire en France. Et on ne peut rien faire ?
On essaie de réunir un maximum de soutiens pour tenter de contrer cette décision. Des amis rencontrés en France, des profs et des élèves de Paris 3 ont écrit des lettres de soutien. 2.500 personnes ont signé la pétition que l’on a lancé contre son expulsion, prévue pour le 20 mars.
Il doit pouvoir continuer d’étudier en France et reprendre des études. Il a d’ailleurs été accepté en licence de littérature à Paris 3.
« Là on a l’exemple parfait d’un jeune homme qui n’a qu’une envie, intégrer un parcours universitaire en France. Et on ne peut rien faire ?. »
Marie Bassi, Membre du Baam et enseignante de science politique
Derniers espoirs ?
La validité du règlement de Dublin dure 6 mois, à partir de l’entrée sur le territoire. Si l’expulsion n’a pas lieu, Hassan pourra entamer une nouvelle procédure de régularisation en France et demander l’asile à la fin de ce délai.
Mais nous ne voulons pas attendre. On demande une régularisation à titre exceptionnel de Hassan au vu de son parcours exemplaire en France.
En revanche, cela ne règle pas le problème de tous les autres immigrés qui veulent s’installer pour étudier et qui demeurent tributaires de ce règlement Dublin. Cela ne règle pas non plus le problème des pays frontaliers comme la Grèce ou l’Italie à qui revient la charge de s’occuper de ces milliers d’émigrés. Il faut changer ce règlement et répartir équitablement les responsabilités entre les différents États européens.
*Prénom modifié.
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