En ce moment

    06/06/2023

    « Je suis la petite souris qui rend votre quotidien meilleur »

    Les dernières gardiennes de HLM de Seine-Saint-Denis

    Par Paul Boyer

    70.000 personnes – dont 85% de femmes – exerceraient le métier de gardiennes en France. Des chiffres en constante baisse depuis les années 80. Martine, Maryam et Christine font partie des dernières concierges de Seine-Saint-Denis.

    « Je suis toujours là, près de ma loge ! » promet Martine (1), 57 ans et 12 années de métier comme concierge. « Le seul moment où je pars, c’est en août : on retourne deux semaines dans le nord du Portugal, notre pays d’origine. » En robe de chambre, plaid sur les épaules et chaussons aux pieds, Martine refait ses bigoudis à l’arrière de sa loge en cette fin d’après-midi du mois de mai. Située à deux pas de l’église Saint-Germain à Pantin, sa tour fait huit étages, 32 appartements et bien plus d’une centaine d’habitants. Ce qui génère pas mal de passages et donc du travail pour la petite dame coquette. Du haut de son mètre 60, elle assure, que, sans elle, le bâtiment serait bien moins entretenu :

    « On ne me voit pas souvent car je suis discrète. Je suis comme la petite souris qui nettoie et passe derrière vous pour que votre quotidien soit meilleur. »

    Comme Martine, elles seraient près de 70.000 à exercer le métier de gardienne en France – dont près de 800 en Seine-Saint-Denis. Bien que des hommes occupent quelques loges, la profession serait constituée à 85% de femmes selon les derniers chiffres du ministère du Logement. « Je suis l’une des dernières gardiennes ici, à Bobigny », témoigne Maryam (1), 59 ans. Les chiffres prouvent effectivement une désertion du poste : au début des années 1980, l’Insee recensait près de 30.000 concierges à Paris. Aujourd’hui, les estimations font état de seulement 17.000 dans la capitale, dont près de 1.250 dans le parc social. « Je fais ce métier depuis plus de 20 ans. Si j’avais dû commencer aujourd’hui, j’aurais sans doute fait autre chose… » Pénibilité, manque de reconnaissance et bas salaires, autant d’explications pour Maryam, qui ne compte toutefois pas laisser les locataires de son bâtiment à l’abandon :

    « Honnêtement, je continue à exercer ce métier car je l’aime. Mais j’ai l’impression d’être moins considérée qu’il y a quelques années. En supprimant nos postes, la société montre que nous ne sommes pas essentielles. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo-2_1.jpeg

    70.000 personnes – dont 85% de femmes – exerceraient le métier de gardiennes en France. / Crédits : StreetPress

    Le métier

    Maryam porte une longue robe bleue à fleurs. Dépassée par les tâches ménagères de l’immeuble, elle s’active pour récurer le hall, laver les vitres, arroser les plantes et sortir les poubelles du local. Cette femme, atteinte d’un mal de dos chronique depuis plus de cinq ans, est née à Bobigny et y a grandi. En 1995, elle prend son poste de gardienne sur la dalle Paul Eluard, construit en 1970 : un ensemble de dix tours de 18 étages, où vivent 5.900 habitants. À l’époque, ils sont six concierges pour s’occuper des lieux. Mais depuis quelques années, les loges se sont vidées. Finie l’époque où chaque tour avait sa propre gardienne. Aujourd’hui, la loge de Maryam accueille les doléances des locataires de trois immeubles. Elle est employée par Seine-Saint-Denis Habitat, bailleur social qui propose toujours des postes de gardienne d’immeuble. Malheureusement, cette profession attire de moins en moins.

    A LIRE AUSSI : À Créteil, les gardiens d’immeubles en ont marre

    Dans une des tours voisines, Christine (1), 46 ans, a pourtant décidé d’occuper un de ces postes, resté vacant pendant presque 12 mois. « Dans ma situation, j’aurais accepté n’importe quoi », sourit la maman célibataire, arrivée de Pologne il y a peu de temps avec ses trois enfants :

    « Les Français ne veulent pas faire ce métier, je sais. Mais moi, ça me va. Je fais le ménage, je m’occupe de tous les petits problèmes de l’immeuble et mes journées passent vite. »

    Le matin même, elle a dû guider les secouristes sur la dalle car une femme d’un autre immeuble a fait un malaise vagal. « C’est un job de rêve pour moi », explique Christine en collant des stickers « stop publicité » sur des boîtes aux lettres. « Je prends des cours de français » poursuit-elle avec un léger accent de l’Est, en se dirigeant vers sa loge. « En fin de matinée et en début d’après-midi, quand les enfants sont à l’école et que les adultes travaillent, j’ai un peu de temps pour moi, pour réviser. » Une croix catholique est clouée au-dessus de sa porte. « C’est pour me protéger », sourit-elle un peu gênée. À l’intérieur, quelques photos de famille et des cartes postales de Varsovie.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo-3_1.jpeg

    La profession de gardiens d'immeuble attire de moins en moins. / Crédits : StreetPress

    La confidente

    En 2022, Christine raconte avoir été formée pendant plusieurs jours aux gestes de premiers secours, en cas d’urgence dans l’immeuble :

    « Je suis rassurée maintenant : si un locataire a un souci de santé, je sais appliquer les gestes de premiers secours comme un massage cardiaque en attendant que les pompiers arrivent. C’est vital, je me sens encore plus utile en cas d’urgence grâce à cette formation. »

    Elle s’est également retrouvée à soutenir ses locataires, comme en 2020 lorsqu’elle accompagne une femme en procédure de divorce. Lors de cet événement, Christine apporte à cette femme un soutien moral et psychologique nécessaire, bien loin de sa seule fonction de gardienne. « C’était naturel pour moi de l’aider. Je suis malheureusement aussi passée par là. J’ai déjà divorcé et je sais que c’est très difficile, tant administrativement qu’émotionnellement. »

    Dans son immeuble de Pantin (93), Martine raconte des histoires similaires. De nature réservée – « je suis comme une souris », répète-t-elle – elle est venue en aide à une femme victime de violences conjugales. Un soir, cette dernière passe devant sa loge, en pleurs. Martine ouvre sa porte, faisant de sa loge un refuge le temps d’un instant. « Je ne savais pas quoi lui dire, j’avais peur qu’elle se braque… », raconte Martine :

    « Je lui ai juste dit que j’étais là si elle avait besoin de parler. Elle m’a pris la main et nous avons discuté. »

    Martine est petite-fille de gardienne. Sa mère exerçait cette profession au Portugal et connaissait tout le monde dans son village. Elle l’a vue, elle aussi, rassurer, écouter, améliorer le quotidien. « Ce métier est dans notre sang. Il faut savoir écouter les locataires et réussir à sortir parfois de notre rôle, nous sommes des humains après tout. » Une bonne gardienne sait s’adapter à toutes les situations, assure-t-elle. « Une collègue m’a dit un jour que nous étions aussi des psychologues, et je trouve que c’est vrai ! Si vous saviez le nombre de gens qui ne vont pas bien et qui ont besoin de parler. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo-4_1.jpeg

    Les gardiennes sont aussi des confidentes et un soutien pour les habitants. / Crédits : StreetPress

    Bientôt plus de concierge

    « Il y a dix ans, les gens nous respectaient… Aujourd’hui, on nous fait croire que l’on ne sert plus à rien, qu’on est presque inutiles », confesse Martine, la gorge nouée. Les nombreuses incivilités telles que les déchets laissés dans les escaliers ou encore les graffitis devant sa loge, la démoralisent depuis plusieurs semaines. Pourtant, si elle ne nettoyait pas quotidiennement ces ordures ménagères, personne ne le ferait. Régulièrement, son hall est également squatté par des sans-abris. Ayant du mal à les déloger seule, elle a été contrainte d’appeler à contre-cœur la police en décembre 2022.

    La Portugaise d’origine note une dégradation de ses conditions de travail à partir du début des années 2000. En 2010, elle se souvient d’un locataire qui était énervé à tort contre elle, car elle avait posté son colis avec un jour de retard. À l’époque, elle croulait sous cette surcharge de travail et jonglait avec ses propres problèmes familiaux. Quelques jours plus tard, le locataire est venu vider devant sa loge toutes ses poubelles de la semaine.

    « C’était horrible… J’essaie tout le temps de bien faire les choses, je n’ai jamais compris la réaction de ce Monsieur. Il m’a fait très peur. Je me suis sentie humiliée quand j’ai dû récurer tous les déchets qu’il a jetés devant ma porte. Plus jamais je ne veux revivre cela. »

    « Comment voulez-vous que les locataires soient sereins avec des ascenseurs toujours en panne ? Cela fait plus de deux mois, et personne n’est venu le réparer », s’énerve Maryam. Elle déplore le manque de moyens donnés aux concierges. « Ce n’est pas le 16e arrondissement de Paris ici, mais on doit quand même avoir droit au confort. »

    En Seine-Saint-Denis, 33 % des locataires sont logés dans des parcs HLM. Dans le département, 13 % des locataires d’HLM déclarent vivre dans de très mauvaises conditions de logement. En cause notamment : l’obsolescence d’une partie du parc immobilier, ancien et mal entretenu. Le surpeuplement des logements ainsi que le coût excessif des loyers compte tenu des revenus des familles, jouent également. Résultat : la fatigue, le stress et la surcharge de travail s’accumulent pour les gardiennes. Malgré tout, Martine, Maryam et Christine comptent bien continuer de tenir leurs loges. Pour faire perdurer un métier qu’elles promettent essentiel.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/photo-5_1.jpeg

    En Seine-Saint-Denis, 33 % des locataires sont logés dans des parcs HLM. / Crédits : StreetPress

    (1) Les prénoms ont été changés : Martine, Maryam et Christine ont souhaité rester anonymes par peur d’être ennuyées par leurs employeurs.

    Les images d’illustration sont des bâtiments de Drancy, extraites de notre reportage : Ils veulent mettre fin à la guerre entre leurs deux cités

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER