Il est 13h45, le cortège devrait bientôt se mettre en branle. Marie-Ange, 19 ans, les yeux couverts d’un fard à paupières multicolore, se tient un peu à l’écart. La jeune femme semble un peu intimidée. « C’est ma première manif ! », confesse-t-elle, un brin tendue à l’idée de se retrouver coincée dans une nasse policière. Avec sa copine plus habituée aux mouvements sociaux, elles inspectent la place. « On essaye toujours d’avoir en vu un moyen de s’échapper », détaillent-elles :
« Mais si on reste pacifiste, il n’y pas de soucis normalement… Enfin on espère. »
Christian, conducteur de train, la cinquantaine, semble plus détendu. Faut dire que ce syndicaliste de chez Sud Rail en a vu d’autres. « J’ai été blessé en 2014, c’était juste ici d’ailleurs », il désigne un trottoir situé un peu plus loin. « Il y a eu une grosse charge de CRS et je me suis retrouvé au sol, blessé aux mains et à la jambe. J’ai rien demandé à personne j’ai été violenté. Si vous êtes blessé on vous laisse au sol, c’est dur. » Il évoque aussi 2016 et la loi travail, mais pour lui, depuis l’arrivée au pouvoir de Macron, la police est plus violente :
« Il y a beaucoup de répression, déjà avec les gilets jaunes. Et là ça recommence. On a un collègue père de trois enfants qui a été éborgné. Il était pacifique le gars. Il ne pensait pas perdre un œil en allant manifester. Ils balancent sans rien respecter, vous êtes là sans rien faire vous prenez un LBD. »
Christian, conducteur de train, la cinquantaine, syndicaliste chez Sud Rail. / Crédits : Lisa Noyal
Casser le mouvement
Le cortège de Christian se met justement en mouvement. Pour ne pas se faire distancer, il accélère le pas. Tandis qu’il s’éloigne, il ajoute :
« S’il y a une répression aussi forte, c’est pour faire peur aux citoyens. »
Ils sont nombreux dans la manif contre la réforme des retraites à penser que le maintien de l’ordre brutal vise à casser la mobilisation. « On a bien remarqué que dans les médias, la semaine dernière, ils n’ont parlé que des dispositifs et du nombre de forces de l’ordre… », commente Hélène, venue avec Saïda et Georges. L’infirmière à domicile poursuit :
« Le but c’est de faire peur aux gens pour ne pas qu’ils aillent en manif. »
George, lui, affirme qu’il n’a pas peur. « Je fais en sorte de ne pas être au contacte de ce qu’il se passe, sinon on fait en sorte de s’extraire. » Son amie Saïda est moins sereine :
« Quand même quand tu vois sur BFM, le petit papy qui se fait charger, ça fait peur et ça fait de la peine… »
Le trio de cégétistes n’est pas pour autant prêt à lâcher la mobilisation. Hélène, commente :
« Je suis infirmière à domicile. Il faut soulever des gens de 80 kg. A 64 ans, on ne pourra plus… »
Saïda, Hélène et Georges, infirmiers à domicile. / Crédits : Clara Monnoyeur
D’autres, comme Juliette, 24 ans, expliquent venir moins souvent. La jeune femme qui « travaille dans la réalité virtuelle » n’est pas syndiquée mais elle s’était déjà mobilisée aux côtés des gilets jaunes. « C’était une période anxiogène », rembobine-t-elle :
« Il y avait déjà des violences exacerbées, des gazages injustifiés. Ça arrivait au milieu de nul part. Il y avait des flics partout qui bloquaient les rues. Je me suis dit que ça allait mal finir. »
Sortir équipé
De nombreux manifestants viennent désormais « équipés ». Christian, le conducteur de train a dans son sac des lunettes de protection et des bouchons d’oreille :
« Certains collègues prennent des masques mais le problème c’est qu’aux abords des manifs il y a du filtrage donc ils disent que vous êtes un émeutiers et vous les confisquent. »
Juliette, elle ne s’équipe plus, justement par peur de la police. « Avant je n’y allais jamais sans lunettes de piscine. Mais aujourd’hui on voit qu’on peut aller en GAV pour ça. Alors je ne prends que du sérum et je me couvre la peau et la tête. Céline 51 ans, ne prend rien non plus, « juste une bouteille d’eau et des mouchoirs ». Mais l’employée libre service, syndiquée à la CGT a, dit elle, développé de bon réflexes :
« Quand ça chauffe, je sais me mettre sur le côté, contre un mur pour éviter les problèmes. »
Céline, 51 ans, employée libre-service. / Crédits : Lisa Noyal
Françoise, 71 ans et Jacques, d’un an son cadet, défilent en couple. Tout deux marchent tranquillement au milieu du cortège de la CFDT. « On y a adhéré toute notre vie », rigole l’enseignante au large sourire. « D’habitude on manifeste à Blois. A paris j’ai un peu peur. On a l’impression que les violences policières sont souhaitées par le pouvoir. »
Jacques enchaîne :
« Moi j’ai pas peur. Les techniques utilisées sont répressives. »
« Je ne sais pas si j’irai jusqu’au bout », complète Françoise :
« On court moins vite à notre âge et on n’est pas équipés. »
Jacques, 70 ans, retraité. / Crédits : Lisa Noyal
Quand ça chauffe, on bouge
Sophie a 37 ans. L’enseignante fait partie de Génération. Elle est venue avec ses deux filles de 5 et 8 ans qui colorient à la craie juste à côté du stand fixe de son parti :
« Oui j’ai peur. J’ai fait les manifs parisiennes et dans le Val d’Oise où c’est beaucoup plus bienveillant. Mais à Paris tout le monde est beaucoup plus à cran. Ça ne m’a pas empêché de venir avec mes filles mais je ne resterai pas ce soir. »
Sophie, 37 ans, enseignante. / Crédits : Lisa Noyal
Un peu en amont, Aïssa 19 ans et Djamila 52 ans marchent côte à côte. La standardiste et l’artiste peintre se sont rencontrées en allant à la manif. La première s’est déjà pris un coup de matraque, alors qu’elle sortait du travail. « Vers Palais Royal, ils ont mis des coups à tous les passants. » La seconde s’est fait une belle frousse, quand elle s’est retrouvée coincée « entre un black bloc et les CRS ». Depuis, toutes deux font gaffes. Elles annoncent aussi qu’elles n’iront pas au bout. Djamila raconte :
« On s’est retrouvé à Opéra dès que j’ai vu que deux convois bloquaient et que ça prenait feu et je suis partie. Je sais qu’à partir d’un certain moment que je pars. »
Djamila, 52 ans, peintre. / Crédits : Clara Monnoyeur
« Tout est fait pour décourager les gens qui viennent manifester », conclut Claude, 62 ans, retraité, ancien de chez Orange et encarté à la CGT :
« J’appelle tous les gens qui ont peur de cette réforme ou qui ont peur de venir en manif à verser aux caisses de grèves pour soutenir le mouvement. »
Claude, 62 ans, retraité. / Crédits : Clara Monnoyeur
Image principale de Nnoman Cadoret.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER