« Je demande toujours à ce qu’ils me servent une assiette avec un peu de tout dedans. Cela me permet de vérifier que tous les plats sont au niveau », lance Kader Jawner, le fondateur de la chaîne de fast-food Afrik’n’Fusion. Collier de barbe, veste en cuir et écharpe autour du coup, il est assis devant un plateau repas à son restaurant de la place de Clichy quand StreetPress le retrouve. D’un œil, il examine son plat puis se lance à l’assaut du mafé. Il croque ensuite à pleine dents dans un morceau de poulet braisé. Avant de tremper sa fourchette dans un petit pot de sauce yassa. Il arrose le tout d’un verre de jus de bissap et reprend du riz jaune. Verdict ? « Au top, comme d’habitude ! » se félicite-t-il.
On mange quoi dans le 19e ? Dans cet arrondissement populaire, jeune et bouillonnant de Paris s’invente une vie gastronomique dense qui autorise de belles découvertes à qui sait chercher. Pour dénicher les restos, cantines et autres bars que vous allez découvrir, nous avons embarqué avec nous des associatifs et des habitants qui ont bien voulu participer à l’aventure : merci à eux !
Ils signent plusieurs articles de ce guide, de l’interview de MHD, petit prince de l’Afrotrap qui crie son amour pour le Tieb, en passant par les meilleures anecdotes des livreurs de bouffe qui sillonnent le nord de Paname.
Bienvenue chez Afrik’n’fusion
Avec son comptoir où l’on passe commande et ses plateaux-repas, Afrik’n’Fusion pourrait ressembler à n’importe quel fast-food. Mais ici, pas de burger ni de tacos. Au menu, des classiques de la cuisine ouest-africaine, comme du tilapia braisé – un poisson incontournable au pays – ou du thieb, un ragoût sénégalais. Le patron résume :
« Le concept est de proposer des plats traditionnels dans un lieu moderne qui ne fasse pas boui-boui. »
Et le mélange des genres plait. « C’est le seul fast-food africain de Paname qui a cette dégaine : ici c’est clean, le décor est agréable et on y mange bien ! », débite Cédric, la trentaine, qui travaille dans un bureau à quelques rues. Quelques tables plus loin, Martin et Sofia expliquent la bouche pleine qu’ils viennent régulièrement pour découvrir les spécialités d’Afrique de l’Ouest :
« On travaille à côté, du coup on est devenus des habitués ! On vient tester des nouveaux plats à chaque fois, ça change des petits restos du coin. »
Kit main libre / Crédits : Michela Cuccagna
100% Place des fêtes
Quand on lui demande ce qui lui a donné l’envie de monter un restaurant africain, Kader Jawner répond par une anecdote sur le Mama Africa, un restaurant du 19e arrondissement, aujourd’hui fermé.
« Le service était tellement lent ! Une fois, j’ai eu le temps de commander un yassa, de discuter 20 minutes à la table avec mes amis, de rentrer chez moi pour récupérer un truc et quand je suis revenu ce n’était toujours pas servi ! Je me suis dis : “non, les restaurants africains ne peuvent pas continuer à fonctionner comme ça ! Il faut faire quelque chose !” »
Le restaurateur est un gamin du quartier. Il a grandi à Place des Fêtes où il passe encore presque tous les jours pour rendre visite aux potes et à la famille. C’est d’ailleurs avec deux copains d’enfance, Sidibé Doucouré et Bakari Sylla, rencontrés au collège Guillaume Dudé, qu’il a monté Afrik’n’Fusion. Le premier, passé par Pizza Hut, apporte sa science de la livraison à domicile. Le second, ancien chef de rang dans un restaurant, a l’expérience du management.
Self made man
Et Kader Jawner ? C’est l’histoire d’un serial entrepreneur arrivé à la restauration un peu par hasard. Titulaire d’un BTS en commerce, il se lance dans l’évènementiel en organisant des fêtes à Paris, Cannes ou encore Tunis. « Ça s’appelait les soirées Chic’n’choc », rembobine-t-il. Puis sous les conseils d’un pote qui bosse dans le BTP, il crée une société spécialisée dans le nettoyage de fin de chantier. Avant de changer encore une fois de vie en investissant le domaine de l’énergie avec une nouvelle boîte baptisée K Energie. C’est un carton.
« La première année, on a dégagé 1 million d’euros de chiffre d’affaire. On employait 8 techniciens. »
Puis patatras. Tout s’effondre quand l’Etat met fin à un crédit d’impôt qui maintenait le secteur sous perfusion. Pas de quoi le décourager. Il s’engage dans un nouveau business : la restauration. « On n’y connaissait rien. On a commencé par faire des petites formations, par rencontrer des consultants. Et puis on bout d’un moment on y est allé au culot », vante le jeune homme de 31 ans, dont le père est décédé lorsqu’il était enfant et qui a été élevé par une mère femme de ménage. C’est d’ailleurs elle qui lui donnera le goût de la cuisine avec ses mafés, ses tiebs ou ses thious.
Le fondateur Kader Jawner / Crédits : Michela Cuccagna
Bientôt une multinationale ?
Quand il cherchait un local pour ouvrir son premier restaurant en 2010, Kader Jawner avait envisagé tous les quartiers de Paris… sauf un ! Place des fêtes.
« On ne voulait surtout pas être catalogué comme un fast-food fait pour les jeunes du quartier. Cela aura fermé la porte à une autre clientèle alors que l’on voulait un mix. »
Mais comme le hasard fait bien les choses, c’est à quelques centaines de mètres de leur quartier d’origine, rue des Pyrénées, qu’un agent immobilier leur trouve une opportunité. Le boss philosophe :
« Notre première réaction, ça a été “Ah ! Il a fallu que ce soit en bas de Place des Fêtes !” Puis après on s’est dit que ce serait à nous de faire les choses pour que le restaurant corresponde à nos attentes. »
Par carte ou en espèces ? / Crédits : Michela Cuccagna
Kader Jawner n’a pas pour autant oublié d’où il vient. Il participe à des rencontres avec des jeunes sur le thème de l’entreprenariat ou offre de la nourriture à des associations caritatives du quartier. Il fait aussi le pont avec le monde de l’entreprise en intervenant à des conférences de l’Agip, la branche jeune du Medef. Et l’affaire tourne puisque fin 2014, les trois compères ouvraient leur 2e Afrik’n’Fusion dans le 18e arrondissement, avant l’ouverture d’un 3e rejeton dans le 11e, depuis transformé en restaurant de burgers.
« Il était trop proche de celui des Pyrénées. Comme la livraison à domicile représente 50% de notre chiffre d’affaire, les deux enseignes se cannibalisaient. »
Prochaine étape : le développement de franchisés à partir de 2018. Il prévoit également l’ouverture de trois nouveaux restaurants en propre dans les prochains mois. Peut-être à Londres ou à Dakar, deux villes où il s’est déplacé ces dernières semaines. Son rêve : concurrencer Nando’s, le géant sud-africain du fast-food, fort de 200 enseignes à travers la planète. Il reste encore du chemin à parcourir, mais Kader Jawner ne compte pas rester sur sa faim.
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