Damas, dimanche 8 janvier – Au petit matin, trois députés en goguette en Syrie sont reçus par Bachar el-Assad. La diplomatie française enrage. Dans leurs valises, une poignée de journalistes : RTL, LCP, France Info et… Boulevard Voltaire, le site d’info fondé par Robert Ménard. « Après la rencontre des politiques avec Bachar el-Assad, les journalistes ont été invités à discuter un petit quart d’heure avec lui », rembobine Charlotte d’Ornellas. Le Raïs est poli. « Froid, sans scrupule », juge RTL. Plutôt « doux et assez en retrait », pour la journaliste de « ré-information ». Le genre de discours qui réveille.
Début mars, Charlotte d’Ornellas arrive à notre rendez-vous à l’heure précise, sac à dos aux épaules. La journaliste préférée de la fachosphère, créoles noires aux oreilles, de beaux collants transparents noirs à pois, enlève sa veste de cuir avant de s’installer. « Ses positions sociétales rejoignent les miennes ou vice-versa, j’apprécie la regarder sur TV Libertés », dit d’elle le député européen FN Bruno Gollnisch. L’identitaire Phillipe Vardon la juge « talentueuse » et Robert Ménard ne tarit pas d’éloges à son propos. « Tout le monde la connaît », – comprenez dans le marigot nationaliste – commente Geoffroy Lejeune le red chef de Valeurs Actuelles pour qui Charlotte d’Ornellas pige. Elle multiplie les signatures dans des revues franchement marquées à l’extrême droite comme Boulevard Voltaire ou Présent, le canard des catho-tradis, quand elle n’intervient pas sur Radio Courtoisie ou sur TV Libertés.
Ambiance lecture à la bougie / Crédits : Michela Cuccagna
Charlotte, la catho très pratiquante
Robert Ménard, l’ancien défenseur des journalistes enlevés au bout du monde, passé avec armes et bagages au Rassemblement Bleu Marine, nous l’avait dit : elle ne « ressemble pas physiquement à une grenouille de bénitier ». On confirme. Si le doute était permis, c’est que l’Orléanaise – la ville, pas la lignée royale – « est d’abord et avant tout une catholique pratiquante », nous explique l’avocat libertaire Nicolas Gardères, avec qui elle débat souvent sur le plateau de « Bistrot Liberté », une version très droitière de « Ça se dispute » diffusée sur TV Libertés. « Rien de faux là-dedans, elle ne triche pas. Jésus l’habite vraiment », poursuit le brun à lunettes et barbe fournie.
On rembobine le film. Charlotte d’Ornellas naît au milieu des eighties dans une famille catholique pratiquante, sous les auspices d’un oncle aujourd’hui archevêque de Rennes, explique-t-elle en commandant un café serré :
« J’ai toujours été à la messe chaque dimanche. J’ai décidé de m’approprier cet héritage, ce que j’avais reçu. »
Ceci n'est pas cierge / Crédits : Michela Cuccagna
Charlotte d’Ornellas porte sa foi en étendard. En 2002, elle est élue « Jeanne D’arc ». Pour participer à ce concours de Miss vieux de presque 700 ans, il faut être baptisée, pratiquante et donner de son temps bénévolement. « On m’a appris à aimer Jeanne d’Arc. Tout le monde défile à Orléans pendant les fêtes johanniques, les écoles, les scouts, les clubs de sport… », explique la trentenaire, bien enfoncée dans sa chaise :
« Une fois élue comme la tradition l’exige, j’ai fait le pèlerinage sur les pas de Jeanne d’Arc avec deux pages. Puis arrive le grand moment, celui de la chevauchée de Jeanne d’Arc dans la ville. »
Pas question d’y voir un spectacle de « Miss nationale » à la Geneviève de Fontenay :
« On nous demande d’incarner quelque chose qui nous dépasse. Chacun voit sans doute dans Jeanne d’Arc ce qu’il y souhaite mais c’est la seule figure historique qui fasse l’unanimité aujourd’hui. »
Surtout du côté du FN qui organisait chaque 1er mai son défilé sous le patronage de la pucelle d’Orléans. Mais aussi d’Emmanuel Macron et de Rachida Dati qui ont été tous les deux des invités d’honneur des grandes fêtes de Jeanne d’Arc.
Son dada, c’est la Syrie
Après des études de philo et un an en Australie, elle intègre l’IFJ, une école de journalisme, qui depuis a fait faillite. Parmi l’équipe pédagogique : un ancien OAS et plusieurs profs avec le cœur… plutôt à droite. En 2008, elle effectue un stage à L’Orient le jour, le quotidien francophone de référence au Liban, plutôt considéré à gauche :
« C’est vrai que c’est dur à imaginer aujourd’hui mais quand je vivais à Beyrouth, j’allais souvent passer mes weekends en Syrie. »
Quand la guerre débute, elle ne se retrouve pas dans la ligne des médias mainstream :
« J’ai halluciné du traitement médiatique sur le conflit syrien. Bien sûr que ce n’est pas une démocratie au sens occidental du terme mais ce n’est pas non plus une prison à ciel ouvert. Je ne me suis jamais sentie surveillée. »
Après son stage, elle s’installe en France, fait un peu de presse institutionnelle, notamment pour le syndicat CFTC et se fait un nom dans les médias très à droite. « Vous savez, une journaliste comme elle, intelligente, sérieuse et qui prend des risques, y compris physiquement, n’importe quel employeur en voudrait », commente Ménard. « Elle va souvent en Syrie et nous ramène des infos qu’on ne lit pas ailleurs », complète Geoffroy Lejeune de Valeurs Actuelles.
Qu’on ne lit pas ailleurs, et plutôt conciliantes avec le régime. Après sa rencontre avec Bachar el-Assad, elle explique au site d’extrême droite breton Breizh-Info que cette petite fille d’Alep qui raconte son terrible quotidien sur Twitter n’aurait jamais existé :
« L’actualité de cette ville n’a jamais été traitée que par l’affectif, à grand renfort de tweets larmoyants d’une petite fille impeccablement bilingue et dont personne ne sait rien. »
Et de continuer :
« Oui, la ville d’Alep a été libérée, et il est absolument évident que ceux qui prétendent le contraire, dressant leur morale déconnectée de la réalité, n’ont pas mis les pieds à Alep depuis 2012. »
Charlotte et la réinfosphère
Si la journaliste a ses entrées en Syrie, c’est notamment grâce à son engagement au sein de SOS Chrétiens d’Orient. Un engagement humanitaire qui lui donne le sentiment que ce qu’elle lit ici est loin de la réalité qu’elle voit là-bas et qui nourrit son choix de travailler pour des sites en rouge sur le Décodex du Monde.
« J’assume totalement de ne pas faire du journalisme neutre », lance-t-elle en buvant son second café. « Elle est courageuse, vous savez », estime Geoffroy Lejeune :
« Je reçois tous les jours des gens qui veulent écrire pour nous ou d’autres titres mais toujours sous pseudo. Charlotte d’Ornellas, elle assume. Elle ne se planque pas. Elle assume cette confrontation idéologique. »
Comme pour confirmer, Charlotte d’Ornellas lance :
« La France s’est beaucoup clivée ces dernières années et pourtant on n’a pas donné la parole à toutes les sensibilités. »
France, le magazine d’union des droites extrêmes
S’il y a bien une sensibilité à laquelle Charlotte d’Ornellas offre un mégaphone, c’est celle des Identitaires. « On s’est rencontrés lors d’un voyage humanitaire en Syrie, il y a trois ou quatre ans, avant le lancement de SOS Chrétiens d’Orient », raconte, par téléphone, Damien Rieu avec qui elle a lancé « Le magazine patriote » France, à la maquette léchée. Le jeune homme n’a que 27 ans mais un CV déjà bien chargé. Ancien porte-parole de Génération identitaire, un temps chargé de com’ à la mairie FN de Beaucaire, il est devenu le monsieur médias de Marion Maréchal Le Pen. « En discutant ensemble, on a fait le même constat. Il n’existe pas aujourd’hui de média patriote. Les Républicains ont Le Figaro et nous ? A la limite, on a Valeurs actuelles mais ils sont à moitié proche des Républicains », continue-t-il :
« On a donc eu envie de monter notre revue pour faire un vrai travail culturel parmi les patriotes. »
La jeune femme complète :
« On s’intéresse à la même chose mais avec des regards très différents. Lui, c’est un gars de la banlieue lyonnaise qui réagit au milieu dans lequel il a évolué alors que j’ai grandi dans un environnement différent et je le sais. »
Les yeux dans les yeux / Crédits : Michela Cuccagna
Mais pour Damien Rieu, ils sont d’accord sur l’essentiel :
« Ok, Charlotte est catholique et elle s’intéresse aux questions de bioéthique. Mais ça, ce n’est pas prioritaire. Depuis les attentats de 2015, elle a compris que l’immigration est le problème principal et qu’on n’a pas le luxe d’aller se perdre sur le transhumanisme. Elle est catholique et identitaire. »
L’attelage fonctionne. Le duo s’est payé le luxe d’avoir Marion Maréchal Le Pen en couverture du premier numéro. « On a fait l’interview dans un TGV », explique Damien Rieu :
« Elle nous a vraiment fait confiance parce que c’était le premier numéro et qu’elle ne savait pas ce que ça allait donner. »
Le numéro aurait été téléchargé par plus de 60.000 personnes. La plus jeune du clan Le Pen semble séduite : depuis, elle accorde à Charlotte d’Ornellas des interviews à intervalles réguliers.
Pour le second numéro, c’est le très traditionaliste Philippe de Villiers qui fait la couv’. Une évidence à en croire Damien Rieu. « Eux aussi sont catholiques et identitaires », insiste-t-il. Nouveau succès d’audience. « Notre objectif à terme est d’en faire un magazine papier. On veut vraiment attirer un mécène qui pourra nous donner de vrais moyens », confirme Damien Rieu.
Au tiercé de l'extrême droite, France a tout bon / Crédits : France
Pour l’instant, le projet tient par des bouts de ficelle. Les encarts pubs pour l’Ojim et Boulevard Voltaire ont été filés gracieusement. « Tout le monde travaille bénévolement », assure Charlotte d’Ornellas et les dons récoltés grâce à une cagnotte Leetchi auraient surtout permis d’acheter un nom de domaine.
Conseillère de Jean-Frédéric Poisson
Le mag’ France œuvre au rapprochement entre l’extrême droite et « la droite hors les murs ». En plus de De Villiers, on trouve des entretiens avec Dupont Aignan, le candidat de Debout la France à l’élection présidentielle, ou Jean-Frédéric Poisson député et président du parti Parti Chrétien Démocrate fondé par Christine Boutin.
Après deux interviews, ce dernier la convainc de lui donner « un coup de main pour ses relations presse » pendant la campagne des primaires de droite, raconte Charlotte d’Ornellas. « Une aide ponctuelle et passagère » mais rémunérée. La journaliste-communicante prend son rôle à cœur, au point de débarquer sur le plateau du débat quelques heures à l’avance pour vérifier que Poisson sera autant à son avantage que les autres candidats.
« Quand j’ai appris qu’elle avait conseillé Jean-Frédéric Poisson, je lui ai envoyé un texto pour lui dire de choisir. On ne peut pas avoir toutes les casquettes et être sérieuse partout. Aujourd’hui, elle se démerde bien mais il ne faut pas qu’elle se perde », raconte Geoffroy Lejeune.
Pas vraiment la gueule de l'emploi / Crédits : Michela Cuccagna
Robert Ménard, lui, défend la jeune femme :
« Chez Charlotte, il n’y a pas de décalage entre ce qu’elle dit et ce qu’elle fait. Des journalistes qui conseillent des politiques, j’en connais des tas mais personne ne le dit jamais. Elle, elle assume. »
Pourrait-elle sauter le pas et se présenter ? Non, assure-t-elle. « Mon métier, c’est le journalisme et c’est ça que j’aime faire. » Nicolas Gardères abonde. « Elle a un boulevard devant elle pour faire de la politique mais ça ne l’intéresse pas. Elle m’a souvent dit : “Plus je connais les politiques, plus ce monde-là me dégoûte”. » Son projet de carrière :
« Moi, je la vois plutôt jouer un rôle majeur dans les gros médias de droite qui vont s’installer en France dans les prochaines années comme Breitbart. »
Charlotte d’Ornellas, la future Steve Bannon ?
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