Petite barbe, piercing et t-shirt mauve, rien ne distingue Adrián de la Vega, 22 ans, de n’importe quel étudiant Parisien. Ou peut-être un détail : le « F » sur sa carte d’identité. Adrián est un homme trans et à presque 22 ans, il tient une chaîne Youtube où il aborde la transidentité. Une manière d’informer les premiers concernés tout en luttant contre les préjugés. Et ça marche plutôt bien : plus de 150.000 vues en cumulé et 33.000 abonnés sur son compte instagram.
Adrián a fait son coming-out trans à 18 ans, et a commencé à prendre des hormones quelques mois plus tard. Au début, ses parents ont un peu de mal à l’accepter :
« Je leur ai dit “Personne n’est mort… par contre si vous rejetez votre gosse, y’a moyen que ça arrive”. »
Génération Youtube
Comme beaucoup de jeunes trans de sa génération, c’est sur Youtube qu’Adrián a trouvé en premier les informations auxquelles il n’avait pas accès IRL. Mais sur la toile, la majorité des vidéos est en anglais. Les quelques contenus francophones, majoritairement québécois, se concentre sur le ressenti des auteurs :
« Il en faut, bien sûr, mais c’est une forme qui ne touche que les personnes trans elles-mêmes. »
Et c’est finalement un québécois qui lui a fait sauter le pas. Le rappeur Lucas Charlie Rose, producteur de la première mixtape regroupant exclusivement des artistes trans :
« C’est lui qui m’a dit “Si tu as un projet de chaîne Youtube, alors fais-le !”. »
Les idées reçues sur les trans par Adrian de la Vega sur Streetvox
Parler concrètement de la trans-identité
Dans ses vidéos, Adrián ne fait pas dans la théorie. Ce qu’il aime, c’est parler de choses concrètes : dans ses vidéos il aborde la prise d’hormones, le choix ou non de se faire opérer, mais aussi l’acceptation, quand on est parent, d’un enfant trans.
Sa chaîne, il a voulu la faire pour les trans francophones, mais aussi « pour s’adresser aux cis ». Par « cis », il désigne les personnes non trans. Quand il s’adresse à eux, Adrián n’est pas toujours tendre. Mais s’il apprécie secouer les idées toutes faites sur la transidentité, ça n’est jamais gratuit :
« Quand on est cis, on ne pourra jamais vraiment comprendre la transidentité. Mais ça n’empêche pas d’être respectueux, bienveillant, à l’écoute. »Et de conclure par un constat difficile :
« Souvent ils me demandent de me mettre à leur place, mais ils se mettent rarement à la mienne. »Est-il lassé de faire de la pédagogie ?
« Un jour peut-être, mais pour le moment, ça me plait de faire des vidéos, je m’amuse. »
Entre soutiens et harcèlement
Adrián se sait bien entouré. Ses proches, parents en tête, le soutiennent dans ses engagements. Il est en couple avec Circé, une jeune femme elle aussi trans. Tous les deux se sont fiancés et envisagent de se marier dans quelques années :
« Elle et moi, c’est pour la vie. On se comprend. Les relations amoureuses, ça peut être difficile quand tu es trans. Être en couple avec une personne trans m’a évité des violences, des micro-agressions, notamment en ce qui concerne les relations sexuelles. »Seule ombre au tableau, la fac, où il subit un harcèlement perpétuel :
« Des élèves ont pris des photos de moi avant que je ne commence la testostérone et les ont affiché dans la classe. C’était assez violent. Je suis quand même soutenu par quelques camarades, mais des gens m’ont vu, reconnu, et se permettent de me parler comme de la merde, ou de me poser des questions humiliantes. »
La couv’ de Têtu
Pour Adrián, la question de la visibilité est centrale, c’est ce qui l’a fait accepter la proposition du magazine Têtu. Pour son retour en kiosque, en janvier dernier, le mensuel gay lui propose la couv’.- En tant qu’homme trans et bisexuel, ce geste de visibilité lui paraissait pertinent :
« Je l’ai fait parce que j’avais envie de tenter l’expérience. J’ai aussi pensé que s’il y avait un mec trans qui devait être en couverture, autant que ce ne soit pas un mec trans bodybuildé, ou un énième mannequin torse nu. Je suis fier de l’avoir fait. J’ai reçu des messages de gens très contents de voir un mec trans en Une. »Adrián s’estime chanceux de pouvoir maîtriser son image :
« Je sais que je suis très privilégié, de par ma classe, de par ma couleur, de par le fait que je peux faire des études, que j’arrive à bien parler, que je n’ai pas d’handicap visible. Je présente bien et j’en profite tout en en étant conscient. C’est pour ça que j’ai fait la couverture de Têtu. »
Dur dans ce contexte de montrer la communauté trans dans toute sa diversité :
« On n’est pas un bloc uni, on a des vécus et des envies différentes. Certains veulent des opérations, d’autres pas, certains des hormones, d’autres pas, certains ne veulent pas être out, d’autres veulent être visibles… »
Aider les autres
Adrián ne représente que lui, mais il garde en tête que cela lui donne une responsabilité. « Je me pose ces questions depuis longtemps. Parfois ça me freine, et j’ai peur de blesser des gens, peur qu’après une vidéo, tout le monde me saute dessus. J’arrive à me remettre en question là-dessus. » Qu’il le veuille ou non, sa notoriété en fait une figure de référence pour certains. Ainsi on le contacte beaucoup, environ une vingtaine de messages chaque jour, principalement via Instagram : des personnes en questionnement sur leur identité de genre se tournent vers lui pour avoir des conseils.
D’autres sont dans une vraie détresse, comme des personnes trans migrantes, ou à la rue. Adrián écoute, répond aux questions et oriente vers les associations spécialisées comme Outrans ou Acceptess-T :
« Je ne suis pas professionnel, contrairement à elles qui font très bien leur travail, je fais l’intermédiaire. »Les petits gestes comptent aussi. Adrián donnent des vêtements de garçon et des binders (des t-shirts de compression), ou propose son aide pour faire des injections d’hormones aux personnes qui n’y arrivent pas seules, ou qui ne peuvent pas se payer les services d’une infirmière.
La transphobie administrative
Un sujet central revient souvent dans les messages qu’il reçoit : la question du changement d’état civil. Un processus lourd et complexe en France, malgré une nouvelle loi visant à faciliter le processus :
« La loi a changé mais ça reste compliqué, même pour le changement de prénom. On ne nous laisse pas faire ce qu’on veut de notre corps. On veut policer nos identités. »À titre personnel, Adrián se dit favorable à la suppression de la mention du genre sur la carte d’identité et une grande simplification des démarches :
« On vit dans un pays en retard, il n’y a qu’à voir dans quels pays le changement d’état civil est libre et gratuit. Même à Malte ! Il faut continuer à se battre. Tant que je ne pourrai pas changer d’état civil gratuitement, je continuerai. »En attendant son quotidien est truffé de violences symboliques qui le mettent en colère, comme savoir que s’il n’obtient pas son changement d’état civil, il y aura écrit « Madame » sur son diplôme. « Bien sûr que je suis en colère ! C’est une colère qui est légitime, qui me permet d’avancer. Comme disait Ségolène Royal, c’est une colère qui est saine », finit-il par plaisanter.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER