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    10/04/2017

    25 ans de streetwear made in France

    Les légendes du rap s'habillent en Wrung

    Par Grégoire Belhoste , Michela Cuccagna

    De Lunatic à Mobb Deep, 25 ans que Wrung habille la frange la plus sauvage du rap indé. Même si les temps sont durs, les fondateurs de la marque gardent le cap. « On vient de ressortir un survêt’ comme on en faisait en 1999 », rigole Creez.

    L’Hay-les-Roses (94) – Un hélicoptère, des snipers sur le toit et la présence d’un chien renifleur. Le 21 avril 2015, lorsque François Hollande visite les locaux de Wrung, rien n’est laissé au hasard. « Pour un rendez-vous de deux heures, ils ont bloqué la zone toute une demi-journée », se marre encore Saer, 42 ans. L’opé de com’ porte sur l’entrepreneuriat social. Une horde de journalistes entoure le président de la République venu rendre hommage à cette boîte fondée vingt ans plus tôt par de jeunes banlieusards. Une visite validée, sans grand enthousiasme, par les membres de Wrung. Saer, responsable commercial de la marque emblématique du hip-hop français, soupire :

    « Ce qui était drôle, surtout, c’était de voir toutes les personnes qui le suivent et qui voulaient passer devant nous pour la photo. »

    Deux ans plus tard, la marque reçoit StreetPress dans sa boutique, rue de la Ferronnerie à Châtelet. Wati B, la marque de Sexion d’Assaut, Ünkut la ligne de Booba et Distinct de Rohff ont leurs boutiques à deux pas. Wrung fait figure d’ancien. La griffe existe depuis 22 ans. Autant dire une éternité dans le petit monde de la sape hip-hop. Bullrot, Royal Wear ou Com8, ses concurrents du début, ont depuis longtemps mis la clef sous la porte.

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    Ghetto blaster dans l'escalier / Crédits : Michela Cuccagna

    Dans la légende

    Le secret de cette longévité ? Une mentalité de petit commerçant. « On n’a jamais fait n’importe quoi avec l’argent », détaille Saer :

    « On ne dépense pas ce qu’on n’a pas et on réinvestit ce qu’on gagne dans la boîte.»

    Wrung possède quatre boutiques à travers la France : Paris, Lille, Bordeaux et Orléans. L’entreprise emploie une quinzaine de personnes, pour un chiffre d’affaire annuel de trois millions d’euros, revendiqués par la marque. Bien loin des 20 millions d’euros engrangés par Bullrot il y a quinze ans. « Dans la tête de plein de gens, on est resté l’éternelle marque underground, pose Saer :

    « Sauf qu’on a un truc que la plupart n’auront jamais : une crédibilité et une histoire. »

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    Tout le monde se sape en Wrung / Crédits : DR

    1995, quand la petite bande lance Wrung, Pascal aka Creez, aujourd’hui responsable des boutiques de la marque, est déjà une référence du graffiti parisien. Cinq ans plus tôt, il est apparu dans le clip Le Monde de Demain de NTM, signé du photographe Jean-Baptiste Mondino. Une étape parmi d’autres dans une vie bouillonnante. A 12 ans, Creez, né à Toulon, se retrouve en foyer à Paris à cause de galères familiales. Deux ans plus tard, l’adolescent arrête l’école.

    Clip NTM – Le monde de demain

    Son entrée dans le graff ressemble au pitch d’un film. Au début des 80’s, alors qu’il traîne près du Trocadero, lieu culte du hip-hop français naissant, Creez trouve un Posca par terre. De là naissent ses premières œuvres, d’abord au foyer, puis dans la rue, le métro ou les catacombes. Aujourd’hui encore, dans un coin de la boutique des Halles, trône une réplique miniature d’un wagon de train, orné d’un « Creez » en lettres rouges et noires. A 47 ans, Pascal peint encore. « Je ne lâche toujours pas le graffiti », appuie-t-il, en sifflant une bouteille d’Heineken :

    « Ça fait 30 ans que je suis à fond dedans, c’est mon kiff. Au début de la boutique, il y avait huit inconnus par jour qui se pointaient juste pour me voir. »

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    Creez, dans la peau / Crédits : Michela Cuccagna

    Nouvelle équipe

    L’histoire de Wrung commence à deux pas de la boutique mère de la griffe, au pied de la fontaine des innocents. A l’époque Creez, Cap 1, Satur, Wish ou Romain Cholleton les fondateurs de la marque, vendent, de la main à la main, quelques t-shirts ornés de leurs œuvres aux passants. Mais rien de très pro. « Comme nos t-shirts plaisaient, on a voulu développer le truc », se souvient Creez, 47 ans :

    « On a essayé de faire un prêt à la banque, mais on était pas ‘crédibles’, donc ils ne nous l’ont pas filé. Alors on tous mis 10 000 francs [2.000 euros] et on a crée une SARL

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    Les premiers modèles griffés Wrung – « tordu » en anglais – sont bruts, à l’image de leurs auteurs : un t-shirt floqué «Real Shit », un autre affichant une tête de pitbull, baptisé « Animal Instinct ». Hélas, ce business Do it yourself ne paie pas. Deux ans plus tard, faute de véritables revenus, l’équipe se disloque. Cap 1 décide de plancher sur les Lascars, un projet de série animée diffusée sur Canal +. De son côté, Satur devient graphiste chez Delabel, le label d’IAM et d’Assassin.

    Quelques potes du crew décident de sauver le navire. Le graphiste Eric, et Saer, commercial improvisé, rejoignent l’aventure. Vingt piges plus tard, les quatre hommes sont toujours là. Creez est responsable des boutiques, Romain gérant de l’entreprise, Eric directeur artistique et Saer responsable commercial.

    Le temps des copains

    Les premières années, chacun conserve un petit boulot. Pour gagner sa croûte, Creez joue le « tour manager » pour les groupes de rap les plus cotés du moment : La Cliqua, Ideal J ou le 113. Ils seront les premières égéries de la marque. « Comme tout le monde l’aimait, qu’il avait une voix qu’on écoutait et puis qu’il avait le permis, Creez s’est retrouvé à nous conduire lors des tournées. Et tout le collectif s’est mis à porter du Wrung », retrace Rocca, rappeur de La Cliqua :

    « Pour nos concerts, on vendait même des t-shirts en série limitée, floqués “là d’où l’on vient” ou “le vrai hip hop”. »

    (img) Ideal J en Wrung ideal_j.jpg

    Là encore, tout fonctionne à la débrouille. « Pour aller vendre nos sapes dans les magasins, j’utilisais de faux tickets de train de l’armée », raconte Saer. « Le service militaire était encore obligatoire, on devait faire les “trois jours” : l’armée t’obligeait à passer trois jours quelque part, pour savoir s’ils allaient te prendre ou bien te mettre de côté. Pour voyager, ils te donnaient un papier. » Et de conclure en se marrant :

    « Avec un pote, on a falsifié ces papiers pour pouvoir bouger à travers la France. »

    Des pubs commencent à apparaître dans les magazines spécialisés : Booba et Ali en baggys entourés d’une quinzaine de lascars, Ideal J en contre-plongée ou 113 au pied de la Tour Eiffel. La frange la plus sauvage du rap français s’habille chez Wrung. « La première fois que j’ai vu la Mafia K’1 Fry sur scène, c’est lorsqu’ils ont déboulé à quarante au Who’s Next [salon du prêt-à-porter] », se souvient Eric, la quarantaine, paire de lunettes rectangulaires vissée sur le nez :

    « Avec notre badge, on a fait rentrer tous les potes. Ils ont pris le micro de force puis Kery James a rappé sur scène. »

    Les jeunes entrepreneurs multiplient les coups de mains ici et là. « Mes premiers t-shirts Mafia K’1 Fry et African Armure [ligne affilée au collectif, ndlr], je les ai faits sous leur étiquette », rembobine Papou de la Mafia K’1 Fry :

    « A l’époque, je ne savais pas créer de logo sur Illustrator. Leurs graphistes de Wrung m’ont aidé. Quand j’ai signé mon deal, je leur en ai aussi parlé. On se comprenait parfaitement: on était des vandales de la musique, eux, des murs. »

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    Chez Wrung, les copains sont toujours au pinacle / Crédits : Michela Cuccagna

    Alors patron du magazine urbain 5Styles, Rachid Santaki conserve le même souvenir :

    « En 2007, j’avais une galère de trésorerie. Wrung m’a pris une campagne de pub à l’année et m’a payé d’avance pour me dépanner. Sur ce coup-là, ils m’ont sauvé la peau. »

    Cent pour cent indé

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    Une photographie de Daddy Lord C de La Cliqua, un cliché du graffeur Oeno, un autre de l’acteur Saïd Taghmaoui. Dans la boutique de Châtelet, un mur de Polaroïds immortalise le passage de certains visiteurs. Mais au début des années 2000, c’est à Fontainebleau, paisible commune de Seine-et-Marne, que Wrung ouvre son premier magasin. Un arrangement avec des amis d’amis, expliquent les entrepreneurs. Ils récupèrent ensuite pour une bouchée de pain un ancien shop de Bullrot à Lille. Une manière cette fois d’éponger les dettes que leur doit la marque au rottweiler. Idem pour les boutiques de Bordeaux et Orléans, reprises à d’anciens revendeurs endettés auprès de Wrung. La marque rachète la boutique de Châtelet à « un ancien pote » en 2004.

    Même sens de la débrouille pour la fabrication des pièces. Aux prémisses de la marque, ils bossent avec Goeland, les incontournables du merchandising de groupe dont StreetPress racontait l’histoire ici. La plupart des griffes streetwear de l’époque s’associent à des professionnels du Sentier. Ainsi Dia ou Airness travaillent avec le fabricant et distributeur Adventure Land. Wrung décide de tout faire en indépendant. Si la marque « brasse » alors moins que ses concurrents, elle réussit à survivre, à la sueur et au prix de galères en tout genre. Mais garder le contrôle ne va pas sans inconvénients. « Tu apprends au fur et à mesure, en te prenant des carottes par des fournisseurs », confie Eric, désormais installé à Hong-Kong :

    « Au début, on a reçu des chemises où tous les boutons étaient à l’envers. Et puis il faut aussi bien expliquer ton environnement, ce que tu veux. Les fabricants chinois ou portugais ne comprennent pas forcément que les fringues streetwear sont trop grandes. Ils te disent que tu t’es trompé, que ton t-shirt est quatre fois trop large. »

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    Au comptoir, Creez tape la discute avec un client / Crédits : Michela Cuccagna

    En juin 2013, Wrung finit par accepter un investissement de 800.000 euros de la part d’Impact Partenaires. Sur Internet, la société se présente comme un « investisseur minoritaire » pour des entreprises « développant des impacts sociaux remarquables ». Les fondateurs de Wrung gardent la main sur leur boîte.

    Inspiration US

    2001, Saer débarque à New-York, « capitale du hip-hop » :

    « J’y suis allé pour la première fois un mois avant le 11 septembre, en Air Max et Levi’s 501. Je n’étais pas du tout dans l’esprit. Le premier jour, j’ai tiré sur mon jean toute la journée, j’avais l’impression d’avoir un collant. Pour me fondre dans le décor, j’ai fini par acheter un baggy et une paire d’Air Force blanches. »

    A son retour, il décide de changer le style de sa marque. Finis les survêtements colorés et les t-shirts floqués de punchlines ou d’images choc tirées de film comme « C’est arrivé près de chez vous », le faux documentaire belge réalisé par la bande de Poelvoorde. Les vêtements Wrung prennent des formes plus amples, à l’américaine. L’entreprise produit des maillots de base-ball et devient l’une des références françaises en matière de baggys extra-larges, au point que même les pointures new-yorkaises valident la marque. « On a fait des pubs avec Raekwon, Alchemist ou DJ Premier », liste Creez :

    « Il y a encore trois mois, Havoc et Prodigy de Mobb Deep sont venus à la boutique. Je leur ai proposé des sapes, mais ils s’en foutaient. Ils viennent juste boire une bière et dire bonjour. »

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    Casquette, chino et tee-shirts : les classiques de chez Wrung / Crédits : Michela Cuccagna

    Il connait le duo depuis 20 piges :

    « Je les avait vus en studio à New-York, je leur ai donné des t-shirts. Aujourd’hui, ils voient qu’on est toujours là et que la marque a grandi. C’est une question de respect mutuel. »

    En 2013, la marque a toujours des connections outre-atlantique. Wrung habille le duo brooklynien The Underachievers sur le clip « Leopard Shepherd », tourné à Paris.
    Mais la mode est un éternel recommencement. En 2017, les vêtements sont à nouveau plus étroits et les influences lorgnent désormais du côté de Carhartt ou Van’s. Eric explique la transition :

    « Le passage de la culture baggy à la mode des pantalons slim a été difficile. Cela coïncidait avec un changement de génération. On s’est retrouvé avec des clients prenant de l’âge et achetant moins de sapes parce qu’ils ne mettaient plus de baggys. »

    Clip The Underachievers – Leopard Shepherd

    La nouvelle ligne n’est pas toujours du goût des fans de la première heure :

    « Encore récemment, un fan de la première heure me parlait d’une collection datant d’il y a trois ans où l’on avait fait des imprimés à fleurs. Il me disait qu’il ne s’était pas reconnu dedans, que ça ne représentait pas la street. »

    Côté musique, Wrung crée des ponts entre plusieurs générations de rappeurs. Produite par la marque, la série vidéo « The Bridge » réunit Alpha Wann du groupe 1995 et son aîné Rocca, mais aussi le membre du collectif l’Entourage Deen Burbigo et Nubi, ancienne gâchette du Secteur Ä.

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    Creez ne lâche pas le graffiti / Crédits : Michela Cuccagna

    La marque regarde dans le rétroviseur

    Retour à Châtelet-Les Halles, où des ouvriers s’affairent non loin de la boutique. Depuis plusieurs années, l’ancien « ventre de Paris » est en travaux perpétuels. Si le chantier a permis la création du centre culturel hip-hop La Place, il a aussi vidé la zone d’une partie de sa population. Désormais, certaines rues sont bien calmes en semaine. Un coup dur pour Wrung. La boutique devrait fermer boutique d’ici quelques mois, faute de clients. Pour se refaire, la marque regarde dans le rétroviseur. « La mode est composée de cycle de quinze ou vingt ans », avance Saer :

    « Aujourd’hui, tout le monde veut s’habiller en Champion ou en Fila, comme dans les années 90 »

    Alors Wrung mise sur ce qui ne lui a jamais fait défaut, son « histoire » et sa « crédibilité ». Creez sourit :

    « On vient de ressortir un survêt’ comme on en faisait en 1999 ».

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    Toujours dans la street (Photo trouvée sur la page Facebook de la marque) / Crédits : DR

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