En ce moment

    16/02/2023

    La police pensait qu’ils mentaient et étaient majeurs

    Fait rarissime : la justice révise des condamnations de mineurs isolés à Montpellier

    Par Christophe-Cécil Garnier

    Depuis un an, la Cour de révision et de réexamen demande des nouveaux procès pour des mineurs isolés qui avaient été condamnés à de la prison ferme, accusés d’avoir menti sur leurs âges. À terme, de nombreux jeunes pourraient obtenir une révision.

    C’est un scandale que la justice française commence à arranger. En 2021, StreetPress révélait comment une quarantaine de jeunes mineurs isolés avaient été condamnés à de la prison ferme à Montpellier (34), avec des amendes de plusieurs dizaines de milliers d’euros, pour une simple histoire d’âge. Ils avaient été accusés de s’être fait passer pour majeurs. Nous avions expliqué comment les papiers de ces jeunes étaient mis en doute par la police aux frontières (Paf) et le procureur local, alors que les mêmes sésames étaient ensuite confirmés par leurs ambassades.

    À LIRE AUSSI : Des dizaines d’étrangers mineurs envoyés en prison pour une simple histoire d’âge

    Amadou (1) fait partie de ces jeunes. En 2017, il a été condamné à trois mois d’emprisonnement au centre pénitentiaire de Villeneuve-lès-Maguelone. Amadou a d’abord fait reconnaître sa minorité auprès du consulat de son pays, la Guinée. Son avocat Sébastien Etcheverrigaray raconte :

    « J’ai fait ce que les enquêteurs devraient faire : obtenir les justificatifs nécessaires à caractériser l’identité des intéressés, pour s’assurer que les déclarations collent ou non. Et ça, ça n’avait jamais été fait ! »

    C’est grâce à ce travail que l’avocat et Amadou ont remporté une grande victoire en 2022 devant la Cour de révision et de réexamen. Elle a considéré que le passeport et les autres actes qu’ils se sont procurés auprès de son pays représentent des « éléments nouveaux » qui font « naître un doute » sur sa culpabilité. La juridiction a choisi de réviser leur affaire et de la renvoyer devant le tribunal correctionnel de Nîmes. Un événement rarissime.

    La Cour de révision et de réexamen

    « C’est une des juridictions les plus importantes de France ! » Dans son bureau du 17e arrondissement de Paris, l’avocat Michaël Ghnassia (2) présente la Cour de révision et de réexamen. Cette composante de la Cour de cassation peut réviser toute décision pénale définitive, s’il y a eu après une condamnation un nouveau fait ou si « un élément inconnu de la juridiction » au moment du procès a été depuis révélé. Entre 2014 et 2021, cette institution a été saisie de huit demandes de révision. Cinq ont abouti. En 2022, l’affaire d’Amadou s’est ajoutée à cette somme. Tout comme celle de Koffi (1), un Ivoirien également condamné à Montpellier et dont StreetPress a pu consulter la procédure de révision.

    Une troisième pourrait bientôt suivre avec Kouadio (1), un Ivoirien de 22 ans que StreetPress présentait dans sa précédente enquête, qui avait passé quatre mois dans la prison héraultaise à seulement 16 ans. Son avocat Michaël Ghnassia a lui aussi fait passer son dossier devant la juridiction et est confiant pour la suite :

    « Mon client a été condamné uniquement parce qu’on considérait ses papiers comme faux, alors qu’on a la preuve qu’ils sont vrais. Les jeunes comme lui vont obtenir une relaxe. »

    Selon le baveux, ce serait peut-être le type d’affaire « où il y a eu le plus de révisions. Même Omar Raddad (reconnu coupable du meurtre de Ghislaine Marchal, connu pour la phrase : « Omar m’a tuer ») ne l’avait pas eu ! » Contactée, la communication de la Cour de cassation complète que, pour l’instant, trois dossiers ont été tranchés sur ce sujet, et « quelques dossiers » sont devant la Cour d’instruction. « Ce n’est pas une vague », tempère-t-on.

    Néanmoins, maître Etcheverrigaray note l’avancée que peut représenter ces conclusions. « La Cour de révision, c’est un peu la boîte de Pandore », présente-t-il. Il n’était d’ailleurs pas « très confiant » sur la décision car si elle était favorable, ça pourrait permettre « un grand nombre de jeunes dans la même situation de pouvoir obtenir la révision ». Il salue une décision « courageuse » de la Cour, avec des arrêts « très motivés ».

    Le doute ne profite pas aux mineurs

    Pour Thierry Lerch, co-président de la Cimade Montpellier, une association de solidarité avec les sans-papiers, cette affaire prouve que « le doute ne bénéficie jamais aux mineurs ». Il rappelle que la loi précise pourtant le contraire. « La police, le préfet ou le procureur pourraient au moins demander un complément d’enquête dans le doute », prêche-t-il :

    « La preuve, deux décisions de la Cour de cassation viennent de prouver qu’ils ont été parfois injustement condamnés. »

    La plupart du temps, dans les histoires de ces mineurs considérés comme majeurs par la Paf, les agents trouvaient des « anomalies » dans les papiers présentés. « Mais ce n’est pas forcément de l’escroquerie. Ils ont parfois reproché que le papier n’était pas fait de la bonne façon. Mais si ça se trouve, la mairie du jeune dans son pays n’avait peut-être pas le bon moyen à l’époque. Il peut y avoir des défauts sur ces papiers mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas leur véritable identité », explique Thierry Lerch.

    D’ailleurs, même quand les mineurs ont confirmé leur identité auprès de leurs consulats et ont obtenu des passeports, les autorités doutent. En 2021, le procureur de Montpellier avait ainsi indiqué à StreetPress que « le fait que des documents d’identité soient délivrés par l’état d’origine ne constitue pas une preuve intangible dans la mesure où la police a pu établir l’existence de trafics de “vrais-faux” documents administratifs ». Une assertion qui avait fait bondir maître Ghnassia à l’époque. Les procédures menées par les maîtres Ghnassia et Etcheverrigaray auprès de la Cour de cassation battent cet argument en brèche. « Il n’y a pas de doute possible concernant les actes et les passeports que j’ai obtenus du consulat. L’État français n’a pas à remettre en cause les conditions dans lesquelles on délivre les actes d’état civil de pays étrangers », détaille l’avocat d’Amadou.

    Contacté par StreetPress sur les révisions de ces précédentes condamnations, le procureur de Montpellier a fait savoir qu’il n’avait pas apprécié notre résumé de sa position en 2021, que nous avions conclu par : « Circulez, il n’y a rien à voir. » Une phrase qui est restée en travers de la gorge du parquet :

    « Je n’envisage donc pas de me lancer dans un argumentaire développé qui subira sans doute le même sort et je vous laisse le soin d’interpréter ma réponse comme vous l’entendez. »

    Bref, circulez, il n’y a rien à voir.

    Des préjudices « énormes »

    En attendant, ces condamnations ont créé énormément de problèmes à ces jeunes. La décision de justice les a pour beaucoup empêchés de se faire régulariser et ils ont vécu dans la crainte d’être expulsés. « Mon client a été dans la clandestinité, le préjudice pour lui est énorme ! Il s’en est heureusement sorti grâce à la solidarité des gens mais ça aurait pu mal tourner », estime maître Ghnassia à propos de Kouadio. Quant à Amadou, « ça l’a complètement handicapé dans sa vie », pointe maître Etcheverrigaray.

    L’homme à la robe noire ne souhaite toutefois pas parler « d’erreurs judiciaires ». « C’est surtout parfois dû à des investigations incomplètes ou pas assez poussées par le parquet ou la défense. Car les avocats ne connaissent souvent pas tous les tenants et aboutissants de ces dossiers », juge-t-il. Ce sont des procédures très longues. Si Kouadio voit son dossier accepté par la Cour de révision et de réexamen, ça sera après trois ans de procédures menées par maître Ghnassia. Il conclut par une comparaison, sourire en coin :

    « Le capitaine Dreyfus, c’était neuf ans avant d’être réhabilité. »

    (1) Les prénoms ont été modifiés.

    (2) Il s’agit de l’ancien avocat de StreetPress.

    Image de Une : Salle d’audience de la chambre criminelle de la Cour de cassation du premier étage de la Cour de cassation au palais de justice de Paris. Photo prise par Tiraden et publiée sur Wikimedia Commons. Certains droits réservés.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER