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    13/05/2024

    La société Activités Éducatives devait « réduire les inégalités territoriales »

    Comment l’entreprise d’un élu PS de Saint-Denis ne paie pas ses intervenants depuis un an

    Par Lisa Noyal

    La start-up Activités Éducatives travaille avec 500 structures d’Île-de-France et propose des cours ou loisirs avec des intervenants extérieurs. Mais certains se plaignent de ne jamais avoir reçu leur rémunération de plusieurs milliers d’euros.

    « Quand j’ai vu l’annonce, j’ai postulé car l’engagement qu’ils mettent en avant me parlait », se souvient Marion (1), une jeune intermittente du spectacle. Depuis 2016, Activités Éducatives – via la société BL éducation – propose la mise en place d’ateliers dans toute l’Île-de-France. Le but : favoriser l’accès aux loisirs éducatifs et à la culture et réduire les inégalités territoriales. La start-up se charge de trouver puis d’envoyer des intervenants aux 529 structures partenaires en fonction de leurs demandes. Sur le papier, le projet semble idéal.

    Mais StreetPress a découvert que des intervenants, souvent en situation de précarité du fait de leur métier, se retrouvent sans le versement de leur salaire après avoir effectué un ou plusieurs ateliers. « J’ai tout essayé, les larmes, la colère… Ils ne se rendent pas compte qu’il y a le loyer des gens en jeu », lâche désabusée Marion qui attend depuis plus d’un an d’être payée. Comme elle, ils sont une dizaine à attendre des sommes allant jusqu’à des milliers d’euros depuis plusieurs mois ou années de cette structure dirigée par un élu de Saint-Denis, Lionel Lada, conseiller municipal de l’édile socialiste Mathieu Hanotin.

    Plus de 2.000 euros en attente

    « C’est que par précarité qu’on se retrouve dans un truc pareil », poursuit Marion. Certains artistes ou compagnies ont été directement démarchés par BL éducation, d’autres ont postulé à une offre d’emploi souvent sur Linkedin. Pour la majorité des personnes interrogées, le choix de travailler sur des ateliers ponctuels était idéal pour compléter leurs revenus d’artistes. Après un entretien puis une après-midi de « formation » non-rémunérée, les intervenants reçoivent donc des propositions d’ateliers où se rendre.

    Thomas (1) a saisi cette opportunité pour compléter ses prestations au début de l’année 2023 alors qu’il se lançait comme DJ. Ce dernier raconte avoir effectué plusieurs activités sans jamais recevoir un euro. « Au bout d’un an d’attente, je me suis dit : “Il y a un truc qui cloche…” » Malgré ce retard de paiement, il continue d’avoir des propositions d’ateliers et accepte une nouvelle activité « pour dépanner » en février dernier. Mais toujours rien. Aujourd’hui, le jeune homme dit attendre près de 2.000 euros de prestation. Un montant en attente également partagé par Nadège qui a effectué plusieurs ateliers il y a plus d’un an et demi.

    Communication bloquée

    Pour tenter de récupérer les sommes dues, tous affirment avoir relancé de nombreuses fois la structure, que ce soit par mail ou par téléphone. Davina, qui gère une troupe et des cours de samba, a envoyé des intervenants pour près d’une vingtaine d’ateliers de danse ou de percussions. Cette dernière attend depuis plusieurs années plus de 1.000 euros d’interventions :

    « J’ai appelé plusieurs fois, on n’a jamais un responsable au téléphone, ils refusent de donner leur nom ou leur mail. »

    Les intervenants avec qui nous avons échangé n’ont pour la plupart jamais vu ni pu échanger avec le président de l’entreprise Lionel Lada. StreetPress a également essuyé un refus en tentant d’obtenir ses coordonnées auprès de BL. Ce dernier, fondateur et créateur d’Activités éducatives et élu à la ville de Saint-Denis dans l’équipe du maire Mathieu Hanotin n’a pas donné suite à nos sollicitations. Par ailleurs, tous décrivent les salariés de la boîte comme étant très jeunes. « Il y a énormément d’alternants et un turn-over de malade », selon Lise. Plusieurs intervenants floués affirment avoir tenté de laisser un avis négatif sur Google ou un commentaire sur les réseaux sociaux qui ont finalement disparu par la suite. Deux d’entre eux ajoutent également avoir tenté de contacter le directeur par Linkedin ou par mail sans avoir de réponse. Thomas résume :

    « Il y a tout de verrouillé, ils virent des commentaires et présentent leur structure comme fermée. »

    Des difficultés financières ?

    En janvier dernier, les intervenants reçoivent finalement un mail de la part des ressources humaines dans lequel il est mentionné des « difficultés de trésorerie » et le fait d’avoir conscience que le délai de « règlement pour les factures a fortement été dépassé », bien que la structure continue de publier sur LinkedIn encore récemment. « Il y avait toujours une bonne excuse comme : “Nous aussi, on n’est pas payé, c’est pour ça qu’on ne vous paie pas” », renseigne Nadège qui a fait plusieurs animations autour de la nature.

    Comme elle, d’autres intervenants ont reçu cette réponse lors de leurs nombreux appels. Mais pour Lise qui a effectué ses prestations entre juillet et décembre 2022, l’attente commence à peser. D’autant qu’une des maisons de quartier pour laquelle elle a travaillé confirme le paiement : « On fait les versements sous 30 jours. De notre côté, tous les virements ont été effectués. »

    Quelques remboursements

    Après une dizaine de mois d’attente et la confirmation auprès des structures que les virements ont bien été effectués, Phyl qui gère la web-radio le Postagalen décide de saisir le tribunal de commerce et d’envoyer un message de relance à tous les mails qu’il possède dès qu’il a du temps libre. « Parfois cinq par jour », informe-t-il un peu amusé. Il a finalement perçu un premier règlement fin mars, puis un second début avril. De son côté, Lise a contacté un huissier de justice et a perçu environ 400 euros en avril dernier alors qu’elle en attend 2.000 de plus pour sa quinzaine d’ateliers non-rémunérés. Autre technique utilisée : la médiatisation. En février, un intervenant choisit de contacter l’émission Ça peut vous arriver de Julien Courbet. Quelques jours après la diffusion de celle-ci, le magicien recevait les 600 euros qu’il attendait depuis près de huit mois.

    Mais pour cinq autres personnes contactées par StreetPress, c’est toujours l’attente. Une intervenante en théâtre qui a effectué un seul atelier pour une somme de 90 euros ne se voit pas lancer dans des démarches judiciaires pour si peu. « Ça ne vaut pas le coup », résume-t-elle blasée. Pour Nadège, qui attend 2.000 euros :

    « Ils misent tout là-dessus : que les gens laissent tomber à force d’attendre… »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    Contactés, Lionel Lada et la mairie de Saint-Denis n’ont pas répondu aux sollicitations de StreetPress. Activités éducatives a renvoyé vers son patron, Lionel Lada.

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