« Qu’est-ce qu’on veut ? Un logement ! », s’égosillent plusieurs centaines de jeunes exilés rassemblés sur le parvis de la Gaîté Lyrique, lieu culturel de la ville de Paris. Ce samedi 11 janvier 2025, la température est de deux degrés. Le groupe de manifestants dansent au rythme des percussions pour se réchauffer. C’est la énième manifestation du collectif des Jeunes du parc de Belleville, qui occupent depuis un mois les premier et deuxième étages du bâtiment public. Ils réclament, entre autres, un accès à un hébergement digne. Mohamed (1), un des porte-paroles du mouvement, lance :
« C’est un moyen pour nous de visibiliser notre situation, de raconter dans quelles conditions nous vivons, et de dénoncer la façon dont l’État et le gouvernement traitent les mineurs isolés ! »
Les Jeunes du parc de Belleville occupent la Gaieté Lyrique depuis un mois. / Crédits : Hervé Lequeux
Quant à la Gaîté Lyrique, elle a annulé sa programmation (concerts, conférences, exposition,… ) et a refusé d’utiliser la force pour sortir les jeunes du bâtiment. Dans un communiqué publié le 10 janvier, elle réitère :
« La Gaîté Lyrique regrette le caractère subi et soudain de cette occupation, mais rappelle la légitimité de la revendication du collectif visant à obtenir un toit. »
Le collectif espère obtenir une solution d'hébergement rapidement. / Crédits : Hervé Lequeux
Depuis le 10 décembre 2024 et le début de l’occupation, la situation est au point mort, selon la direction de la Gaîté Lyrique, qui déplore l’inaction de la Mairie et de l’État. Les conditions de vie deviennent de plus en plus critiques pour les 340 personnes qui dorment sur place et dont le nombre ne cesse d’augmenter.
340 dans un lieu inadapté
Sur le parvis du bâtiment en pierre, Fana grelotte. L’ado de 15 ans est sorti prendre l’air avec ses amis, mais la température proche des négatifs le fait regretter. Lui n’est pas allé manifester hier, épuisé par les nuits à dormir sur un drap posé à même le sol. Il a préféré se reposer et profiter du calme, pendant que ses amis battaient le pavé. Le garçon finit par rentrer à l’intérieur et s’assoit sur une table jaune. Un baby-foot trône au milieu de la pièce, entouré de couverture au sol. Personne n’a la force d’y jouer aujourd’hui. « Trop fatigués », chuchotent un groupe de jeunes pour ne pas réveiller un autre qui dort. Certains dorment sur des tables, quand d’autres ont réussi à récupérer quelques poufs ou canapés du lieu parisien. Plus loin, un groupe de Maliens se fait passer une boisson au gingembre glacée dans un silence de plomb. Dans leurs dos, les photos de l’exposition « Transgalactique », que la Gaîté Lyrique a dû fermer au public.
Fana, 15 ans, a fui l'instabilité de son pays, La Guinée. / Crédits : Hervé Lequeux
Fana fait défiler les stories Instagram sur son téléphone, pour passer le temps. Le Guinéen prend des nouvelles de ses proches. L’instabilité de son pays, où ont eu lieu des manifestations contre le pouvoir en place, l’inquiète : « Je suis quand même mieux ici…» À côté de lui, son ami s’applique à écrire ligne après ligne les lettres de l’alphabet, en espérant bientôt aller à l’école. Difficile de se concentrer dans le brouhaha ambiant et la chaleur dégagée par la foule.
Au fond de la pièce, Fati s’énerve. La jeune fille en a marre de passer son temps à nettoyer et à ranger les affaires des garçons. Elle aimerait que ce soit plus propre et ne supporte plus de croiser des hommes dans les WC pour femmes. Mais l’espace n’offre que quatre toilettes pour plus de 340 personnes. Un jeune passe, ses cheveux mouillés goûtent sur le sol. Il vient de se rincer la tête au lavabo. Il n’y a pas de douche, alors les deux robinets sont les seuls points d’eau. Et il fait trop froid pour marcher jusqu’aux bains-douches.
Fati se gratte les yeux : une infection la brûle, en plus de la grippe. L’épidémie s’est propagée à grande vitesse dans les deux étages du bâtiment. Les quintes de toux de dizaines de jeunes résonnent encore. Fati se sent à bout de force : « J’ai l’habitude de manger une fois par jour… » Le matin, les soutiens du collectif distribuent des petits déjeuner, du pain et du lait froid. Le deuxième repas de la journée n’est qu’à 21 heures, avec une nouvelle distribution. Fati se remplit le ventre par procuration, avec des vidéos de cuisine sur les réseaux sociaux, qu’elle regarde en boucle :
« J’aimerais trop être pâtissière, c’est ma passion. Si on avait une cuisine, je pourrais commencer à faire des gâteaux et à m’entraîner pour l’école ! »
À la rue en plein hiver
Ibrahim raconte avoir passé deux mois sous un pont avec une vingtaine d’autres jeunes, avant d’arriver ici, dans le 3e arrondissement de Paris. Tous les matins, les policiers passaient les réveiller en leur ordonnant de ranger leur tente. Après l’avoir pliée en boule, Ibrahim se réfugiait à la bibliothèque d’à côté, pour profiter d’un peu de chaleur, raconte-t-il. Après une balade – quand le temps le permettait –, il revenait sous le même pont réinstaller sa tente. Sans l’occupation de Gaîté Lyrique, il aurait passé le reste de l’hiver dehors :
« On n’a pas d’autres endroits où aller. »
Ibrahim, 15 ans, est arrivé en France en août 2023. / Crédits : Hervé Lequeux
Arrivé en France en août 2023, cela fait 9 mois qu’il n’a pas eu de nouvelles de ses parents. Ibrahim, qui assure avoir 15 ans, rêve des bancs de l’école, pour apprendre et travailler dans l’informatique, ou bien dans la musique. Derrière lui, ses amis le charrient. « Il fait du rap, c’est un rappeur ! » Ibrahim souri, timide, et s’enfonce la tête dans sa capuche noir.
Pas de prise en charge
Fana raconte aussi ses nuits dehors et ses errances. Il est arrivé le 31 décembre à la Gaîté. Entre le début de l’occupation, le 10 décembre, et aujourd’hui, 140 jeunes supplémentaires s’y sont réfugiés. La famille de Fana n’est pas au courant de ses conditions de vie. Il a quitté la Guinée Conakry avec son grand frère, dans le dos de ses parents :
« Ils voulaient me marier de force, mais j’étais trop jeune. »
Il est passé par le Mali, le Maghreb, avant un terrible trajet en bateau : trois jours de mer avec plus de 100 autres personnes sur un zodiac pour arriver en Espagne. « J’ai eu très peur. » Tout ce temps, il a précieusement gardé son extrait de naissance collé contre lui, dans sa veste. Mais le document n’a pas suffi à convaincre le département chargé d’évaluer sa minorité : l’institution ne croit pas qu’il a 15 ans. En France, tout enfant étranger reconnu mineur et non accompagné sur le territoire (MNA) doit être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Mais les critères d’évaluation de minorité, qui relèvent des départements, sont régulièrement dénoncés – comme les tests osseux – par les associations de défense des droits des étrangers.
Fana a fait un recours. Son audience est prévue en avril. « Au moins, en attendant, je ne dors pas dehors », souffle-t-il dépité, en essayant de rentrer ses mains gelées dans sa veste trop petite. Car en attendant, aucune aide ne lui est apportée. En janvier 2023, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a sanctionné la France sur son manquement à assurer la protection d’un MNA durant la période de recours.
Au rassemblement des Jeunes du parc de Belleville, le 11 janvier, devant la Gaîté Lyrique. / Crédits : Hervé Lequeux
De nombreux jeunes sont dans la même situation administrative que Fana. Plusieurs fois par semaine, l’ensemble des occupants se réunissent en assemblée générale pour discuter des futurs actions. Mohamed fait partie des délégués du collectif. Sa casquette noire sur la tête il lance :
« On demande plus qu’un simple gymnase. On demande à l’État de prendre ses responsabilités, et de construire des centres d’accueil. On est là, on a le droit, on ne va pas lâcher. »
Depuis le début de l'occupation, le 10 décembre 2024, les Jeunes du Parc de Belleville manifestent tous les samedis devant la Gaîté Lyrique. / Crédits : Hervé Lequeux
La Mairie de Paris, via son adjointe en charge des solidarités, explique à StreetPress que la Ville continue de chercher activement une solution d’hébergement. La municipalité se défausse toutefois, en expliquant que le relogement est une compétence de l’État. Contacté, la préfecture de Paris n’a pas répondu à StreetPress à ce jour.
À LIRE AUSSI : Les enfants placés étrangers valent presque deux fois moins que les Français
Pour faire un don au collectif des jeunes du Parc de Belleville et aider à financer les repas du matin et du soir, vous pouvez cliquer ici. Vous pouvez signer leur pétition pour un « hébergement immédiat pour les mineurs isolés de la Gaîté Lyrique ».
Le collectif organise aussi des rassemblements de soutien devant la Gaîté Lyrique chaque mercredi et dimanche à 18 heures. Pour être tenu au courant de leurs actualités et des dates de manifestations, vous pouvez les suivre sur leur page Instagram @belleville.mobilisation.
(1) Le prénom a été modifié.
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER