En ce moment

    31/07/2019

    Pour dénoncer les conditions de rétention, l’ONG chargée d’aider les retenus se retire du centre de rétention

    Plusieurs sans-papiers tentent de se suicider au centre de rétention du Mesnil-Amelot

    Par Marta Sobkow , Yann Castanier

    Après trois tentatives de suicide en quelques heures au centre de rétention du Mesnil-Amelot, la Cimade a décidé de se retirer. Les intervenants chargés d’accompagner juridiquement les sans-papiers dénoncent des violences insoutenables.

    Début juillet, quatre retenus ont tenté de se suicider dans l’enceinte du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot. Dans ce bâtiment situé à quelques encablures de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, plus de 150 sans-papiers sont enfermés dans l’attente d’une expulsion probable. « On ne va pas au CRA pour voir des personnes s’ouvrir les veines ! », commentent des intervenants de la Cimade. L’ONG chargée d’informer et d’accompagner juridiquement les sans-papiers dénonce des « violences [qui] ont atteint un degré intenable » dans cette prison qui ne dit pas son nom. En réaction, la Cimade a décidé de ne plus intervenir au centre du Mesnil-Amelot. Claire, Marco et Louise, intervenants pour la Cimade, expliquent cette décision :

    Pourquoi avez-vous décidé de ne plus intervenir dans ce centre ?

    Depuis le début de l’année, on fait face à des tensions accrues. Il y a une augmentation du nombre de personnes enfermées qui ont de lourds problèmes psychologiques. En plus, un centre de rétention est un lieu anxiogène et violent, qui rend les personnes d’autant plus vulnérables. Le mardi 9 juillet, en début d’après-midi, deux retenus du centre sont montés sur les toits et ont menacé de sauter. Au même moment, une troisième personne a réussi à monter sur une grille très haute, peut-être de cinq mètres. Elle s’y est entourée le cou de fils barbelés et a menacé de se pendre. On savait qu’un quatrième retenu avait entamé une grève de la faim et de la soif le 1er juillet. Il a fait un malaise dans nos bureaux et a été hospitalisé. À son retour, il a fait une tentative de suicide en avalant un coupe-ongles et des dominos. À la suite de ça, il a été enfermé en cellule d’isolement.

    Comment avez-vous pris la décision de partir ?

    Quand il y a eu ces trois tentatives de suicide simultanées, l’administration du centre nous a demandé de faire de la médiation. C’est-à-dire d’aller voir la personne qui s’est pendue et de la convaincre de redescendre. On a refusé immédiatement. Ce n’est pas notre rôle et ça nous expose directement au fait de voir quelqu’un se suicider. On a décidé de partir du centre et on a collectivement – avec la direction de la Cimade – décidé de ne plus y retourner. Pour l’instant, même si les négociations sont en cours, on considère que le danger n’a pas été écarté.

    Si on en arrive là, c’est qu’on ne peut plus exercer notre mission. À un moment, quand on a le sentiment de ne plus être en capacité d’aider les personnes à avoir un accès effectif à leurs droits, notre mission n’a plus de sens ! On ne va pas au CRA pour voir des personnes s’ouvrir les veines !

    Quelles sont vos relations avec l’administration du CRA ?

    De manière générale, les relations sont assez tendues, il y a une hostilité ambiante et palpable. On a vraiment cette sensation d’être l’ennemi qui vient au CRA. Nos missions sont complètement opposées à celles de la PAF [Police aux frontières]. Après, ça dépend beaucoup de la bonne volonté des policiers présents : avec certains, on va réussir à avoir des relations correctes et avec d’autres pas du tout. Certains fonctionnaires de police vont nous empêcher de travailler correctement, par exemple en ne nous délivrant pas des documents essentiels. Les personnes enfermées nous rapportent que les policiers nous dénigrent, font courir des rumeurs prétendant qu’on aurait des primes à l’expulsion, que c’est la faute de la Cimade s’ils sont encore là, qu’on travaille avec la police et avec la préfecture… Des fonctionnaires de police ont dit qu’on s’est retirés du centre parce qu’on avait peur des retenus. Ce qui est absolument faux !

    À quoi ressemble la vie à l’intérieur ?

    Un CRA, c’est comme une prison. Et tout est contraint. Si vous voulez accéder à l’infirmerie, il faut demander aux policiers. Pour recevoir une visite de votre famille, il faut aller dans telle salle, se présenter à telle heure… La plupart des gens se plaignent de la qualité de la nourriture, de la saleté des bâtiments. C’est aussi un lieu où l’on subit une pression énorme: un avion passe au-dessus de leur tête toutes les minutes, leur rappelant qu’ils sont là pour être expulsés. Il y a aussi des hauts-parleurs par lesquels les policiers appellent les retenus pour différentes choses : ça peut être une visite de la famille, mais ça peut aussi être pour l’avion. Et une expulsion n’est pas toujours annoncée en avance. Alors on vient les chercher en pleine nuit ou au petit matin, avec six policiers, pour les emmener de force à l’aéroport.

    Est-ce que des mesures spécifiques ont été mises en place lors de la canicule, notamment pour les personnes les plus vulnérables ?

    Il y avait plusieurs femmes enceintes. On n’a pas eu connaissance de mesures spécifiques. À l’inverse, selon des personnes enfermées, beaucoup de fontaines à eau ne fonctionnaient pas. On leur a aussi demandé de rester dans la cour plusieurs heures, sans pouvoir entrer dans les bâtiments. Ils nous l’ont rapporté comme étant une punition collective.

    Avez-vous eu connaissance de cas de violences policières là-bas ?

    Oui, régulièrement. Comme il n’y a aucun service de police qui prend les plaintes au CRA, nous aidons les personnes à écrire directement au Procureur de la République. Mais honnêtement, on n’a pas vraiment de chiffres là-dessus et ce ne serait même pas représentatif. De nombreuses personnes sont expulsées avant de pouvoir se plaindre, ou n’osent pas en parler par peur de représailles.

    Depuis votre départ, avez-vous gardé contact avec des retenus ?

    On a échangé par téléphone. Et on y est retournés une ou deux heures la semaine dernière, pour tenir au courant les retenus de ce qu’on faisait et pourquoi on le faisait. C’est surtout pour eux qu’on fait ça. À la suite de notre départ, plusieurs groupes de personnes enfermées se sont mobilisés dans l’espoir de porter un message au gouvernement. Elles se sont réunies et ont expliqué leurs revendications. Plusieurs ont lancé des grèves de la faim. Il y a aussi eu des rassemblements dans la cour pour protester contre ce qu’elles estiment être des violations de leurs droits fondamentaux.

    Comptez-vous réintégrer le CRA ?

    Les négociations sont en cours. On ne peut pas dire grand chose, même s’il y a un dialogue avec le ministère et l’administration du CRA. Il y a des volets spécifiques au Mesnil-Amelot, et d’autres concernant la politique générale. On demande au ministère d’arrêter avec la politique d’enfermement systématique et de ne pas enfermer des personnes vulnérables, c’est-à-dire gravement malades, à lourdes pathologies psychiatriques, des femmes enceintes, des enfants… Et d’examiner la situation des personnes avant de les enfermer. Actuellement, c’est le contraire qui se passe : ils enferment et après ils vérifient. L’administration du CRA peut, à l’entrée, effectuer un examen médical pour vérifier la compatibilité de l’état de santé des personnes avec le placement en rétention.

    (repitw) On demande aussi que les locaux du CRA soient réparés et fonctionnels, qu’il y ait un accès à l’eau potable à toute heure du jour et de la nuit et que les retenus puissent avoir un accès libre à nos bureaux sans que les fonctionnaires de police ne filtrent. On demande aussi la fin de la mise à l’isolement utilisée pour gérer, contrôler ou dissuader les personnes désespérées. Isoler une personne en détresse psychologique n’est pas une solution. Au contraire, cela aggrave son cas. Evidemment, au final on souhaite la fin de tous les enfermements et la fermeture des CRA.

    Pour signer la pétition de la Cimade, cliquez ici.

    Relire notre article : Pour échapper à l’expulsion, des sans-papiers vont jusqu’à la tentative de suicide

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER