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    12/10/2020

    Une enquête commune de StreetPress et Mediapart

    Sexisme, grossophobie et harcèlement, 78 employés de McDonald’s brisent l’omerta

    Par Quentin Muller , Yann Castanier

    Les femmes au physique jugé disgracieux, reléguées en cuisine et moins souvent promues. Celles à forte poitrine envoyées au comptoir pour appâter le client. 78 employés accusent McDonald’s de sexisme, d’agressions ou harcèlement. Enquête sur un système.

    « Je ne sais plus, j’ai des pertes de mémoire en ce moment. J’ai fait une dépression assez énorme. Ce boulot m’a tué. Il m’a tué », répète Paul, la voix tremblante. Avant d’égrainer douloureusement ses souvenirs à mesure qu’ils lui reviennent. Il débute chez McDonald’s en 2016. En cuisine d’abord, « dans le groupe des moches ». Au téléphone, Paul rit nerveusement :

    « Ils mettent les plus belles pour le public et le reste derrière. Ils cachent les pas beaux. »

    « On le savait très bien, c’était intégré. » Avec ses collègues, il se livre même à un sinistre jeu : deviner à partir d’une simple photo d’identité le service d’affectation d’une nouvelle recrue. « On se disait : lui ira en cuisine car il est moche. Elle, ce sera l’accueil parce qu’elle est belle. Juste à leur visage, on savait qu’ils passeraient d’un côté ou de l’autre, et on se trompait rarement. » Paul cite l’exemple de cette femme de 40 ans, « salariée depuis longtemps, enveloppée, pas dans le standard de beauté », décrit-il. « On me disait que beaucoup de filles se moquaient d’elle gratuitement parce qu’elle n’était pas [assez] belle pour être à l’accueil. » Pour les équipiers de ce McDonald’s du sud de la France (1), la beauté déterminerait le prestige du poste et les promotions futures. « Je ne suis jamais monté plus haut qu’équipier », avoue Paul.

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    À chaque croc, un salarié KO. / Crédits : Yann Castanier

    Ce que l’ancien employé décrit n’est pas l’affaire d’un seul restaurant. StreetPress et Mediapart ont pour cette enquête interrogé 38 salariés ou anciens salariés. Auxquels s’ajoutent les 40 autres témoignages très détaillés collectés par le collectif McDroits et l’association React. Au total donc, 78 personnes réparties sur l’ensemble du territoire français qui dénoncent des discriminations systémiques. Dans le détail, 37 ont subi des harcèlements sexuels (48,7%), 32 ont enduré du harcèlement moral (43,6%) qui dans de très nombreux cas a provoqué des dépressions. 9 racontent des faits qui peuvent être qualifiés d’agression sexuelle (12,8%). Du côté de la multinationale du burger, on se défausse sur les « franchisés », responsables du management des équipes. La très grande majorité des restaurants Mc Donald’s sont la propriété de patrons indépendants. Ces franchisés sont tenus d’appliquer une charte précise (organisation, recettes, produits, tenues…). Le groupe Mc Donald’s a déjà été mis en cause pour de tels faits : à l’été 2020, il a fait l’objet d’une plainte portée par plusieurs syndicats internationaux devant l’OCDE, pour « harcèlement sexuel systémique ». Enquête sur une machine à broyer.

    Boys club-sandwich

    Cette organisation du travail ouvre la porte à des dérives sexistes récurrentes. En quatre ans en cuisine Paul aurait, raconte-t-il, surpris plusieurs conversations entre son manager et certaines équipières. « En privé, il leur demandait quelle était la couleur de leur soutien-gorge. Et bien souvent quand la fille avait un sous-vêtement coloré, on l’envoyait au McCafé », où les employées sont vêtues d’une chemise blanche transparente. En arrière-cuisine les conversations machistes seraient également courantes. Certains managers et salariés commenteraient crûment le physique des nouvelles recrues comme des clientes, raconte Paul :

    « Dès le matin à 7h c’était : “Elle, je lui mettrais bien une cartouche”. »

    Mais aussi des remarques qui seraient faites directement aux collègues femmes. « Tu as une jolie poitrine, t’es bien habillée. » Le temps passe et Paul s’isole. Mais pour payer les factures, il faut tenir. Puis, juste avant le confinement, une « très jeune » fille est embauchée. Un assistant de direction au sein de l’établissement trouve son compte Instagram et sous l’une de ses photos commente « coquine ». Paul cette fois, réalise une capture. « Ils ont fait ça plusieurs fois avec d’autres salariées », assure-t-il. « Mais ils ont tout supprimé quand ils ont su que j’étais au courant. » Il décide d’aller voir l’auteur du commentaire. « Je trouvais ça malsain. » Début mai, à la réouverture du resto’, on va lui faire payer. Certains supérieurs et salariés lui auraient répété avec mépris : « Tu devrais démissionner quand même parce que ça ne se fait vraiment pas ce que tu fais », lui assène-t-on :

    « On me répétait en boucle que je devais démissionner, démissionner, démissionner… »

    Personne ne prendra sa défense. Ni ses amis, ni les salariées que Paul a défendus. Par peur de perdre leur poste, croit-il. « Ils profitent de leur jeunesse, du manque d’études et de la dépendance à leur salaire pour en faire ce qu’ils veulent. » Le coup de grâce vient le samedi 6 juin à 10h45. Le directeur de l’établissement, l’assistant de direction dont il a critiqué le comportement et deux autres employés hommes lui auraient fait barrage devant la porte du McDonald’s. Le directeur du fast-food lui aurait hurlé :

    « Ça prendra tout le temps qu’il faudra mais tu finiras par abandonner et démissionner. Je ne suis pas humain, je suis un zombie. »

    Le temps se fige pour Paul. Dans le courrier qu’il adressera plus tard au franchisé, il confie : « Après ça, j’ai mis plus d’une heure à rentrer chez moi. Une fois arrivé, mon cœur s’est emballé et j’ai eu des difficultés à respirer. Le 15 m’a envoyé quelqu’un qui m’a diagnostiqué une crise d’angoisse. C’est la première fois que j’en vivais une. »

    Grosses poitrines à la caisse

    L’histoire de Johanna (2), 20 ans, est symptomatique : en moins d’une année, le système McDonald’s l’a broyée. « Le médecin m’a diagnostiqué une dépression et des troubles anxieux », raconte-t-elle la voix tremblante. Une simple pub pour l’enseigne à la télévision peut déclencher une montée d’angoisse. Tout commence à l’été 2019 quand son CDD – « le job de ses rêves » – n’est brutalement pas reconduit. Johanna se met alors à chercher un travail avec frénésie. Tout est bon à prendre pour payer le loyer. Ça sera McDonald’s.

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    En moins d’une année, le système McDonald’s a broyé Johanna. « Je me suis sentie comme du bétail. » / Crédits : Yann Castanier

    La jeune femme débute en caisse mais peine à faire face aux insultes sexistes des clients. Un jour, alors qu’elle fait le service en salle, une bande de jeunes l’interpelle : « T’aimes bien servir les plateaux grosse chienne. » Juste après l’incident, Johanna sollicite le soutien de sa directrice. La jeune femme juge qu’il leur faut un vigile. Mais sa boss l’aurait envoyé paître, allant jusqu’à, selon la salariée, « pouffer de rire » en écoutant son récit. Ces incidents à répétition ont pourtant, selon Johanna, déclenché un mal-être au sein d’une équipe de service « à 80% féminine ». Une proportion qui n’est pas vraiment le fruit du hasard. Elle le découvrira quelques semaines plus tard. Un matin, elle aurait surpris son manager qui explique « choisir les salariées à fortes poitrines pour les caisses afin d’attirer les clients. » Elle devine la raison de son affectation au comptoir :

    « Moi aussi j’ai une forte poitrine donc je me suis sentie comme du bétail. »

    D’autant que son manager multiplierait les commentaires sexistes. Des blagues lourdes ou des remarques sur le manque d’efficacité des femmes qui « ne servent qu’à “piailler” », selon ses termes. La directrice, une nouvelle fois alertée, n’aurait pas réagi plus. Progressivement, la jeune femme s’isole. Chaque soir, quand son compagnon vient la chercher, elle fond en larmes. À la fin de l’été, elle est finalement arrêtée par son médecin.

    « Comme des macs à leurs prostituées. »

    Cette division du travail discriminatoire (au physique) ou genrée, est un classique chez McDonald’s. Plusieurs dizaines de témoins interrogés par StreetPress et Mediapart détaillent ces pratiques. Myriam (2) a bossé dix ans dans l’enseigne. Et ce système, elle l’a constaté partout où elle est passée, y compris dans des places fortes de McDonald’s, dans des quartiers très touristiques de la capitale. Toute salariée embauchée reçoit une jupe ou un pantalon. C’est en théorie au choix :

    « Souvent quand t’es hôtesse, les managers hommes exigent clairement que tu portes la jupe, mais aussi que tu mettes du rouge à lèvres, que tu t’épiles les jambes ou même que tu t’abstiennes de mettre un collant. »

    La jeunesse et la précarité des employés limitent les velléités de revendication, juge Myriam. « Les jupes qu’on nous donne sont tellement serrées et coupées de sorte que quand on monte les escaliers, on voit tout ce qui se passe en dessous. » Une salariée, qui en fait la demande pourra en insistant obtenir un pantalon. « Mais ça va durer des semaines et ça va être accompagné de reproches et de pressions. » La salariée, syndiquée, a réussi à mettre fin à ces pratiques dans l’un des McDonald’s parisiens, mais au prix de longues conversations tendues avec sa directrice et les managers :

    « On me répondait que c’était mieux ainsi pour l’image de l’enseigne mais moi je voyais surtout des managers qui hurlaient depuis le bout du comptoir : “Allez souriez !” ou : “Toi t’as pas mis de rouge à lèvres”. Comme des macs à leurs prostituées. »

    Pour Jean-François Marmion, psychologue et co-auteur de l’ouvrage « Psychologie des beaux et des moches » (Éditions Sciences Humaines, 2020), « McDonald’s craint qu’on associe les kilogrammes en trop de ses salariés aux produits qu’il vend, redoutant ainsi qu’on se dise qu’ils font grossir ». Anne (2), 25 ans, confirme. En cinq ans dans un McDo d’Île-de-France, elle n’a pas passé une journée en caisse de restaurant. « J’ai aussi été au lobby. [l’équipier chargé du nettoyage en salle] Je savais qu’on me cachait mais bon fallait bien travailler pour payer les factures », raconte-t-elle, les yeux luisants. En surpoids, la jeune femme a pris la suite d’une autre collègue, également en surpoids, au service frites.

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    « McDonald's craint qu’on associe les kilogrammes en trop de ses salariés aux produits qu’il vend, redoutant ainsi qu’on se dise qu’ils font grossir. » / Crédits : Yann Castanier

    Au-delà du poids, selon de nombreux témoignages, les traits du visage auraient une incidence sur le salaire et les promotions. La taille rentrée, un visage symétrique, des dents blanches, une mâchoire carrée pour les hommes, des grands yeux expressifs pour les femmes, être mince et blonde… Plusieurs salariés expliquent que ces profils sont placés aux postes en contact avec la clientèle. Les femmes sont les premières à subir ces discriminations, décrypte le psychologue :

    « Il est entré dans les mentalités qu’une femme est censée faire des efforts de coquetterie, être plus présentable qu’un homme au travail. En entreprise, on demande à un homme d’être performant, d’être dynamique, d’être un leader, qu’on puisse se fier à lui. On lui demande moins d’être beau. »

    En France, pourtant, une loi votée en 2001 est censée protéger contre les discriminations au travail liées au physique. Elle reste cependant floue puisque rien n’indique si elle vise les discriminations faites en fonction d’une apparence subie (âge, physique) ou d’une apparence choisie (vêtements, maquillage, coupe de cheveux, soins physiques). Et devant les prud’hommes, il est souvent difficile de la faire appliquer. Pas simple d’établir concrètement un lien entre une carrière à l’arrêt et un physique. Il est de toute façon plutôt rare de voir un employé de la franchise américaine aller jusqu’au tribunal. Ils sont souvent jeunes ou précaires.

    Partez comme vous êtes

    Jennifer, 40 ans, décrit très bien ce système de harcèlement et discrimination qu’on a essayé de lui inculquer (3). Juste après le confinement, cette mère divorcée est obligée de déposer le bilan de sa petite société de traiteur. Elle cherche alors un emploi pour rebondir. Un McDonald’s de l’est de la France lui propose un poste de manager qu’elle accepte. Dans un premier temps, Jennifer veut apprendre le métier à chaque poste pour se sentir légitime auprès de ses équipes. Sa formation ne dure qu’une petite semaine et sa direction lui explique rapidement qu’elle doit avant tout apprendre le management… Sauce McDonald’s :

    « Mon directeur m’ordonnait clairement de lyncher mes équipiers. Il me disait : “Allez, je te fais confiance, défonce-les, défonce-les. Ils n’ont pas à t’aimer. Plus ils vont te détester, mieux ce sera”. »

    Jennifer décrit aussi les remarques stigmatisantes et dégradantes envers certains salariés. Un jour, elle offre deux billets pour un centre de bien-être, à un couple de jeunes équipiers. « Je n’y allais pas et la date était limite… Quand mon directeur a su ça, il a eu ce reproche : “On ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Toi t’es manager. À eux, tu ne leur donnes rien”. » Elle se refuse à employer ces méthodes, ce qui aurait attisé la colère de son directeur. « Quand il a commencé à voir que j’étais trop proche de mes équipiers, il a commencé à me lyncher moi aussi. » Elle décrit des semaines d’angoisse, des reproches systématiques, des cris, des messages autoritaires. « Il voulait que je me casse et il a tout fait pour. » Finalement, Jennifer n’est pas conservée après trois mois de période d’essai.

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    Le directeur de Jennifer lui « ordonnait clairement de lyncher » ses équipiers : « Il me disait : “Allez, je te fais confiance, défonce les, défonce les. Ils n’ont pas à t’aimer. Plus ils vont te détester, mieux ce sera”. » / Crédits : Yann Castanier

    Le management chez McDonald’s est un mélange instable de pression et d’esprit d’entreprise. Ainsi, les directions des restaurants créent des groupes de conversations WhatsApp où salariés et managers conversent en dehors des heures de travail. Le week-end, les chefs proposent des sorties entre collègues de la même enseigne. Des affinités, mais surtout des loyautés se créent. Chaque employé menaçant l’équilibre de ce groupe – appelé souvent « famille » par la direction – serait très rapidement isolé et mis de côté. Il est poussé à la démission pour éviter tout frais de licenciement éventuel et surtout tout scandale. Durant sa carrière chez McDonald’s, Myriam, assistante manager, a constaté de nombreux cas de harcèlements :

    « McDonald’s fait en sorte de souder les managers pour faire bloc en cas de rébellion interne. Un mot de la direction, et tout le monde s’acharne sur le même salarié. »

    L’omerta qui règne empêche les affaires de s’ébruiter. Et régulièrement, Myram découvre des cas de harcèlement moral de salariés seulement le jour de la remise de leur lettre de démission. « Ce sont des jeunes étudiants qui ne se projettent pas. Ils acceptent de subir car ils se disent que de toute façon ils ne sont pas là pour toujours. Et McDonald’s de son côté sait que le salarié va partir de lui-même et qu’il n’y aura pas de poursuite. », analyse-t-elle. En France, McDonald’s se targue d’embaucher 40.000 demandeurs d’emploi par an. Un chiffre en trompe-l’œil : plus de 90% des recrutements ne sont que les remplacements de salariés démissionnaires. Dans le détail, 40% des salariés ne tiennent pas plus d’une année et 60% ne vont pas au-delà des trois ans.

    Caméras et fausses preuves

    Une femme a longtemps fait partie des rouages de l’immense machine McDonald’s. Martine Guagliardo, 61 ans, vit aujourd’hui en Occitanie, là où les cigales et les tuiles rouges sont des impondérables, loin du bruit de la frite qui frétille dans l’huile et du son aigu des clam-grill à steaks. Cette ancienne responsable juridique de McDonald’s a conservé une quantité infinie de dossiers. Dans son bureau sombre, une grande étagère leur est réservée. Pendant neuf ans, Martine a sanctionné, licencié et préparé la défense du franchisé qui gère trois McDonald’s et une holding, face aux prud’hommes. Elle a été une pierre angulaire du système. Rongée par le remords, elle dénonce des méthodes qu’elle a elle-même appliquées. « Quand des gens ne plaisaient pas à la hiérarchie, on fabriquait des sanctions, on créait des fautes », raconte-t-elle :

    « On les espionnait avec parfois des caméras illégalement posées dans les salles de pause. »

    Et quand un employé osait dénoncer un manquement au droit du travail, la consigne était claire, c’était :

    « Vous me le dégagez. »

    Pendant de longues heures face aux journalistes de StreetPress et Mediapart, elle s’agite, ouvre des dossiers, en tire des feuilles, évoque des noms. Untel viré parce qu’il dérangeait telle directrice, untel parti sans indemnité, unetelle en dépression et disparue. Ces histoires vivent encore dans ses dossiers. Chaque cas a un visage, un nom. Ils font jaillir des souvenirs. Ils la hantent parfois même. Pour se repentir, Martine essaye alors de retrouver toutes celles et ceux dont McDonald’s s’est injustement débarrassé :

    « J’ai gagné en justice avec des preuves véreuses. J’en suis malade. »

    Le dossier Abdelkader revient avec insistance pendant l’entretien. « J’ai essayé d’appeler chez lui mais il refuse de me parler depuis. J’aimerais lui dire à quel point je me sens honteuse », confesse Martine. De mai 2004 à août 2008, l’homme est directeur d’un restaurant. Son équipe apprécie son autorité juste et son humanité. « Il était trop proche de ses équipes pour le propriétaire », révèle Martine. Contacté, Abdelkader raconte les reproches de son franchisé :

    « J’avais aussi des remarques sur le choix de mes managers. Il ne se gênait pas pour me dire qu’il y avait peut-être un peu trop de bronzés dans mes équipes de gestion. »

    Le franchisé va un jour décider de s’en débarrasser. Alors qu’Abdelkader est en stage à Chicago pour une formation McDonald’s, son franchisé aidé d’un manager va faire pression sur plusieurs salariés pour récolter des témoignages accusant le directeur de harcèlement moral. Il cible notamment une jeune femme qui bénéficie d’horaires de travail amenagés pour l’éducation de son enfant en bas âge. « Martine, le franchisé et la nouvelle directrice qui prenait ma place ont fait pression à plusieurs reprises sur cette salariée. Ils lui ont fait comprendre que si elle ne témoignait pas contre moi, elle changerait d’emploi du temps », sait Abdelkader. « C’était une mère seule, changer ses horaires revenait à lui faire perdre son travail. On lui a donc demandé texto de témoigner contre Abdelkader en échange d’un maintien de son emploi du temps. Elle était embarrassée mais elle n’avait pas vraiment le choix », témoigne Sophie, une ancienne employée. Martine confirme. Grâce à plusieurs coups de pression de ce genre et au soutien de quelques salariés qui lui sont fidèles, le franchisé arrache des attestations de harcèlement moral visant son directeur. Il transmet les éléments à sa responsable juridique, Martine, qui prépare la défense de McDonald’s devant les prud’hommes. L’affaire s’annonce ardue puisque le licenciement d’Abdelkader a provoqué une fronde dans le restaurant. StreetPress a eu accès au dossier de l’accusé. Une trentaine de témoignages de salariés y dénoncent le coup monté de la direction pour couper la tête de leur directeur.

    La responsable juridique comprend alors qu’elle ment à la justice et qu’elle envoie à l’échafaud des individus dont les licenciements violents ont produit des souffrances. Petit-à-petit, elle dit s’éloigner de sa hiérarchie, ne plus cautionner certaines tentatives de licenciement et même aider certains salariés des quatre restaurants du franchisé à partir avec des indemnités. À mesure, sa hiérarchie l’isole. Martine devient une cible à abattre, trop gênante. Elle raconte un long harcèlement moral, puis confie l’agression sexuelle qui aurait été commise par son directeur en avril 2016 (4). Un soir, au siège du franchisé, alors que Martine et son patron sont les deux seuls à travailler. L’homme, pantalon et caleçon rose baissés, se serait dirigé vers sa salariée, assise à son bureau, de dos. Il aurait saisi sa main gauche, la posant sur son sexe et aurait joui.

    « J’ai fini par peser 32 kg et j’ai pensé au suicide », raconte Martine, au bord des larmes. Malgré une ambiance de travail insoutenable et plusieurs malaises au travail, la responsable juridique tient bon. « Je n’ai pas voulu abandonner les salariés », craque-t-elle. « J’en ai sauvé. À la fin, si un salarié partait d’un des restaurants, du jour au lendemain, c’est qu’il n’allait pas bien, j’allais le trouver chez lui. Je ne voulais pas les laisser disparaître », raconte-t-elle en pleurs. En novembre 2017, Martine est définitivement écartée suite à un avis de la médecine du travail pour « inaptitude de poste ». Sa santé s’est, en effet, fortement dégradée.

    En janvier 2018, elle attaque devant les prud’hommes les quatre structures de son franchisé pour – notamment – « licenciement sans cause réelle ni sérieuse » et « rupture abusive de son contrat » (une procédure toujours en cours). Dans les mois qui suivent, rattrapée par les souvenirs et toujours en mauvaise santé, elle décide également d’attaquer au pénal son franchisé pour « harcèlement moral » et « agression sexuelle ».

    « Chez McDonald’s, quand on dénonce des délits ou des discriminations, on dégage. Quand on réfléchit trop, on dégage. Quand on conteste la hiérarchie, quand on déplaît, on dégage. »

    Martine serre dans sa main une clef USB frappée du fameux sigle « M » :

    « Je veux qu’ils payent et que tout le monde connaisse le vrai visage de McDonald’s. »

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    Il n'y a rien à garder. / Crédits : Yann Castanier

    (1) Contacté pour réagir aux propos de Paul, le DRH de la franchise du McDonald’s qui l’employait déclare que « l’équipe de direction (…) est très attentive à la qualité de vie au travail, à la lutte contre toutes les discriminations et au respect de chacun. L’organisation du travail s’appuie sur le développement des compétences et la polyvalence de tous les salariés pour qu’ils alternent, tous, les missions au comptoir, en cuisine et en salle. L’entreprise est attachée à un dialogue social de qualité. Les échanges permanents avec le CSE et la médecine du travail n’ont jamais mis en exergue des comportements inappropriés, notamment dans le cas particulier que vous rapportez. »

    (2) Les prénoms ont été changés

    (3) Contactée pour réagir aux propos de Jennifer la, DRH de la franchise du McDonald’s qui l’employait récite que « la qualité de vie au travail et la mise en place d’un management respectueux sont les priorités de la direction du restaurant. » Et précise qu’après « l’alerte consécutive à l’interruption de la période d’essai d’une salariée (Jennifer), motivée notamment par des insuffisances sur des questions de sécurité alimentaire, une enquête interne a été immédiatement diligentée pour établir les faits après les accusations à l’encontre du directeur en poste à ce moment-là. Cette enquête, pendant laquelle le directeur a quitté le restaurant, a pris la forme de la collecte de témoignages et la tenue d’entretiens dédiés dans le cadre de nos protocoles dédiés. »

    (4) Après avoir proposé un entretien physique au siège de ses restaurants McDonald’s (que StreetPress et Mediapart avaient accepté), l’homme a finalement opté pour de courtes réponses à nos questions, via courrier électronique : « Je suis très attaché au respect de mes équipes et ai toujours encouragé l’emploi, la promotion interne, quel que soit l’origine, le genre, le niveau d’étude ou l’expérience antérieure », se défend t-il.

    Édit le 16/01/24 : Martine Guagliardo a contacté StreetPress ce mardi 16 janvier. Elle affirme qu’à l’époque elle n’avait pas conscience de travailler sur la base de documents frauduleux.

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