Tribunal de grande instance de Paris (75) – Il est minuit passé ce mardi 12 janvier. Au dépôt, le service qui gère la centaine de cellules du tribunal, une réunion de gradés se termine. Le lieutenant T., qui préside la réunion retient le brigadier-chef Amar Benmohamed : « J’ai une mauvaise nouvelle », lui lance-t-il, avant de lui tendre un document. En guise de conclusion, il est inscrit :
« Un avertissement est infligé au brigadier-chef Amar Benmohamed. »
En juillet 2020, ce policier a dénoncé sur StreetPress des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellules du tribunal de Paris. Depuis, il se sait dans le viseur d’une partie de sa hiérarchie. Alors qu’il a d’abord dénoncé – en interne, puis par voie de presse – des faits extrêmement graves, le lanceur d’alerte est lui-même sanctionné.
Six mois après avoir révélé les maltraitances au tribunal de Paris, le brigadier-chef Amar Benmohamed est sanctionné par un « avertissement » de sa hiérarchie. / Crédits : DR
Le document que StreetPress et l’AFP ont pu consulter liste les griefs à son encontre. On lui reproche d’avoir refusé d’établir un rapport détaillé des faits demandé par sa hiérarchie. « Faux », s’étrangle Amar Benmohamed :
« Le jour où le lieutenant m’a demandé de faire un rapport, je l’ai fait et il le sait pertinemment. »
L’Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui a mené l’enquête, reproche également au brigadier-chef d’avoir refusé de donner les noms de certains de ses collègues qui avaient « dénoncé auprès de lui les comportements critiquables ». Ce qu’il reconnaît et assume. Comme l’avait révélé l’enquête de StreetPress, certains de ses supérieurs avaient tenté d’étouffer l’affaire. Si Amar Benmohamed avait refusé de révéler les noms de ses sources, c’est avant tout, explique-t-il, pour les protéger d’éventuelles pressions ou représailles :
« Comme je l’ai expliqué au cours de mes auditions, j’attendais de rencontrer un juge pour transmettre ces informations. »
Un scandale national
Après les révélations de StreetPress, le parquet de Paris avait annoncé l’ouverture d’une enquête pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique », « injures publiques en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion » et « injures publiques en raison du sexe et de l’orientation sexuelle ».
Le sujet avait aussi été abordé à l’Assemblée nationale. Face aux parlementaires, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin reconnaissait « des comportements tout à fait inappropriés de la part de six fonctionnaires de police : injures, agressivité, mensonges, désobéissance ». Il avait précisé que des sanctions à l’encontre de plusieurs fonctionnaires avaient été proposées. Parmi eux, le lanceur d’alerte Amar Benmohamed, à qui il était reproché d’avoir, dixit le ministre, « dénoncé avec retard ».
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Une annonce qui avait fait réagir le syndicat du brigadier-chef et premier syndicat de France : Unité SGP Police. Dans les colonnes de Libération, Yves Lefebvre, à l’époque secrétaire générale de l’organisation, avait promis de prendre la défense d’Amar Benmohamed :
« Qu’ils veuillent le sanctionner pour ça, c’est inadmissible. Je m’entretiendrai personnellement avec Gérald Darmanin à ce propos. »
Dans la foulée, la préfecture avait annoncé un réexamen du dossier, laissant supposer que la sanction serait annulée.
Une sanction contestée au tribunal administratif
« À chaque fois qu’un policier révèle des faits de racisme ou de violence, la hiérarchie policière étouffe l’affaire en inquiétant le messager », soupire Arié Alimi, l’avocat du brigadier-chef. Il annonce leur intention de contester la sanction par un recours auprès du tribunal administratif, qui sera déposé dans les prochains jours.
En plus d’Amar Benmohamed, trois autres policiers ont été sanctionnés par l’administration, a indiqué l’AFP le 13 janvier 2021. Ils ont reçu un avertissement et un blâme, les pénalités les plus basses dans la fonction publique.
L’AFP a également appris qu’une exclusion temporaire de trois jours a été proposée contre un quatrième policier mis en cause. Mais la sanction doit encore être validée par la Direction générale de la police nationale.
Par ailleurs, ces fonctionnaires mis en cause sont également visés par une enquête judiciaire, ouverte après les révélations de StreetPress.
StreetPress a contacté la préfecture de police de Paris pour connaître les autres sanctions infligées aux fonctionnaires mis en cause. Elle n’avait pas répondu au moment de la publication de notre article.
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