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    25/05/2021

    Par la grâce des déductions fiscales

    Les catho-réac de SOS Mamans payent des femmes pour qu’elles renoncent à avorter

    Par Vincent Bresson , Aurelie Garnier

    En croisade contre l’avortement, SOS Mamans propose de l’argent et un soutien matériel à des femmes qui envisagent d’avorter. La structure proche de la Fraternité Saint-Pie-X offre à ses donateurs le salut divin et une déduction fiscale.

    « Miraculés. » Le terme choisi par SOS Mamans pour désigner les bébés que l’organisme se vante d’avoir « sauvé » a beau être très spirituel, son fonctionnement très méthodique ne relève pas du miracle. Pour convaincre les mères qu’ils approchent de ne pas avorter, ces intégristes proches de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X fournissent des contreparties très matérielles : de l’argent, un logement et, voire plus rarement, une voiture. L’asso revendique des groupes à Paris, Meaux, Rouen, Nice, Bruxelles ou dans la Mayenne.

    En 26 ans d’existence, la structure militante anti-IVG se flatte d’avoir fait naître 1.649 bébés et estime son nombre d’avortements empêchés à deux à trois par semaine. Elle se félicite surtout de l’avoir fait sous les radars, « dans les rues, bus, parcs, labos, supermarchés, mais aussi par le bouche-à-oreille ». Un temps très discrète, elle pointe désormais le bout de son nez et rend publique aujourd’hui son action sur un site internet flambant neuf. Un véritable paradoxe : trois ans après que le gouvernement a adopté une loi pour étendre le délit d’entrave à l’IVG, SOS Mamans ne semble pas trop s’inquiéter des répercussions de ce nouvel arsenal législatif. Financée indirectement par l’État grâce aux dons défiscalisés pour ses soutiens, l’asso est même plus motivée que jamais à visibiliser son action.

    Le soutien financier des anti-IVG

    « Hier dans un petit parc à Paris, nous avons rencontré une jeune fille de 14 ans et demi, antillaise. Elle causait avec une copine d’avortement… Léa engage la conversation. » Dans son « Journal de bord » adressé à ses donateurs, SOS Mamans décrit minutieusement le fonctionnement de ses « fourmis », ses petites mains chargées de tendre l’oreille dans les lieux publics et d’intervenir au moindre « avortement » prononcé. La procédure est toujours la même : après avoir engagé la discussion, les équipes de l’organisme promettent un soutien financier contre un refus de recourir à l’IVG.

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    Les petites mains de SOS Mamans sont chargées de tendre l’oreille dans les lieux publics et d’intervenir au moindre « avortement » prononcé. Après avoir engagé la discussion, elles promettent un soutien financier contre un refus de recourir à l’IVG. / Crédits : Aurelie Garnier

    L’aide apportée est variée. SOS Mamans indique payer des loyers, des factures EDF, un lit ou même une poussette. Dans d’autres de ses journaux de bord, la structure explique comment elle « réexpédie » des prostituées est-européennes enceintes vers leurs mères patries par camion. Le tout pour un budget global d’environ 16.000 euros par mois. Les anti-IVG sortent la calculette :

    « Un bébé sauvé nous “coûtant” en moyenne 1.500 € étalés sur le temps de la grossesse plus trois mois après naissance »

    L’asso anti-IVG dispose également de quatre studios loués à Paris et dans la région pour accueillir les femmes ciblées. SOS Mamans ferait également appel à une dizaine « d’hébergeuses » qui accueillerait « chacune entre deux et cinq femmes enceintes ». En 2014, l’organisme faisait même appel à ses soutiens pour les loger dans leurs châteaux, quitte à ce que les personnes accueillies se rendent « utiles au village par mille services (garde d’enfants, repassage, courses, cuisine, ménage…) ».

    UNEC, bras associatif de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X

    Sur La Porte Latine, le site officiel de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, SOS Mamans a une petite place de choix. Elle profite de cet espace pour faire sa promotion et rappeler son combat et « ses ennemis » :

    « Les députés qui maintiennent l’avortement, les autorités de l’état qui le gèrent et le remboursent, les docteurs qui le pratiquent, les pharmaciens qui vendent les pilules abortives, voire les autorités religieuses qui laissent passer ce crime des crimes comme si c’était un problème entre autres »

    Cette vitrine offerte par le site officiel de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X n’a rien d’un hasard. Quand on prétexte un don pour demander une confirmation de sa proximité apparente avec SOS Mamans, la mouvance traditionaliste répond par un « oui » franc. Cette branche dissidente de l’Église catholique, connue pour son conservatisme et son refus de la modernité, ne cache pas ses liens avec cette structure, pas plus qu’elle ne cache son opposition à l’avortement au motif qu’il serait en opposition avec le 5e commandement du Décalogue interdisant le meurtre.

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    SOS Mamans se réunit à différentes occasions au sein de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet, occupée depuis 1977 par la Fraternité Saint-Pie-X. Une bonne façon d’accompagner les femmes après leur accouchement et de les convaincre qu’elles ont fait le bon choix. / Crédits : Aurelie Garnier

    C’est donc tout naturellement que la structure anti-avortement se réunit à différentes occasions au sein de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet située dans le 5e arrondissement de Paris et occupée depuis 1977 par la Fraternité Saint-Pie-X. Une galette de Noël dans la crypte ? Une bonne occasion de voir « plusieurs enfants que nous avions sauvés avec leurs petites mamans avant leur naissance », de leur amener « des cadeaux ». Mais surtout, une bonne façon d’accompagner les femmes après leur accouchement et de les convaincre qu’elles ont fait le bon choix.

    À LIRE AUSSI : Le gros magot des cathos tradis de la Fraternité Saint-Pie-X

    Des voyages à Auschwitz pour dénoncer l’avortement

    Pour s’éviter des problèmes, SOS Mamans n’existe pas. Elle se dissimule derrière l’Unec, alias l’Union des Nations de l’Europe Chrétienne, une mouvance créée en 1989 qui ne nous en dira pas davantage sur son fonctionnement. Interrogée par StreetPress, la structure intégriste s’est contentée de répondre :

    « Pardon, nous ne coopérons qu’avec des journalistes et médias ouvertement cathos, et encore pas tous. »

    Mais la raison de vivre de cette union est détaillée dans un prospectus édité par l’Unec qui énumère : propagation de la « famille chrétienne, base irremplaçable de toute société humaine », « la lutte contre toute attaque contre la vie donnée par Dieu » ou encore « la défense individuelle et commune contre (…) les socialismes, la franc-maçonnerie, les Droits de l’Homme sans Dieu ».

    Ce programme chargé comprend plusieurs branches, comme la Bonne Nouvelle apportée aux musulmans, une structure qui vise à évangéliser les musulmans. Et même l’organisation de voyages morbides : « De temps en temps, ils organisaient des voyages à Auschwitz pour évoquer l’avortement comme un deuxième génocide », se souvient Fiammetta Venner. Dans son livre Extrême France, sorti en 2006, la journaliste et essayiste évoquait déjà cette organisation ainsi que ses liens avec d’anciens membres du FN. Mais l’Unec a fini par s’émanciper du parti lepéniste en créant son propre parti politique de 2007 à 2011 sous le subtil acronyme de Amen pour Arrêtons le Massacre des Enfants à Naître (Amen). Amen ne s’est jamais imposé sur la scène nationale et a fini par se greffer, selon les élections, à plusieurs autres listes anti-avortement. Sans trouver le succès escompté, l’Unec se rabat aujourd’hui sur son combat de toujours : lutter contre l’avortement via l’action de terrain.

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    « De temps en temps, ils organisaient des voyages à Auschwitz pour évoquer l’avortement comme un deuxième génocide. » Rien que ça. / Crédits : Aurelie Garnier

    Financé indirectement par l’État

    Si SOS Mamans n’existe pas, c’est aussi pour pouvoir récupérer des dons défiscalisés sous couvert de l’Unec. L’association anti-IVG se prévaut aujourd’hui de 1.300 donateurs. Au moindre mail, l’Unec rassure : leurs dons sont déductibles « de 66% du montant des dons déclarés, dans la limite de 20% de vos revenus ». Mieux, l’association ajoute n’avoir « jamais eu de souci à ce sujet, depuis le début de [ses] sauvetages il y a 25 ans ». On résume : l’argent du contribuable sert donc, indirectement, à financer ces dons pour une association dont les revenus permettent de convaincre des femmes, dans une situation souvent précaire, de ne pas avorter. Contactée par StreetPress, une avocate en droit fiscal confirme que cette structuration est illégale et que profiter du système de reçus fiscaux sans répondre à des conditions d’intérêt général à « caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, familial, humanitaire, sportif ou culturel » comme prévu dans la loi, c’est s’exposer à « un redressement fiscal extrêmement douloureux ». Problème : il n’y a pas d’agréments pour délivrer des reçus fiscaux, dont n’importe quelle association peut profiter librement… jusqu’au jour où celle-ci est contrôlée.

    Pour accumuler de l’argent, SOS Mamans multiplie les combines. Les anti-IVG vendent ainsi des timbres, notamment ceux d’un « mémorial des enfants jamais nés ». Au milieu d’autres cachets comme la Vierge Marie ou Jésus-Christ trône Mgr Lefebvre, le fondateur de la Fraternité Saint-Pie-X. L’évêque, qui n’a jamais caché sa sympathie pour Jean-Marie Le Pen ou son opposition à l’avortement, a fini par être excommunié. Les lots de timbres sont vendus pour la bagatelle de 12,5 euros les cinq. Leur vente représenterait un quart du budget de l’organisation selon les chiffres fournis par l’asso sur son site internet.

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    Pour accumuler de l’argent, SOS Mamans vend des timbres, notamment ceux de Jésus, la Vierge ou Monseigneur Lefebvre, le fondateur de la Fraternité Saint-Pie-X, qui ne cachait pas sa sympathie pour Jean-Marie Le Pen. Des timbres dont les achats sont défiscalisés. L'État contribue donc à cette association anti-avortement. / Crédits : Aurélie Garnier

    Et là aussi, SOS Mamans a trouvé une astuce : « 40% de ce prix représente un don à SOS Mamans (Unec) qui sauve de nombreux bébés de l’avortement. De ce fait vous recevrez de l’Unec début janvier un reçu fiscal sur 40% du montant de vos commandes de timbres faites pendant l’année, donc uniquement pour la partie “don” ». Le plus ? Ses timbres sont imprimés « exclusivement pour l’Unec par la Poste ». Problème : contactée par StreetPress, La Poste affirme que ces timbres ne sont pas imprimés par ses soins et que même si les associations sont libres de revendre les timbres de l’entreprise il faut respecter deux conditions : ne pas nuire à l’image de La Poste, ou de ne pas s’en prévaloir, et que l’association soit reconnue d’utilité publique pour avoir droit à la précieuse ristourne fiscale. Mais pour qu’une association reçoive cette distinction, encore faut-il qu’elle existe, ce qui n’est pas le cas de SOS Mamans.

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    Un délit d’entrave insuffisant

    Malgré les combines, il n’est pas certain que SOS Mamans ne soit pas inquiétée. L’extension du délit d’entrave à l’IVG adoptée par l’Assemblée nationale le 1er décembre 2016 visait à renforcer l’arsenal législatif existant sur les entraves à l’irruption légale de grossesses, en punissant de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse (…) par tout moyen ». Sauf que, quelques mois après son adoption, le Conseil constitutionnel a choisi de limiter la portée de ce texte en émettant des réserves au nom de la liberté d’expression. Une collaboratrice du Planning familial résume, dépitée :

    « Cette organisation profite de cette zone grise, pour faire en sorte, en pratique, que des personnes ne recourent pas à l’IVG, alors même que le cadre juridique actuel ne permet pas de qualifier leurs actes de délit d’entrave. »

    Une zone grise insuffisante et qui n’empêche pas le groupe intégriste de promouvoir ses timbres et son action dans différents médias chrétiens. SOS Mamans a pu profiter d’un encart dans la partie « petites annonces » du numéro 2120 de Témoignages Chrétiens pour vendre ses cachets et a bénéficié d’un article élogieux dans le numéro de Chrétiens Magazine de septembre 2020. Sur son site, l’asso anti-avortement se fixe désormais une feuille de route ambitieuse : multiplier les conférences, organiser des week-ends de formation sur les « sauvetages » ainsi que développer de nouveaux groupes à Granville, Albi et Annecy.

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