Quel est le point commun entre le Brexit, le départ forcé de Dilma Rousseff au Brésil, le programme politique de Donald Trump ou le rejet de référendums au Chili et en Australie ? Ils portent tous la marque du réseau Atlas. Un des plus importants réseaux de think tanks au monde, soutenu financièrement par des fondations américaines ultraconservatrices. Ce « réseau méconnu », détaille la journaliste Anne-Sophie Simpere, cherche à s’attaquer à « l’action climatique, la promotion des droits des femmes et des minorités, la justice fiscale ou encore les services publics », comme l’indique son récent rapport pour l’Observatoire des multinationales.
Si elle s’est d’abord intéressée « à de potentiels liens entre la droite trumpiste aux États-Unis et la politique française », Anne-Sophie Simpere et l’Observatoire ont davantage « tiré les fils pour voir qui était passé par le réseau Atlas, ou ses partenaires ». Et leur façon de mettre en pratique leur stratégie en France, dans « le climat des idées ». Un élément important de la bataille culturelle qui se joue politiquement et dans laquelle l’extrême droite y trouve une place confortable.
Quels sont les principaux relais du réseau Atlas en France ?
Je peux faire une typologie entre trois ou quatre types d’acteurs. D’abord, il y a les think tanks. Des organisations qui vont produire de l’expertise, publier beaucoup de livres, de notes, de rapports, squatter les plateaux télé et venir répéter les mêmes éléments de langage sur la fiscalité, le prix de l’immigration, de l’énergie renouvelable ou le coût des services publics par rapport à la privatisation. Dans cette catégorie, il y a la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap) avec Agnès Verdier-Molinié – une de ses figures majeures –, l’Institut économique Molinari ou l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref).
Le deuxième type d’acteur, ça va être la « taxpayer association » à la française comme Contribuables associés. Ça, c’est vraiment typique du réseau Atlas. Il y en a partout ! En Croatie, en Australie, au Royaume-Uni, plusieurs aux États-Unis. C’est une association qui est censée représenter les « contribuables écrasés d’impôts », mais qui en fait est surtout en lien avec des entrepreneurs, des hommes d’affaires et le monde politique. Contribuables associés revendique 350.000 membres, mais en fait quand on regarde les statuts et les pouvoirs de décision, l’association est entre les mains d’une poignée de personnes. Ils comptent comme membre toute personne qui aurait signé une pétition ou fait un don. Ils ne sont absolument pas représentatifs de la société, mais les médias les présentent souvent comme des associations de contribuables qui protesteraient contre les impôts. Et pas n’importe quel type : les taxes de succession, la propriété immobilière… Ce qui intéresse les multipropriétaires. On est sur une catégorie de personnes très définie.
Quelle est la troisième catégorie ?
Ce sont les instituts de formation, comme l’Institut de formation politique (IFP). Une école qui forme des cadres et militants (elle a accueilli en son sein Charlotte d’Ornellas, Thais d’Escuffon, Samuel Lafont, Alice Cordier, Stanislas Rigault). Là, le lien avec le réseau Atlas est très clair puisque son président actuel, Alexandre Pesey, est allé faire un stage au Leadership institute, un organisme de formation des leaders conservateurs aux États-Unis du réseau Atlas. En 2022, cet institut indiquait avoir formé 250.000 activistes. L’IFP eux, c’est 3.000, et l’idée c’est de les placer dans des domaines associatifs, politiques, médias. Un certain nombre commencent à émerger.
L’IFP a connu un certain engouement au moment de la Manif pour tous. C’est devenu un lieu de réseautage, de retrouvailles et de formation des jeunes conservateurs. Entre eux, les associations de contribuables et les think tanks, ce sont ceux qui ont le plus d’influence. En particulier ces derniers car ils se sont professionnalisés et ont bénéficié du rachat de chaînes et de médias par des conservateurs comme Bolloré qui, sans être directement liés au réseau Atlas, ont les mêmes objectifs et intérêts. Il y a des médias qui cherchent des contenus de plus en plus conservateurs et de l’autre, on a des organisations qui leur fournissent des porte-paroles.
Votre rapport souligne que ces instituts et organisations ont des liens forts avec l’extrême droite ?
Oui, un des meilleurs exemples, c’est Bernard Zimmern, à l’origine des premières organisations en France, qui a travaillé pour Renault et a fait fortune aux États-Unis. Il a voulu répliquer le modèle et les méthodes des conservateurs américains en France. Il a fondé l’Ifrap et Contribuables associés. Et il était donc membre du Club de l’Horloge (think tank de la Nouvelle droite, cofondé par l’inventeur de la « préférence nationale » Jean-Yves Le Gallou ou le très raciste Henry de Lesquen).
On retrouve ces liens à tous les niveaux. Chez Contribuables associés, le premier président est Alain Dumait, maire d’un arrondissement parisien et qui a été candidat sur les listes Front national. Une des salariées, Jeanne Pavard était assistante parlementaire du député Hervé Mariton et il a dû s’en séparer car Mediapart a révélé les liens de cette femme avec le Gud. Samuel Lafont, désormais chez Zemmour, a aussi travaillé pour Contribuables associés. Jean-Claude Gruffat, le seul membre français du conseil d’administration du réseau Atlas est exemplaire des liens entre ce monde des affaires et l’extrême droite. Il a travaillé pendant plus de 40 ans dans la finance et, à côté de ça, a fondé l’Institut des libertés – partenaire d’Atlas et dirigé par Charles Gave – a été candidat au Conseil national de Reconquête. Il défend la création d’un « bloc identitaire, libéral sur le plan économique, et conservateur sur la gestion publique ».
Le discours libertarien et d’extrême droite se complètent ?
Le libertarien, c’est une vision du monde individualiste et compétitive. Il n’y a pas d’effet de système, il n’y a pas de racisme systémique, il n’y a pas de sexisme, il n’y a pas de patriarcat… Ça s’accommode avec la vision du monde des ultraconservateurs.
Leur discours est de réduire au maximum la place de l’État à des fonctions de sécurité, de défense et de protection de la propriété privée – parce qu’ils veulent quand même plus de police. C’est la privatisation de tous les services et la baisse de la fiscalité. Les milliardaires à la base de ces réseaux, comme les frères Koch aux USA, ne veulent pas payer d’impôt ou avoir de réglementation environnementale. Donc ils vont largement s’attaquer à ces deux éléments : ils n’ont pas d’intérêt à la redistribution et ils se protégeront de la pollution, contrairement à la majorité de la population. Donc, pour imposer ces idées-là, ils sont obligés de passer par des méthodes d’influence assez manipulatoires.
Vous notez que les représentants de ces instituts, associations et organisations sont très invités dans les médias, sans que leur orientation politique soit particulièrement notée ?
Il y a certains cas où ils sont présentés comme des think tanks d’inspiration libérale, mais dans l’essentiel, leurs liens avec les politiques ne sont pas précisés. Leur discours est présenté comme celui « d’expert ». Ce qui n’est souvent pas le cas : Agnès Verdier-Molinié n’est pas économiste ! Il faudrait que les journalistes et les personnes qui donnent la parole à ces think tanks et organisations sachent et disent d’où elles parlent, d’où elles viennent. Et il faut aussi alerter sur les méthodes de désinformation parfois utilisées, comme dans le cas de Contribuables associés.
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