Un après-midi de fin septembre place Saint-Michel, quartier chic de l’hyper centre parisien. Baptiste Marchais a fixé rendez-vous à la terrasse d’un restaurant qu’il a choisi, et où il semble avoir ses entrées. Chemise à motif zébré orange, cheveux soigneusement gominés, barbe taillée et carrure de buffle, le gaillard en impose. Les salutations sont polies. Mais à la poignée de main franche, sans animosité, succède bien vite l’orage.
Celui des amalgames, des anathèmes et d’un racisme à peine voilé : le youtubeur d’extrême droite se met en colère, invoque cette « rue » qu’il semble avoir chevillée au corps et part sur un esclandre. Il n’a sans doute jamais vraiment eu l’intention de répondre à nos questions. S’il a accepté le rendez-vous, c’est pour faire le procès de ces journalistes « gauchistes (…) qui lui crachent à la gueule ». Il nous reproche de travailler (aussi) pour Libération, journal « qui promeut la pédophilie » s’emporte-t-il en pointant un doigt rageur. Une histoire à propos de laquelle le journal a depuis longtemps fait son mea culpa.
On devrait, crache-t-il, avoir honte « de défendre les attentats ». De « rire quand ses frères et ses sœurs se font égorger ». De défendre « un rappeur qui appelle à pendre les blancs, étant moi-même blanc », lâche-t-il en rafale sans donner le moindre exemple. Plus de quinze minutes d’invectives. Un discours préparé. Il avait d’ailleurs eu la délicatesse de prévenir qu’il enregistrait la conversation avant de se lancer dans son réquisitoire. Et, donc, de s’emporter.
L’espace d’un instant, à cette terrasse chic, le « vrai » Baptiste Marchais (un pseudo) a montré son visage. Il s’emporte avant de se lever et de quitter la table, emportant son verre d’Armagnac, son Perrier et son gros cigare, pour se rasseoir… trois tables plus loin, peinant visiblement à se contenir. Le presque sympathique youtubeur vu chez Hanouna, adepte de blagues un peu grasses et amateur de bonne chère, est surtout un militant d’extrême droite en croisade contre ce qu’il estime être la gauche et le progressisme. Un radical qui, selon nos informations, a frayé avec ce qui se fait de pire en France en termes de crânes rasés ou de néonazis violents. Il n’a d’ailleurs pas coupé les ponts et continue à entretenir des relations avec les réseaux d’extrême droite.
Assis à la terrasse, Baptiste Marchais s'emporte avant de se lever et de quitter la table. / Crédits : Yann Castanier
Youtubeur à succès
Baptiste Marchais est un météore. Un jeune homme de 27 ans encore inconnu il y a quelques mois en dehors des cercles du « bench », ce sport de force confidentiel qui consiste à soulever le poids le plus lourd possible. Une discipline dont il détient même le record de France, avec 235 kilos au développé-couché. Baptiste s’est ensuite lancé sur YouTube à la fin de l’été 2020 avec sa chaîne « Bench and Cigars », qui un an plus tard dépasse déjà les 230.000 abonnés. Une progression fulgurante bien aidée par son passage à l’émission TPMP de Cyril Hanouna, en mai dernier.
Sur ce plateau, il se retrouve face à la militante de la cause animale Solveig Halloin et est présenté comme un simple « sportif de haut niveau et amateur de viande ». À l’inverse de ladite invitée qui ose des parallèles indignes entre abattoirs et camps de la mort nazis, Baptiste Marchais reste calme et emporte même l’adhésion du plateau avec son discours mesuré. Du fait de la prestation fantasque de Solveig Halloin, la séquence fait le tour du web. La première est moquée tandis que Baptiste le « sportif » gagne une image de type sympa en effet miroir et des abonnés.
Sur le compte YouTube de Baptiste Marchais, les premiers mois, les vidéos alternaient avec un esprit un peu Jackass (comme lorsqu’il se baigne dans une piscine remplie avec « 200 kilos de glaçons ») et une grosse part de son sport (entraînement post-blessure, conseil pour réussir une compétition, etc). Mais très vite la fachosphère a pointé le bout de son nez. C’était fin 2020, avec la troisième édition des « repas de seigneur ».
Le principe de ces capsules est simple : Baptiste Marchais s’assoit à table avec un invité et beaucoup (beaucoup) de nourriture. Une farandole de saucissons, pâtés, travers de porc, côtes de boeuf, canards, desserts… le tout au pluriel. Par personne. Des kilos de bouffe. Et un petit cigare pour finir. À l’arrivée, des vidéos de discussions à bâtons rompus où on parle de tout et de rien et qui rencontrent un succès modeste même si la chaîne atteint la trentaine de milliers d’abonnés.
Sur YouTube, Baptiste Marchais parle viande, muscu, cigares et armes à ses 230.000 abonnés. / Crédits : DR
On refait l’histoire
Puis, en novembre dernier, le ton change et les invités aussi. Papacito, youtubeur et auteur foutraque, ses éternelles lunettes de soleil un peu kitch sur le nez, débarque pour un de ces fameux repas de seigneur. Entre la bidoche et le pinard, les deux complices blaguent, pas mal, et discutent de sport, un peu. Mais aussi de politique, sans en avoir l’air : Nation, patriotisme, « trahison » supposée de la patrie par les gauchistes, forcément…
De la guerre aussi. Baptiste Marchais, qui se pique d’être féru d’Histoire, développe par exemple une théorie voulant que la guerre de 1914-1918 ait entraîné une « sélection génétique » qui aurait affaibli la population. « Tous les vrais sont morts en fait », argue-t-il, « il restait quelques gars, 1940 ça les a finis ». Conclusion : « les chiens ne font pas des chats » et la patrimoine génétique des Français aurait ainsi été irrémédiablement corrompu… Une vieille antienne eugéniste (et confidentielle) lancée par le collabo Lucien Rebatet au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avant d’être reprise par l’identitaire Dominique Venner.
L’anecdote situe bien d’où parle Baptiste Marchais. Pourtant, le youtubeur se défend d’être un militant, tout en revendiquant être un patriote. Et son contenu vidéo n’est effectivement pas politique. En apparence du moins. Jean Lassalle a ainsi été le seul élu invité dans ses vidéos. Mais outre des sportifs et le rappeur 25G (très ami avec Seth Gueko), par exemple, figurent aussi sur la liste Jean-Marie Bigard, le youtubeur d’extrême droite Le Raptor, l’ancien du Front national de la jeunesse Julien Rochedy, l’auteur de BD réactionnaire Marsault, ou Thaïs d’Escufon figure de Génération identitaire, groupe dissous pour son discours raciste et ses liens avec des groupuscules radicaux.
Sur sa chaîne Youtube, Baptiste Marchais a invité Thaïs d’Escufon, figure de Génération identitaire, groupe dissous pour son discours raciste et ses liens avec des groupuscules radicaux. / Crédits : StreetPress
Dans l’entre-soi des plateaux de médias identitaires, l’homme assume d’ailleurs mener la bataille des idées, faire du « soft power ». Mais il se dit persuadé que le pays va couler et que personne ne peut rien y changer. Rester en France, y payer des impôts ne mène à rien et revient selon lui à « donner de l’argent pour les associations LGBT, des migrants, etc » a-t-il déclaré sur la webtélé d’extrême droite TV Libertés en avril dernier.
Car pour Baptiste Marchais la France n’est plus la France et que TV Libertés ou lui mènent le combat (le même visiblement) pour la « sauver » ne mène à rien :
« Nous on est le dernier rempart entre le gauchisme et ce qu’il a provoqué (…) mais pour quoi faire ? Laissons ces gens mourir ! »
Poussé par son intervieweur, l’ex-FN Martial Bild, le youtubeur finit par se lancer dans une envolée digne d’un meeting d’extrême droite : « J’attends que cet État meure et je reviendrai sur les cendres (…). J’invite tous les Français de notre bord à partir. Combien de temps ils tiennent sans nous ? Si les travailleurs Français, les vrais, les militaires, les Français qui se battent dans la rue, les policiers partent (…) dans cinq ans on peut revenir c’est bon la France elle est à nous. » Pour lui, l’extrême droite est le dernier rempart contre les envahisseurs musulmans.
Baptiste Marchais a aussi des accents quasi-conspirationnistes lorsqu’il explique au Petit Daudet (le mensuel de la Ligue du Sud, le parti de l’ancien FN Jacques Bompard), en septembre dernier, être convaincu que « si on remportait la présidentielle, le Système nous empêcherait de façon dictatoriale d’arriver au pouvoir ». Toutes ces déclarations mises bout à bout dessinent le portrait d’un homme au discours d’une radicalité qui ne se rencontre que dans les marges, même à l’extrême droite. Ce qui résonne avec un passé pas tout à fait raccord avec son image plus lisse de sportif bon vivant.
Le youtubeur se défend d’être un militant mais se revendique « patriote ». / Crédits : Yann Castanier
Fiché par la police
Le youtubeur apparaît ainsi, sous son vrai nom, dans le fichier des services de renseignement qui recense les principaux membres des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR) de Serge Ayoub que StreetPress s’est procuré. Un groupuscule néonazi qualifié de « groupe de combat » par les enquêteurs et dont des membres ont notamment été impliqués dans la mort du jeune antifasciste Clément Méric, en juin 2013 à Paris. Mais aussi dans d’autres affaires sordides, entre tentative de meurtre et association de malfaiteurs.
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Baptiste Marchais y apparaît entre les historiques de la bande de « Batskin » (le blaze d’Ayoub) tels que « Grand Gilles », « Popeye » ou encore « Mammouth ». Lui est surnommé « Patapouf ». Aux côtés des jeunes Yohan Mutte et Jérémy Mourain, aussi, qui ont fait parler d’eux pour avoir monté le White Wolf Klan, « le groupe néonazi le plus violent et le plus bête de France » racontait en 2017 Streetpress. Mutte (dit « Yo Wolf »), Mourain (« Capone ») et leur bande ont semé la terreur pendant des années en Picardie, entre agressions racistes, cambriolages, trafic de stupéfiants et autres tabassages en meute.
Le YouTubeur apparait sous son vrai nom dans le fichier des services de renseignement qui recense les principaux membres des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires (JNR) de Serge Ayoub que StreetPress s’est procuré. / Crédits : DR
Des poètes que « Patapouf » a suivi dans l’aventure des « Praetorians », club de motards monté par Serge Ayoub à Soissons (Aisne), toujours en Picardie, en 2014. Des photos du site antifasciste La Horde, qui le présente comme un ancien du Kop of Boulogne et un habitué de l’ancien bar parisien d’Ayoub, Le Local, le montrent avec la bande ou dans le side-car de « Grand Gilles ».
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À partir de l’année suivante, retour à Paris. Mais toujours dans une bande de fafs. C’est cette fois avec les gudards que traîne Baptiste Marchais, qui a déjà commencé sa carrière dans le power lift (le développé-couché de force). Pour la saison 2016 il a même été sponsorisé par la marque Babtou solide fondée par Loïk Le Priol. Un ancien militaire et adhérent du GUD, groupe qui a pris un virage marqué vers le néonazisme depuis la période Châtillon au début des années 1990. Le même Le Priol qui a été mis en examen pour avoir tabassé et torturé en mars 2015 le chef du groupe de l’époque, Édouard Klein, en compagnie de Logan Djian et d’autres complices (le procès vient d’être renvoyé). Baptiste Marchais a-t-il rompu avec ce passé ? C’était une de nos questions, mais il a refusé de nous répondre.
Catho-nationaliste
Est-ce ce passé qui lui a valu au moins un temps d’être fiché, comme il le raconte lui-même dans une vidéo ? Celui qui préfère désormais aux bombers et aux crânes rasés les lumières des plateaux tente en tout cas de le camoufler. Dans ses vidéos, léchées, il préfère se mettre en scène comme un sympathique franchouillard adepte du tir sportif (au gros calibre), de la chasse, des grosses cylindrées, de spiritueux, etc. Un promoteur de la tradition, de ce qu’il considère être les racines de la France. Pas un militant.
Il promeut également la religion catholique, qu’il estime partie intégrante de cette « identité » qu’il défend. Comme lorsqu’il tourne avec SOS Calvaire, association aux événements de laquelle ont été aperçus nombre de cadres ou militants des milieux identitaires, nationaux-catholiques ou traditionalistes. Il l’a même dans la peau : ses bras sont bardés de références christiques ou aux croisades. Tel ce tatouage de Godefroy de Bouillon, héros de la première croisade en Terre sainte qui avait repris Jérusalem aux musulmans au XIIe siècle. Mais c’est aussi cet entretien bon enfant, encore sur TV Libertés, avec l’abbé Raffray, un traditionaliste très apprécié de la fachosphère.
Dans ses vidéos, le Youtubeur se met en scène comme un sympathique franchouillard adepte du tir sportif, de la chasse, des grosses cylindrées, de spiritueux... / Crédits : Yann Castanier
Mais l’appétence de Baptiste Marchais pour la « rue » ressort à l’occasion, comme lors de cette récente storie Instagram où il s’emporte contre l’humoriste Gaëtan Matis. « Si j’avais une machine à voyager dans le temps, je m’amuserais à booker le Bataclan pour la soirée du 13 novembre 2015, afin d’y organiser une soirée rencontre entre Éric Zemmour et son public », avait osé ce dernier. Des propos qui ont poussé le directeur du Point virgule à déprogrammer l’humoriste.
« Mais viens nous le dire en face Gaëtan ! Je t’en prie Gaëtan ! », lui lançait Marchais qui se filmait à chaud dans sa voiture. Puis de s’emporter : « Belattar là c’est pareil, l’autre énorme loukoum dégueulasse, vient discuter ailleurs que sur un plateau. Soi-disant c’est des mecs de rue, etc. Mais venez on va discuter dans la rue, on va discuter sérieusement y’a pas de soucis tu peux venir avec tes petits copains barbus ».
Et s’il subsistait encore un doute sur la nature de cette discussion que réclame le youtubeur, il est encore plus clair ensuite : « Y’en a marre que sous couvert de télé, de réseaux sociaux, ces fils de pute viennent nous cracher à la gueule et que nous on se laisse faire, on s’indigne, on fait des tweets. Mais c’est pas des tweets qu’il faut faire là. Je ne vais pas vous dire ce qu’il faut faire parce que je ne vais pas me faire sauter mon compte Instagram à cause de tas de merde comme ça. (…) Donc si vous connaissez ce Gaëtan Matis et que vous avez moyen de discuter avec lui ou que je puisse discuter avec lui, j’en serais ravi. (…) À un moment : acte, conséquence. »
L’ambiance sympa des vidéos YouTube est loin.
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