Le procès de Grégoire Chassaing a changé de visage ce mercredi 12 juin, à 11h. Cela fait trois jours que l’ancien commissaire de Nantes (44) est jugé pour la mort de Steve Maia Caniço, noyé dans la Loire après une intervention de la police lors de la fête de la musique en 2019. Marion Hidrio, commissaire divisionnaire de l’IGPN –la police des polices – de Rennes, affirme alors à la barre que sa chute dans le fleuve, ainsi que celle de cinq autres personnes, est bien en lien avec l’action de la police. Dans la foulée, Jacques Schneider, qui avait signé un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur l’affaire, enfonce le clou : « Nous avons relevé un manque de discernement dans la conduite de l’opération à partir de 4h du matin. »
Au sortir du tribunal, à la pause de midi, les traits de Grégoire Chassaing sont marqués, son visage, sombre. La séquence où il présentait en début de semaine à la famille de Steve, toutes ses « condoléances », sa « compassion », semble déjà loin. Omniprésent, très concentré et attentif à chaque témoignage lors des premières audiences, voici le commissaire d’ordinaire si rigide et assuré qui bafouille. « Je ne me suis pas rendu compte, je ne saurais l’expliquer », égrène-t-il au moment de livrer sa version des faits. « Un de mes éléments d’analyse, c’était que la CRS, la cavalerie, arrivait. Il fallait tenir », évoque-t-il. L’officier encarté au syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN-Unsa) serait plutôt un policier légaliste qu’un guerrier, selon son avocat. « Il n’avait jamais auparavant eu affaire à l’IGPN », ajoute maître Louis Cailliez, qui a aussi défendu les trois policiers responsables de l’infirmité permanente de Théo.
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« Il a remis la musique, on va s’organiser, on va y retourner »
Durant toute la semaine, en dehors de l’IGPN, le corps policier a fait front en plaidant la légitime défense. Dès le premier après-midi du procès, la commissaire rennaise Nathalie Frêche entre dans la salle, en voisine puisque le commissariat se trouve en face du palais de Justice. Elle gérait, avant Grégoire Chassaing, les manifestations à Nantes. Deux jours plus tard, c’est Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale et véritable « premier flic de France », qui est venu sauver le soldat Chassaing. La sommité, dont la venue express a fait grincer des dents chez certains gardiens de la paix, estime qu‘« aucune faute n’a été commise ». Jean-Christophe Bertrand, ex-big boss de la police nantaise, qui venait de partir en retraite au moment des événements du quai Wilson, a jugé Grégoire Chassaing « irréprochable ». Comme Thierry Palermo, qui supervisait ce soir-là les opérations depuis la salle de commandement et a pourtant tardivement demandé à faire stopper les jets de grenades lacrymogènes.
Grégoire Chassaing révèle lors de son audition les intrigantes approximations de sa gestion de crise. « Je n’ai pas été irréprochable ce soir-là, la situation était extrêmement confuse, je n’ai pas tout maîtrisé dans le passage des consignes », admet-il. Et semble même reporter la faute sur l’un des sound systems qui se serait révélé récalcitrant, ce soir du 21 juin 2019 : le DJ aurait eu un « sourire provocateur ». « La musique a été remise par à-coups, en baissant, puis en remontant le volume, c’est pour cela que je parle de sourire provocateur, je n’ai pas fait une fixation dessus mais je m’en souviens bien. Il y a des choses qui restent dans la mémoire. Pourquoi ? Je ne saurais l’expliquer », déclare-t-il à la présidente du tribunal. Alors que ses hommes auraient déjà reçu des projectiles, la juge met en lumière un message radio de Grégoire Chassaing daté de 4h25 à propos du DJ : « Il a remis la musique, on va s’organiser, on va y retourner. » Pourquoi ne pas tenir compte des projectiles ? À la barre, le commissaire affirme désormais qu’il n’avait pas « perçu » ces quelques jets envers les forces de l’ordre comme « la pluie d’orage qui allait arriver ». « En quatre ans de manifs à Nantes, je n’ai jamais subi une telle violence, il y a eu un véritable effet de sidération », ose-t-il. Et tant pis si les éléments recueillis au cours de l’enquête n’ont pas vraiment confirmé cette version policière.
Surtout, c’est une grande quantité de gaz lacrymogène qui est envoyée, provoquant la chute dans la Loire de plusieurs personnes, dont Steve. « J’étais derrière le “bunker” qui m’a caché le nuage de gaz lacrymogène, je n’ai pas vu l’effet de saturation, la bousculade, le mouvement de foule, je n’ai pas cette conscience », se défend Grégoire Chassaing. Lorsqu’une des avocates des parties civiles, Cécile de Oliveira, l’interroge à nouveau sur sa responsabilité et celle du gaz lacrymogène, Grégoire Chassaing juge que « ce n’est pas l’objet de ce procès de reconnaître le danger que cela représentait pour les usagers ». « Vous allez m’expliquer le contour de mes questions ? Je ne suis pas votre subordonnée », lui rappelle la conseil des victimes. Le ton monte à tel point que le procureur lui-même doit intervenir : « J’avais trouvé que vous aviez une attitude très ouverte, je m’aperçois que vous êtes désormais un peu fermé. Nous cherchons à savoir ce qui s’est précisément passé, cela appelle de votre part des réponses un peu plus constructives ». Grégoire Chassaing se tait et hoche la tête à plusieurs reprises.
Le procureur de la République de Rennes Philippe Astruc a demandé aux juges du tribunal correctionnel de déclarer le commissaire coupable de l’homicide involontaire de Steve Maia Caniço. Le ministère public s’est prononcé pour une peine de principe en tenant compte du fait que le drame demeure « multifactoriel ». Il a cependant souligné que le commissaire divisionnaire est « d’évidence celui qui a conduit une action collective, laquelle a créé la situation qui a abouti in fine au décès de Steve ». Grégoire Chassaing ne connaîtra pas le verdict qui le concerne avant le 20 septembre, date du délibéré, après une semaine de procès qui s’est inscrite dans un contexte politique explosif inédit, au lendemain des résultats des élections européennes et des futures élections législatives.
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« Au fond de moi, je n’ai pas commis de faute ce soir-là »
À titre personnel, Grégoire Chassaing se livrera peu au cours de son procès. Il est entré chez les « bleus » en 1995, sort en 1997 de l’École nationale supérieure de la police, est adjoint au commissariat central d’Antony (92), chef de circo à Bagneux (92) avant un crochet par la Haute-Savoie. Il passe ensuite six années à l’étranger comme attaché de sécurité intérieure. Tout juste apprendra-t-on qu’au Cambodge, rattaché au sein de l’ambassade, une de ses missions consistait « à lutter contre le tourisme sexuel au préjudice des enfants », explique le commissaire.
Une carrière quasi sans-fautes. Jusqu’à maintenant. « Si j’étais condamné, ce serait très dur », avoue-t-il. La mort de Steve Maia Caniço n’a pourtant pas freiné sa progression : il a été promu à Lyon (69) juste avant le procès. Les yeux souvent baissés, il se tient raide devant la barre, semblant dans l’attente d’une absolution. Capable de faire des blackfaces – une pratique raciste – dans des soirées déguisées, Grégoire Chassaing est également catholique pratiquant. Une source liée au commissariat central de Nantes affirme que le commissaire s’est déjà rendu dans la cellule d’un prêtre depuis mis en examen pour agression sexuelle sur mineure pour l’étreindre et lui confier une Bible. Lorsque son avocat évoque la « coach en résolution émotionnelle » à laquelle il a fait appel pour ne pas tomber en larmes au procès, Grégoire Chassaing pleure :
« Je ne voudrais pas que ce soit récupéré par les avocats de la partie civile comme un aveu de culpabilité. Au fond de moi, je n’ai pas commis de faute ce soir-là. »
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Sur son banc, la famille de Steve Maia Caniço fixe le commissaire et lui désigne Béatrice Dupas. La mère de Steve. Elle qui a longtemps été incapable de franchir les ponts nantais et la Loire dans laquelle son fils s’est noyé.
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