Drancy (93) – « La police est là pour nous protéger, pas pour nous tuer. » Karen Levy, 48 ans, est assise devant son institut de beauté « En plein soleil », un café à la main et ses grands yeux bleus cachés par des lunettes brunes fumées. C’est là, avenue Lucien Delaquerrière, qu’elle a vu mourir son ex-compagnon Philippe Ferrières, père de son fils de 7 ans. Son « mari », comme elle l’appelle. C’était un mois plus tôt, quasiment jour pour jour, le 24 mai 2019. De l’autre côté du trottoir, Jeanne, la mère du défunt, s’exprime d’une voix tremblante :
« Il ne devait pas mourir ce soir-là. Il n’a pas manqué de respect à la police, il s’est peut-être un peu défendu. »
Une quarantaine de personnes, amis en commun ou famille de Philippe et Karen, s’amassent dans la petite rue du sud de Drancy. Certains arborent un t-shirt blanc clamant « Justice pour Philippe ! » Vers 11h30, le petit cortège se met en route derrière une banderole, escorté par deux flics à moto, direction le palais de justice de Bobigny. C’est entre les murs de ce tribunal que se jouera l’avenir du policier qui a pratiqué une clé d’étranglement sur la personne de Philippe Ferrières. Pour Karen, ce n’est que le début du combat : « Jusqu’au dernier jour, je me battrai contre celui qui a coupé le souffle de mon mari ».
L’IGPN publie ses chiffres
Depuis le dernier bilan publié par StreetPress en mai 2018, au moins sept personnes sont mortes dans le cadre d’interventions des forces de l’ordre [retrouvez en bas de cet article notre méthodologie]. Sur les sept affaires, six ont fait l’objet d’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) – pour le cas restant, c’est l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) qui a été saisie.
L’an dernier, la « police des polices » a diffusé pour la première fois son propre recensement des particuliers blessés ou décédés (RBD) à l’occasion de missions de police. Dans son rapport annuel présenté en juin 2018, l’institution fait état de 14 personnes tuées depuis juillet 2017, tout en précisant que « cela ne préjuge pas de l’illégitimité » de ces morts. Le rapport 2019 recense 15 décès sur l’année précédente.
Une démarche de « transparence » qu’avait réclamée l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) en 2016 à l’occasion de la publication de son rapport « L’ordre et la force ». « C’est important que ce soit fait », souligne Marion Guémas, responsable des programmes prison, police et justice à l’ACAT, qui regrette toutefois le caractère incomplet de ce recensement : « On a juste le chiffre, ça ne dit pas grand-chose. On n’a aucun élément rendu public sur les circonstances, sur les éventuelles suites administratives et judiciaires. Ce n’est pas une analyse de l’usage de la force. » Pour l’heure, l’IGGN ne publie pas de chiffres similaires.
Contacté par StreetPress, le service d’information et de communication de la police nationale (SICoP) précise que cet outil n’a pas pour objet de « comptabiliser les enquêtes » de l’IGPN mais a « uniquement un but en termes de formation et d’évaluation des risques », dans l’optique de « faire évoluer la doctrine ».
1 – Philippe Ferrières
Décédé le 24 mai 2019 à Drancy (93)
Information judiciaire en cours
La story : Jeudi 23 mai au soir, Karen Levy profite du beau temps pour dîner au pied de son appart’ à Drancy, où elle tient son institut de beauté. Depuis 2 mois, elle est séparée de Philippe Ferrières, 36 ans, père de son troisième enfant. Accro à l’alcool et à la drogue, le moniteur d’auto-école n’a pas réussi à soigner ses addictions malgré deux cures. « Il était dans un état dépressif, il ne voulait pas me quitter », raconte-t-elle. Dans la soirée, il l’appelle sur le portable de son fils pour lui dire qu’il ne va pas bien, puis arrive à moto, alcoolisé. Karen lui demande de lui donner les clés de la moto et d’appeler un Uber. Le trentenaire fait demi-tour et grimpe à l’immeuble de Karen pour entrer chez elle par la terrasse. Puis redescend. Passé une heure du matin, Philippe Ferrières est toujours au pied de chez elle et jette des cailloux à sa fenêtre. Karen se décide à appeler la police. « Je n’ai pas du tout paniqué, précise-t-elle. Ça faisait la troisième fois ce mois-ci que je les appelais. »
Vers 1h30, trois flics débarquent et interpellent Philippe, qui commence par se laisser faire. Deux semaines plus tôt, au cours d’une scène similaire, un policier avait, dit-elle, confié à Karen : « Il a l’air plus malheureux que dangereux. » Elle s’attend à le voir, comme les fois précédentes, arrêté et placé en cellule de dégrisement. Mais ce soir-là, les choses se passent autrement. Alors que la femme commence à fermer ses volets, elle entend des cris. Par la fenêtre, raconte-t-elle, elle voit Philippe se faire frapper et l’entend protester : « Mon dos, mon dos ! » D’après Karen, la brigade insistait pour lui passer les menottes. « Il avait l’habitude de les suivre sans être menotté. » Elle l’entend dire : « Laissez-moi juste dire au revoir à ma femme. » Un policier aurait répondu : « Tu ne diras pas au revoir, donne-moi ton bras. » Le communiqué du parquet de Bobigny indiquera : « Les trois fonctionnaires de police tentaient d’interpeller l’homme qui se débattait. L’un d’eux pratiquait alors un étranglement qui permettait de maîtriser le mis en cause. » Avant d’ajouter que l’homme a sombré « rapidement dans l’inconscience. »
Un des hommes en bleu serait monté chez Karen pour l’informer que son ex-compagnon était « maîtrisé » et pour lui demander si elle envisageait de porter plainte le lendemain matin. « Ils nous rassuraient, à aucun moment ils ne nous ont dit qu’il était en train de mourir », affirme Karen. Quand elle descend pour récupérer les clés de la moto, elle voit Philippe au sol, « blanc, les lèvres bleues ». Trois autres policiers arrivent, lui arrachent son t-shirt et pratiquent un massage cardiaque. Sans succès. À 2h30, le décès est constaté. Selon Karen, la police est responsable : « Pendant plus d’une heure il était par terre. Ils l’ont laissé mourir. Ils l’ont étranglé, laissé sur le ventre, menotté. » Si leur gosse de 7 ans, endormi, y a échappé, ses deux aînés, issus d’une autre union, ont assisté à la scène, ainsi que la belle-fille de Karen. « Ça a été un choc terrible. Il est mort sous nos yeux. »
Le moniteur devait être convoqué à une audience le 29 mai « pour y répondre de faits de violences conjugales sur la personne de son ex-conjointe », a précisé le parquet de Bobigny – il avait défoncé la porte d’entrée de chez Karen le 10 décembre 2018. La femme nie pourtant toute violence physique de sa part. Une semaine avant sa mort, il était présenté par le magazine municipal de Drancy comme un « héros du quotidien » après avoir sauvé un enfant de 18 mois suspendu dans le vide au 3e étage d’un immeuble.
Les suites judiciaires : Le jour même, le parquet de Bobigny saisit l’IGPN pour enquêter sur les causes de la mort. Karen Levy est aussitôt entendue. Lors de son audition, elle affirme qu’un voisin aurait filmé l’interpellation, film qui aurait été supprimé ensuite par un membre de la première brigade : « Quand le flic l’a vu filmer, il a pris son téléphone et a effacé la vidéo », avance-t-elle.
Les six policiers qui sont intervenus ce soir-là ont été eux aussi auditionnés, dont celui qui a pratiqué la clé d’étranglement, un quinquagénaire. Karen affirme que les trois policiers de la première brigade, une femme et deux hommes, seraient en arrêt maladie pour dépression.
Le 5 juin, le procureur de la République de Bobigny annonce l’ouverture d’une information judiciaire pour la recherche des causes de la mort après les résultats de l’autopsie. « Il ressort à ce stade que le décès résulte d’une asphyxie mécanique par compression cervicale associée à un traumatisme crâno-facial », indique le parquet. L’analyse toxicologique ajoute que l’alcool et la cocaïne consommés « ont pu être à l’origine d’une intoxication aiguë ». D’après Karen, une contre-expertise aurait été demandée.
L’enquête de l’IGPN se poursuit sous la supervision de deux juges d’instruction. Contacté par StreetPress, le parquet de Bobigny confirme que « les investigations sont toujours en cours ». « Pour une fois, on a vraiment un parquet mobilisé », se réjouit Me Patrick Arapian, l’avocat de Karen Levy. Le 17 juin, celui-ci s’est constitué partie civile pour pouvoir consulter le dossier. Karen, elle, espère que « justice sera faite » : « Je veux un procès. Apparemment, on n’a jamais condamné des flics. Il en faut au moins un [qui soit condamné]. »
2 – Patrick Yem
Décédé le 18 avril 2019 à Versailles (78)
Enquête de l’IGPN en cours
La story : Depuis 2011, Patrick Yem, 48 ans, et sa compagne Annick vivent dans un petit HLM rue Montbauron, non loin du château de Versailles. L’homme, originaire de Trappes, ne travaille pas depuis 2 mois, rendu invalide par ses problèmes de poumons.
Le 17 avril 2019 à 23h55, d’après le récit fait par Le Parisien, la femme vient d’être blessée par son conjoint avec un couteau de cuisine. Elle appelle les pompiers, qui arrivent, bientôt suivis de deux patrouilles de police-secours. La veille, le couple avait fêté ses 7 ans de Pacs. Dans le couloir, au 3e étage, Patrick Yem se serait approché des policiers, son couteau à la main, malgré une sommation. « Je l’ai vu avec le couteau, mais pas avancer », affirme Annick. La police aurait demandé à la femme de rentrer dans l’appartement. Un brigadier, qui a plus de dix ans d’expérience, tire d’abord deux coups de taser. Sans effet. « Il avait une veste très épaisse », explique Annick. Après une nouvelle sommation, il dégaine son arme de service, un SIG-Sauer, et tire. L’homme est touché au thorax et à l’épaule gauche. « Comme s’ils ne pouvaient pas tirer dans la jambe ou dans le bras ! » s’émeut Annick. Quand elle entend le coup de feu, elle se débat pour retourner dans le couloir : « J’ai vu mon mari allongé face contre terre dans une mare de sang, décrit-elle. Le policier était immobile face à lui. » Patrick Yem mourra peu de temps après, à 00h40.
Hospitalisée, Annick qualifie la version policière de « tissu de mensonges » qui aurait « sali [son] mari ». « Ce n’était pas un homme violent, insiste-t-elle. Ce soir-là, on a eu une dispute qui a entraîné des mots et un coup de folie. Quand j’ai appelé les pompiers, il s’en voulait terriblement. Pourquoi n’ont-ils pas tenté d’enlever le couteau puisqu’ils étaient plusieurs ? »
Les suites judiciaires : Le brigadier a été placé en garde à vue, ses armes ont été saisies. L’IGPN est chargée d’enquêter pour déterminer si le policier a agi dans les conditions de la légitime défense. Une information judiciaire sera bientôt ouverte par le parquet de Versailles. « Pour l’instant, l’enquête IGPN est toujours en cours », précise le 21 juin le parquet, joint par StreetPress. De son côté, Annick a pris un avocat dans l’optique de porter plainte.
3 – Brahim Moussa
Décédé le 1er janvier 2019 des suites de ses blessures à Lille (59)
Information judiciaire en cours
La story : Samedi 1er décembre 2018 aux aurores, dans le quartier festif de Solférino. La BAC a passé la nuit en planque à surveiller une Clio blanche, voiture de location signalée aux autorités. Vers 6h40, Brahim Moussa, 24 ans, habitant du quartier populaire de Fives, arrive rue de Solférino au volant d’un Scénic noir et dépose un passager près de la Clio. D’après l’AFP qui cite une source policière, ils comptaient « reprendre le véhicule volé ».
Les baqueux s’approchent pour interpeller le passager. Brahim Moussa, dans la panique, aurait alors tenté de prendre la fuite, forçant un barrage à proximité du théâtre Sébastopol. Un des flics tire et le touche au flanc droit. Le jeune homme perd le contrôle de son véhicule, qui se crashe quelques mètres plus loin. Quand les secours arrivent sur place, Brahim Moussa est en arrêt cardiaque. Il est emmené à l’hôpital Roger Salengro, où il restera un mois dans le coma. Avant de rendre son dernier souffle le 1er janvier 2019.
Les suites judiciaires : L’IGPN est saisie pour déterminer le déroulement des faits. Le 16 janvier, Me Abderrahmane Hammouch, l’avocat de la famille, annonce avoir déposé avec deux confrères une plainte contre X pour violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner par agent dépositaire de l’autorité publique.
À la fin du mois, le procureur de la République de Lille fait part à la presse de l’ouverture d’une information judiciaire. « En l’état, il n’apparaît pas d’éléments susceptibles de mettre en cause la responsabilité pénale des fonctionnaires de police nationale intervenant, déclare-t-il à l’AFP d’après les conclusions l’enquête de l’IGPN. Cependant, en vue de répondre au désir légitime de la famille de pouvoir accéder aux pièces de la procédure, le parquet a décidé d’ouvrir une information judiciaire en recherche des causes de la mort. »
Contacté par StreetPress, le parquet de Lille indique le 13 juin : « L’instruction ouverte le 16 janvier 2019 prend en compte la plainte des victimes. Elle se poursuit actuellement afin de déterminer si le décès est consécutif ou non à une infraction pénale. »
4 – Zineb Redouane
Décédée le 2 décembre 2018 de la suite de ses blessures à Marseille (13)
Information judiciaire en cours
La story : Retraitée franco-algérienne de 80 ans, Zineb Redouane vivait à Marseille depuis 1991. « Mama Zina », comme on la surnommait, avait 6 enfants. Elle était 9 fois grand-mère et 3 fois arrière-grand-mère. « Tout le monde la connaissait dans le quartier, décrit son fils Sami. Ce n’était pas une dame à problèmes. »
Samedi 1er décembre 2018, dans le quartier populaire de Noailles. Jour de manif contre l’habitat indigne – un mois plus tôt, deux immeubles se sont effondrés rue d’Aubagne, tuant huit personnes – et pour l’acte III des Gilets jaunes. Zineb Redouane prépare une soupe aux légumes dans son petit appartement de la rue des Feuillants, sa fille Milfet au téléphone en haut-parleur. Elle est inquiète : à quelques pas de chez elle, sur la Canebière, ça tire des grenades lacrymos de tous les côtés. Elle s’approche de sa fenêtre pour fermer les volets.
À 18h57, à l’autre bout du fil, Milfet entend un coup et les cris de sa mère. Depuis sa fenêtre au 4e étage, Zineb Redouane vient d’être frappée au visage par un tir de grenade lacrymo MP7, provenant du lance-grenades d’un des deux policiers postés dans la rue à proximité de leur voiture. D’après une enquête du Média, il y aurait même eu plusieurs tirs.
À l’hôpital de la Timone, on lui fait dix points de suture au visage. Sa mâchoire est fracturée et sa poitrine recouverte de bleus. Dans la nuit, à 4 heures, elle est transférée à l’hôpital de la Conception pour être opérée. Elle est emmenée au bloc vers 14 heures. C’est là qu’elle trouve la mort, à 22h30, à la suite d’un arrêt cardiaque.
Ce jour-là, Sami Redouane est à Alger. Au téléphone, il parvient à parler à sa mère, qui lui aurait dit : « Le policier m’a visée directement, il était juste en face de moi, j’avais les yeux braqués sur lui. » Des propos qu’elle aurait également tenus à sa fille. Toujours d’après Le Média, une policière aurait confié à l’IGPN que l’appartement avait été nettoyé par un de ses collègues avant l’arrivée des enquêteurs.
Les suites judiciaires : Dans les jours qui suivent le décès, le parquet de Marseille sollicite l’ouverture d’une enquête de l’IGPN et d’une information judiciaire pour recherche les causes de la mort. Une enquête que Me Yassine Bouzrou, l’avocat de Milfet Redouane, qualifie sans hésitation de « catastrophique » : « Le policier [qui a tiré] n’a été ni identifié, ni entendu. C’est scandaleux, dans la mesure où il y avait des caméras qui filmaient toute la zone où les faits ont eu lieu. Des enquêteurs sérieux et de bonne foi auraient dû identifier le tireur en moins de 48 heures. » D’après Mediapart, les cinq CRS qui étaient armés de lance-grenades ce jour-là auraient été entendus par l’IGPN : aucun n’aurait reconnu être le tireur.
L’autopsie a mis « en évidence un traumatisme facial sévère avec fractures, des fractures costales et un œdème pulmonaire aigu qui serait la cause du décès ». Pourtant, en décembre, le parquet de Marseille a affirmé qu’« on ne [pouvait] pas établir de lien de cause à effet entre la blessure et le décès ». « Il dit n’importe quoi, tonne Me Bouzrou. C’est contradictoire avec les résultats de l’autopsie. » Une autre autopsie sollicitée par le parquet d’Alger, révélée par Le Média le 1er juillet, attribue avec certitude, cette fois, le décès de Zineb Redouane au « traumatisme crânien » qu’elle a subi.
Le 15 avril, Milfet Redouane a déposé une plainte pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Une deuxième enquête, confiée à un juge d’instruction à Marseille, a été ouverte et l’information judiciaire est toujours en cours. « Ils ont pris beaucoup de temps », estime Me Yassine Bouzrou. Ce dernier, mettant en cause l’impartialité du parquet marseillais, a demandé le dépaysement de l’enquête, une requête accordée fin juin. « Ils auraient dû clore ce dossier depuis longtemps, estime de son côté Sami Redouane, qui souhaite voir la plainte déboucher sur un procès. On cherche à ce que justice soit faite, c’est tout. »
5 – Henri Lenfant
Décédé le 28 septembre 2018 à Fouquières-lès-Lens (62)
Information judiciaire en cours
La story : Henri Lenfant aurait eu 23 ans le 14 octobre 2018. Auto-entrepreneur dans la récupération de ferrailles, le jeune homme résidait avec sa famille sur un campement de gens du voyage, à la frontière entre Fouquières-lès-Lens et Billy-Montigny, dans le Pas-de-Calais. « Il n’était pas méchant : toute personne qu’il pouvait aider, il l’aidait », raconte Aude Labalette, 25 ans, sa compagne et mère de ses deux filles âgées de 4 et 6 ans.
Dans la nuit du jeudi 27 au vendredi 28 septembre 2018, Henri Lenfant se trouve à proximité du campement au volant d’une BMW, avec son frère Bruno et une troisième personne. Des gendarmes du GIGN, en « filature », tentent « d’interpeller trois membres d’une bande organisée spécialisée dans la délinquance », indiquera à l’AFP une source judiciaire. Les trois hommes sont soupçonnés de cambriolages et vols de fret sur quatre départements, dans le cadre d’une enquête diligentée par le parquet d’Arras, d’après une source policière jointe par France Bleu Nord. Aude Labalette ajoute que son conjoint était sous contrôle judiciaire pour des « faits de vol quand il était plus jeune ».
Vers 3h30, les gendarmes tentent de les appréhender. Un premier passager est interpellé, un autre s’enfuit à pied et le troisième, Henri, cherche à s’éloigner au volant du véhicule. Il aurait enclenché la marche arrière. Un des gendarmes entre dans la voiture et lui tire dessus, le blessant à la tête.
Le père d’Henri et Bruno, Georges Lenfant, a affirmé à France 3 avoir assisté à toute la scène et avoir vu son jeune fils être roué de coups. « [Henri] a fait demi-tour pour rejoindre son petit frère. […] J’étais à vingt mètres de mes gamins, mais je n’avais pas le droit de m’approcher ! » Aude Labalette se trouve alors sur le campement, endormie. « On a entendu des coups de feu, on a été réveillés. » Elle accourt avec la famille sur les lieux mais les gendarmes, en tenue militaire, leur auraient intimé de se tenir à l’écart. « Ils nous ont menacés avec leurs armes et leurs chiens », raconte-t-elle. Elle aperçoit une silhouette à terre mais, dans la pénombre, ne reconnaît pas le corps de son compagnon. Elle n’apprendra sa mort que plusieurs heures plus tard, dans la presse.
Les suites judiciaires : Comme c’est un gendarme qui a tiré, c’est cette fois l’IGGN qui est saisie. Une enquête est ouverte pour violences avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Conformément aux réquisitions du parquet de Béthune, le gendarme est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. D’après la veuve d’Henri Lenfant, il serait toujours soumis à la même mesure et aurait changé d’activité professionnelle.
Fin février 2019, un mois après une manifestation organisée à Béthune pour demander « justice pour Henri », Aude Labalette et le père de la victime rencontrent la juge d’instruction en charge de l’enquête. « Elle nous a lu le rapport d’autopsie. C’est là qu’on a su qu’il avait pris la balle. » Une seule balle, dans la nuque, selon la veuve.
La femme de 25 ans, assistée par une avocate, s’est constituée partie civile. Le parquet de Béthune signale le 13 juin à StreetPress que l’enquête se poursuit : « Cette affaire fait l’objet d’une information judiciaire toujours en cours. Le magistrat instructeur ne souhaite pas communiquer d’autre élément. »
Pour l’heure, beaucoup d’interrogations demeurent et les proches s’estiment visés en tant que gens du voyage : « On n’intervient pas avec une bande du GIGN alors qu’il n’y a pas de casier judiciaire avec des armes, s’étonne Aude Labalette. Je pense qu’il y a beaucoup de discriminations. »
6 – Romain Chenevat
Décédé le 14 août 2018 à Paris (75)
Information judiciaire en cours
La story : Le 14 août 2018, trois flics effectuent un contrôle routier dans le quartier des Halles. Ils tombent sur une Renault Modus avec un feu défectueux. Au volant, Romain Chenevat, 26 ans. Le jeune homme habite avec ses parents à Draveil, dans l’Essonne, et vend des fruits et légumes à Rungis, dans le-Val-de-Marne. Ce jour-là, il roule sans son permis, qu’il doit repasser bientôt.
D’après le récit de la police, il aurait refusé de s’arrêter lors d’une interpellation et aurait accéléré pour tenter de renverser la patrouille. L’un des policiers, Kevin, 23 ans, demande à un passant à scooter de pourchasser la caisse et monte à l’arrière. S’ensuit une course-poursuite sur plusieurs arrondissements. Romain aurait pris plusieurs rues à contresens. Vers 23 heures, rue de Condorcet dans le 9e arrondissement, la circulation le bloque. Kevin descend du scooter et s’approche de la voiture du fuyard. Celui-ci aurait alors fait une marche arrière, percutant le scooter. Le jeune flic tire une balle de 9 millimètres qui traverse l’épaule de Romain pour venir se loger dans son thorax. Il meurt sur le coup.
Trois mois plus tôt, il avait déjà été interpellé pour une conduite sans permis et un refus d’obtempérer. La police était alors venue le chercher chez lui.
Les suites judiciaires : Kevin, le policier qui a tiré, est mis en examen pour violences volontaires avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il est placé sous contrôle judiciaire. Dès le 15 août, le père de Romain, Franck Chenevat, dépose une plainte auprès de l’IGPN pour homicide volontaire. Une information judiciaire est ouverte.
D’après Europe 1, la salle de commandement de la Préfecture de police aurait donné l’ordre à Kevin, par radio, d’abandonner la course-poursuite. Le 18 septembre, la cour d’appel de Paris a autorisé le fonctionnaire à reprendre le travail, tout en maintenant ses interdictions de sortir du territoire et de porter une arme. D’après une source judiciaire jointe par StreetPress, à la date du 26 juin 2019, l’information judiciaire ouverte par le parquet de Paris est toujours en cours.
7 – Aboubacar Fofana
Décédé le 3 juillet 2018 à Nantes (44)
Information judiciaire en cours
La story : Aboubacar Fofana, 22 ans vivait dans la cité du Breil-Malville, à Nantes, depuis deux ou trois ans, chez son oncle et sa tante. Saïd En-Nemer, président de l’asso Breil Jeunesse Solidarité, jouait de temps en temps au foot avec lui : « C’était quelqu’un de très jovial, il rigolait souvent, il était bon vivant. »
Le 3 juillet 2018, vers 20h30, le jeune homme est dans sa voiture, à l’arrêt, dans le quartier. Un équipage de CRS l’aborde – le véhicule serait en infraction. D’après le récit de la police, faisant mine de sortir du véhicule, il aurait reculé et percuté un policier, le blessant légèrement aux genoux. Un de ses collègues fait alors feu.
Le soir même, Saïd En-Nemer a recueilli plusieurs vidéos prises avant et après le tir qui contrediraient cette version. « On ne voit pas de policier derrière le véhicule, décrit-il. Le contrôle routier se passe très bien, alors que les policiers disent qu’il était excité, agressif, qu’il y avait une menace supposée, ce qui est totalement faux. » Le président de Breil Jeunesse Solidarité assure avoir parlé à des témoins oculaires de la scène qui, « par crainte », n’auraient pas voulu partager ce qu’ils ont vu avec les enquêteurs ni avec les médias. « Ils ont bien vu que le policier était à l’extérieur du véhicule, à environ un mètre, qu’il l’a mis en joue sciemment », affirme Saïd En-Nemer. Au bout d’une dizaine de minutes, les pompiers arrivent. Mais il est déjà trop tard : blessé à la carotide, Aboubacar Fofana décède à son arrivée à l’hôpital, vers 22h30.
La victime était sous le coup d’un mandat d’arrêt pour vol en bande organisée, recel et association de malfaiteurs. « Qu’il soit recherché ou pas, ça ne veut pas dire qu’on peut tuer des personnes parce qu’ils ont une fiche de recherche, pour pas grand-chose en plus », souligne Saïd En-Nemer.
Les suites judiciaires : Dès le 4 juillet, la PJ de Nantes et l’IGPN sont saisies de l’enquête pour déterminer dans quelles circonstances le policier a été amené à utiliser son arme. Deux jours plus tard, le policier qui a tiré, un brigadier-chef d’une cinquantaine d’années, est mis en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et placé sous contrôle judiciaire.
Au cours de ses premières heures de garde à vue, il plaide la légitime défense. Avant d’avouer son mensonge et de changer de version : il parle désormais d’un « tir accidentel » qui serait parti alors qu’il tentait de neutraliser le jeune homme. « Contrairement aux autres affaires de bavures policières, la personne a avoué », relève Saïd En-Nemer. Pourtant, comme l’a révélé Ouest-France le 19 juin dernier, un an après, le CRS n’a toujours pas été entendu par le juge d’instruction. L’information judiciaire est toujours ouverte. « Le dossier est en cours d’instruction », indique le parquet de Nantes, joint par StreetPress.
Nous n’avons pas inclus Steve Maia Caniço, dont le décès n’a pas été prononcé. Nous suivons l’affaire.
60 morts en 12 ans
En 2017, nous avions pour la première fois tenté de recenser les décès liés aux violences policières. Selon notre décompte entre 2007 et 2017, 47 personnes désarmées sont mortes à la suite d’une intervention musclée des forces de l’ordre. L’année suivante, 6 personnes sont décédées. Retrouvez leurs histoires.
Méthodologie
Pour circonscrire la liste des personnes décédées après une intervention policière, nous avons arrêté une série de critères discriminants. Nous avons, cette année, conservé les mêmes critères que ceux appliqués lors de notre précédent décompte:
1 – que la victime soit décédée à la suite d’une violence avérée et incontestée, exercée par un fonctionnaire en service.
2 – que le décès n’ait pas été causé par la victime elle-même ou par un élément extérieur, quand bien même la responsabilité des forces de l’ordre pourrait être engagée : chute, noyade ou accident de la route lors d’une course-poursuite…
3 – que la victime ne soit pas armée d’une arme à feu. Un critère, certes discutable, qui nous permet d’écarter, par exemple, les terroristes du Bataclan.
StreetPress ne considère pas que les décès exclus par certains de ces critères sont pour autant légitimes. Il s’agit uniquement d’une méthodologie de travail. Ce travail ne nie pas non plus l’existence de décès, eux aussi tragiques, de policiers et de militaires dans l’exercice de leurs fonctions, comme les dix fonctionnaires morts en lien avec des actes terroristes en France depuis 2012 ou les policiers abattus par des criminels.
Sur l’usage de la violence par les forces de l’ordre, vous pouvez lire le rapport très complet de l’Association Chrétienne pour l’Abolition de la Torture de 2016, celui d’Amnesty International de 2009 et le décompte chronologique établi par Basta!.
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