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    04/01/2023

    « Son surnom était DSK »

    Au ministère de l’Intérieur, impunité pour un directeur harceleur sexuel

    Par Lina Rhrissi

    Daniel M., directeur au secrétariat général de l’administration du ministère de l’Intérieur de Metz a harcelé deux femmes. La justice l’a reconnu et pourtant il n’a jamais été sanctionné. Il a même obtenu de nouvelles responsabilités.

    La justice a tranché. Les attouchements, les blagues salaces et les intimidations de l’ancien directeur du secrétariat général de l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI) de Metz (57) ont nui à la vie professionnelle des deux plaignantes. Mais Daniel M. (1), le fonctionnaire mis en cause, n’a jamais été sanctionné et sa carrière a continué de progresser.

    Le 25 mai 2021, la Cour administrative d’appel de Nancy (54) a confirmé définitivement les jugements du Tribunal administratif de Strasbourg (67) condamnant en 2018 l’État français pour des faits de harcèlement sexuel dans le cas de Barbara (2) et harcèlement moral dans celui de Julia (2). Le ministère de l’Intérieur a été condamné pour ne pas avoir su protéger ses agents.

    Ses victimes sortent du silence pour dénoncer l’impunité dont il bénéficie depuis plusieurs années. Car selon nos informations, malgré ces décisions de justice, Daniel M. n’a jamais subi aucune sanction disciplinaire de la part de son administration. Pire, sa carrière a même progressé. Entre 2017 et 2018, il change de poste pour prendre celui de directeur de l’établissement central logistique de la police nationale (ECLPN), à Limoges (87). Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, lui rend même visite le 1er mars 2019 pour annoncer un plan d’action visant à mieux équiper les forces de l’ordre. Il apparaît fièrement à ses côtés sur des photos officielles, lui présentant les véhicules flambant neufs destinés aux policiers de tout le pays.

    En 2020, Daniel M. est nommé président de la commission de sélection pour le recrutement sans concours d’adjoint administratif de l’Intérieur et de l’Outre-mer organisé pour l’ECLPN de Limoges (87). Une nomination qui fait office de reconnaissance. Et qui, au passage, lui confère un pouvoir sur les recrutements.

    Remarques graveleuses et attouchements

    Les faits pour lesquels le ministère de l’Intérieur a été condamné remontent à 2012. « C’était avant Metoo. Si l’affaire explosait maintenant, je suis convaincue qu’elle n’aurait pas la même résonance », analyse aujourd’hui Barbara, l’une des deux victimes. On est à Metz, au secrétariat général de l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI). Ce sont dans ces bâtiments de Moselle que sont réunies les directions des ressources humaines, des finances, de l’équipement ou encore de l’immobilier de la place Beauvau. L’ambiance de travail y est délétère et de nombreux agents dénonceront plus tard le harcèlement moral de l’encadrement, comme le raconte un article de Mediapart publié en 2016.

    Le cas de Daniel M. est évoqué. Il est alors directeur de la logistique. Dès l’entretien d’embauche de Barbara, il annonce la couleur. L’homme au teint hâlé et aux traits méditerranéens lui demande si la bague qu’elle a à la main gauche est une alliance. « J’ai répondu deux fois que c’était un cadeau que je m’étais fait. Lorsqu’on souhaite être recrutée, on essaie de ne pas faire de vagues et de correspondre à la réponse qui est attendue », se souvient la fonctionnaire dont la justice a reconnu qu’elle avait été harcelée sexuellement. Une fois qu’elle est en poste, Daniel M. enchaîne les remarques obscènes, les invitations au restaurant, en vacances ou à faire des travaux chez lui. À la cantine, il demande à sa subalterne, devant témoins, s’il peut croquer dans la cerise de son dessert.

    Le scénario est similaire pour Julia. « À l’entretien, je lui ai fait comprendre que je voulais travailler dans les ateliers, il m’a répondu que ce serait dommage d’abîmer mes jolies mains », dit-elle. Le manager la recrute finalement comme secrétaire de son frère qui travaille aussi au SGAMI, comme directeur de l’immobilier :

    « J’étais gênée mais n’avais pas le choix parce qu’il me fallait ce poste. »

    Tentatives de suicide

    Son cauchemar va durer six mois. « Quand il me serrait la main, il me retenait, me regardait droit dans les yeux avec un très grand sourire et un regard de loveur », relate-t-elle. Lorsqu’ils se croisent dans les toilettes, il se serait collé à son corps. Un jour, alors qu’elle porte un jean troué, il aurait mis son doigt dans le trou, comme pour s’amuser. Les choses empirent quand elle tombe enceinte. « Les femmes enceintes ont envie de sexe », aurait-il lancé. Dans le même temps, Daniel M. lui dit qu’elle est « incompétente » et qu’il n’aurait jamais dû la recruter. Julia se remémore :

    « Un jour il pouvait me parler comme de la merde et le lendemain venir me voir tout sympathique et m’inviter. »

    Lorsqu’elle vient présenter son bébé à ses collègues pendant son congé maternité, il fait comprendre qu’il ne veut pas la voir revenir. À son retour au bureau, le 14 mai 2013, lors d’une réunion, le ton monte avec le DRH, Monsieur M., qui défend son harceleur. Elle finit par faire un malaise. L’ambulance des pompiers l’emmène aux urgences et son mari, CRS, dépose une main courante. Julia est hospitalisée trois jours et les médecins évoquent « un effondrement psychique majeur ».

    Les conséquences sur sa santé mentale sont dramatiques. « La vie m’était devenue trop lourde », confie Julia. Elle fait deux tentatives de suicide. La première, lors de sa grossesse, avec des médicaments et de l’alcool. La seconde, une semaine après son altercation avec le DRH. La maman de deux enfants monte tout en haut de la tour Sainte-Barbe, un immeuble de dix-neuf étages, à Metz, pour sauter par la fenêtre. Deux policiers l’interceptent à temps quand elle redescend pour laisser un message dans sa voiture. Elle se voit attribuer 96 jours d’ITT pour état anxio-dépressif avec idées suicidaires.

    Tout le monde savait et les syndicats sont complices

    Au SGAMI, ces évènements ne sont pas vraiment une surprise. Il avait la réputation « d’aimer les femmes ». Un euphémisme. « Son surnom était DSK », révèle la mère de famille Julia, ce que confirme Barbara. « Son harcèlement est un secret de polichinelle. Ça se savait jusqu’en central à Paris », rebondit-elle. Il appelle ses recrutements des « castings » et sa secrétaire est chargée de lui dire si les candidates sont « bonnes ». C’est à lui qu’on a confié une commission de recrutement d’agents administratifs… « On m’a fait comprendre plusieurs fois qu’il était italien, un peu chaud quoi, et que c’était normal », dit celle qui est depuis devenue militante féministe.

    « On est au sein de la police, au ministère de l’Intérieur. Ce genre de comportement, comme le racisme d’ailleurs, était courant. »

    Et les syndicats, loin de les soutenir, couvrent le harceleur. Quand Barbara fait part aux représentants du personnel de ce qu’elle subit, ces derniers font remonter l’info jusqu’à son supérieur direct… Daniel M.. Lors d’une réunion, on lui demande de garder ses accusations pour elle et on l’accuse de ne pas avoir d’humour. Barbara finit par être mutée dans un service où elle ne souhaite pas aller. Elle quitte le ministère de l’Intérieur au bout d’un an pour rejoindre une autre administration.

    L’IGPN bâcle l’enquête

    L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ouvre finalement une enquête plus d’un an et demi après les faits, en juillet 2014. Barbara se souvient d’un interrogatoire à charge. « J’ai été sur le grill pendant 4h. On m’a fait comprendre que j’exagérais. Je n’ai pas été reconnue comme victime », estime-t-elle. La police des polices ne prend même pas la peine d’interroger la cheffe de service des deux femmes, pourtant au courant des agissements du directeur. L’enquête est classée sans suite.

    En 2015, Julia et Barbara décident de s’allier pour porter plainte contre l’administration devant le tribunal de Strasbourg. Barbara est soutenue par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes (AVFT). Elle saisit également le Défenseur des droits qui fait valoir en 2021 que « la matérialité des faits de harcèlement sexuel dont Mme X a été victime est établie », que « les agissements sexuels et sexistes subis par Mme X ont conduit à une dégradation de son état de santé. »

    En 2018, le tribunal condamne l’État à verser 3.000 euros d’indemnité à Barbara pour des faits de harcèlement sexuel et 8.000 euros à Julia pour des faits de harcèlement moral. Le ministère de l’Intérieur fait appel de ces deux décisions. La condamnation est confirmée en appel.

    A-t-il été sanctionné ? Contacté pour la première fois par StreetPress le 11 octobre 2022 et relancé à de très nombreuses reprises, le ministère de l’Intérieur n’a jamais répondu à la question. C’est une autre source au sein de la police qui va nous confirmer qu’il n’a jamais fait l’objet de la moindre sanction.

    Les deux victimes ont quant à elles été très impactées par cette affaire. Si Barbara a pu rebondir dans une autre administration, Julia n’a pas pu quitter l’institution policière. La femme de 41 ans souffle, dépitée :

    « Je suis toujours fonctionnaire de catégorie C, placardisée, pendant que “DSK” est parti à Limoges avec une belle promotion. »

    (1) Contacté par StreetPress, Daniel M. n’a pas souhaité s’exprimer.

    (2) Les prénoms ont été modifié.

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