« Aujourd’hui, je n’y vais plus. Je n’y vais jamais. Je suis submergé par le mépris pour tous ces gens. » Christian Bouchet est désormais amer quand il parle de Metapedia, malgré tout le temps et l’énergie que cette figure tutélaire de l’extrême droite nationaliste-révolutionnaire a pu consacrer par le passé à cet « anti-Wikipédia ».
Né fin 2006 en Suède, Metapedia s’est rapidement décliné dans d’autres langues, dont le français. Mais la version hexagonale est très rapidement devenue un champ de bataille entre les différentes chapelles de l’extrême droite bleu-blanc-rouge. Elles se sont disputées l’hégémonie de cette encyclopédie alternative balbutiante qui avait de grandes ambitions selon ses propres dires : participer à la bataille métapolitique, avec un site dévoué à la « mouvance nationale » et ayant pour objectif la « réinformation » pour « présenter une image plus équitable de la lutte pro-européenne ».
Le lancement
C’est en 2007 que Bouchet est mis au courant du projet international Metapedia, construit pour concurrencer Wikipédia. Avec une petite équipe – entre six et dix personnes, issues de diverses tendances de l’extrême droite – il lance la version française du site en mai 2007, en toute autonomie. « Nous n’avions aucun lien avec la direction internationale de Metapedia », analyse-t-il. « On souhaitait faire un fachopédia de qualité », renchérit-il.
L’ancien du Grece et du Club de l’Horloge, deux think tanks de la Nouvelle Droite, a alors un mantra :
« Si l’on est moins bons que Wikipédia, on n’écrit pas. »
Des fiches écrites par les concernés
À son lancement et dans les premières années, Metapedia France connaît un trafic important pour un wiki alternatif. Mais s’il essaie au maximum de ressembler visuellement à Wikipedia, le site est bien loin des standards de « l’encyclopédie de référence », qui valorise la neutralité et la crédibilité des sources utilisées. Un certain nombre de figures « connues » de l’extrême droite française se sont en effet inscrites dans les éditeurs, souvent pour faire leurs propres pages ou celles de leurs amis. On trouve par exemple le néonazi Boris Le Lay, fondateur et animateur des sites orduriers Breizatao et Démocratie Participative, exilé au Japon depuis 2014 pour fuir ses condamnations par la justice française. Ou, plus niche, l’ancien boss du Front National Jeune (FNJ) en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Grégory Gennaro, qui s’auto-définit comme un « lepeniste de gauche » sur sa fiche.
Christian Bouchet a d’ailleurs édité Metapedia en compagnie de son fils, Gauthier Bouchet de 2007 à 2014. Cet élu de Saint-Nazaire (44), parfaitement inséré dans la machine du Rassemblement national (RN) depuis des années, a écrit sa propre fiche, aidé parfois de son père, pendant qu’il gérait en parallèle les comptes Twitter du Front National et de sa patronne, Marine Le Pen. Quand Christian claque la porte du site en 2014, Gauthier, qui vient d’être élu conseiller municipal de Saint-Nazaire, cesse d’utiliser son profil sur Metapedia. Et l’édition – dithyrambique – de sa page est reprise par un certain « Moïse », jusqu’en 2021. Pseudonyme qui s’avère aussi être le second prénom de Gauthier Bouchet. Pourtant, celui qui est aussi assistant parlementaire de l’eurodéputé RN André Rougé et responsable RN en Loire-Atlantique, nous a déclaré « n’avoir pas beaucoup contribué » au site et « ne pas vraiment le connaître ».
La chute
L’aventure de Metapedia se gâte assez vite. Catholiques-traditionnalistes comme identitaires n’acceptent pas la mainmise nationaliste-révolutionnaire sur Metapedia et le font savoir. Les tradis lancent leur propre site, Eruditus – qui n’existe plus aujourd’hui –, tandis que les identitaires se plaignent auprès de la direction internationale de Metapedia. Le résultat d’une guerre d’influence qui se joue depuis le début des années 2000 et la fin d’Unité radicale – groupuscule né de plusieurs chapelles nationalistes-révolutionnaires dissous en 2002 après une tentative d’assassinat de Jacques Chirac par un membre. Avant Metapedia, chaque camp a alors son site, les NR se sont regroupés vers le bien-nommé VoxNR alors que les identitaires se sont tournés vers la version française d’Altermedia – plateforme née aux USA, dirigée un temps par l’ancien du Ku Klux Klan David Duke – puis vers Novopress.
Bien qu’indépendant selon Bouchet, le Metapedia français se voit alors imposer un second webmestre, identitaire cette fois. Les tensions apparaissent, avec des visions divergentes sur de nombreux sujets. « Il a commencé à intégrer une dimension racialiste dans de nombreux papiers, et modifier des articles déjà faits », souligne le vieux routier de l’extrême droite radicale. Un point notamment ne passe pas : le second webmestre aurait modifié toutes les références à « l’entité sioniste » par « État d’Israël ». « C’était un “sionistophile” comme pas possible », raconte, agacé, celui qui soutient notamment l’humoriste antisémite Dieudonné. Le ton monte, et la majorité de l’équipe quitte Metapedia en 2014. Acerbe, Christian Bouchet estime :
« Il [le second webmestre] se retrouve avec trois, quatre débiles, incapables de tenir un site et d’écrire des articles. »
Bannis de Wikipédia, négationnisme et contenus néonazis
L’affaire n’a pas aidé à la réussite de Metapedia, qui a été rapidement banni des écrans d’un bon nombre d’institutions administratives françaises, comme la mairie de Saint-Nazaire – Gauthier Bouchet s’en plaignait même sur Twitter, évoquant une « censure ».
Après Bvd Voltaire, c'est le wiki #Metapedia qui est censuré sur les ordinateurs de l'Hôtel de ville de Saint-Nazaire pic.twitter.com/exw3kg0G9M
— Gauthier Bouchet (@GauthierBouchet) October 1, 2014
Dans certains collèges et lycées aussi, le site est inaccessible, au même titre que les sites pornographiques, ou certains réseaux sociaux. Mais pas dans tous, malgré des signalements de syndicats de professeurs documentalistes. De nos jours, la version française de Metapedia n’est plus aussi active qu’à son lancement, mais ses 3.921 articles sont toujours édités quotidiennement, par une toute petite équipe qui s’est notamment fait bannir de Wikipédia en 2020 pour caviardage et négationnisme. Laissant aux oubliettes la volonté de faire des articles de qualité « ouverts à toutes les tendances » de l’extrême droite.
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