Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a abrogé la loi sur le harcèlement sexuel. Le texte de 2002 comportait effectivement une imprécision puisqu’il n’en disait pas assez sur les moyens qui devaient être mis en œuvre par l’auteur du harcèlement pour que celui-ci soit reconnu comme tel. Il y avait bien une faille juridique, mais cette loi avait un sens et un périmètre d’application : les juges réservaient en effet cette infraction à des cas de pressions et de chantage sexuel.
Or, la réponse du Conseil constitutionnel, une abrogation immédiate avec effet rétroactif, a eu des conséquences lourdes. Des milliers de victimes sont désormais confrontées à un vide juridique. Cette décision adresse un message de tolérance de l’infraction et met à mal tous les efforts de pédagogie menés par le Législateur, depuis des décennies.
À l’origine de cette abrogation, il y a l’affaire Gérard Ducray. En 2009, cet adjoint à la mairie de Villefranche est accusé de harcèlement sexuel par une employée, Aline Rigaud. Il est condamné en première instance en 2010, puis à nouveau en appel, en 2011. Les faits ont notamment été reconnus grâce à des témoignages, mains courantes et plaintes de trois autres personnes, qui montraient que ce n’était pas un acte isolé et qu’il y avait un modus operandi. Après s’être pourvu en cassation, Gérard Ducray a saisi le Conseil constitutionnel pour demander l’abrogation de la loi.
Le Conseil constitutionnel lui a donné raison. Il supprime non seulement le délit de harcèlement sexuel du code pénal, mais donne en plus à sa décision un caractère immédiat et rétroactif. La décision du Conseil entraîne donc, en France, la chute de toutes les procédures en cours. Conséquences : un vide juridique de 10 ans, allant du 17 janvier 2002 au 8 août 2012 (date à laquelle une nouvelle loi est entrée en vigueur). Avec ce nouveau texte, la peine d’emprisonnement passe à deux ans et l’infraction est considérablement élargie. Cependant le vide juridique entre 2002 et 2012 reste entier.
Les montagnes russes du droit
L’abrogation du délit de harcèlement sexuel a eu pour effet de faire immédiatement tomber 2.000 procédures en cours. Il a également empêché le déclenchement de nombreuses autres affaires qui devraient se poursuivre aujourd’hui. Des procès prévus en 2016, 2017, 2018, 2019 ne peuvent pas se tenir, car les infractions antérieures à 2012 ont été effacées. Sachant que mille plaintes sont déposées chaque année, des milliers de personnes sont concernées. On a donc très mal pris en compte l’importance et les conséquences de ce vide juridique.
Le législateur a incité les victimes à déposer plainte pendant des décennies et du jour au lendemain, le droit s’est retiré sous leurs pieds. Aujourd’hui, elles doivent se dire qu’elles n’auraient jamais dû en parler. C’est contreproductif. Attaquer quelqu’un, un élu ou un employeur, pour des faits de nature sexuelle est un véritable marathon judiciaire. Les conséquences sur la vie personnelle et professionnelle sont lourdes. Ce revirement du droit est terrible pour ces gens qui ont soutenu l’accusation du ministère public. Il crée un message à l’encontre d’années d’efforts législatifs.
Pour les auteurs des infractions, cette décision est également regrettable. Les personnes poursuivies pour ces faits, sont en effet placées dans une situation d’inégalité suivant la date à laquelle ils ont commis l’infraction : de 1992 à 2002, ils sont condamnés à un an d’emprisonnement ; de 2002 à 2012, ces faits sont tolérés ; à partir de 2012, on passe à deux ans d’emprisonnement. Ces montagnes russes nuisent justement à la clarté de la loi pour les citoyens. C’est contreproductif une fois de plus.
La double peine
Il n’y a pas de solution aujourd’hui. Ce problème ne peut plus être résolu. L’abrogation a été prononcée par le Conseil constitutionnel en 2012. Il n’y a pas d’appel possible. La seule solution, d’ailleurs symbolique, serait une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dont on attend toujours l’issue incertaine.
Pour les victimes qui avaient une procédure en cours en 2012, c’est la double peine. Elles ont subi des faits et mené un combat judiciaire difficile de plusieurs années. Arrivées en première instance ou en appel, elles peuvent enfin mettre à distance des faits, les objectiver. Le procès leur permet de se reconstruire. Voici que cette abrogation, par son caractère soudain et non motivé, relâche ces victimes dans un univers de sidération et d’incompréhension. Elles se retrouvent au point de départ. C’est un sentiment terrible.
En tant qu’avocat et citoyen, j’espère que cette situation sera un jour reconnue. La décision du Conseil du 4 mai 2012 est un cas d’école qui je l’espère également, ne se reproduira plus.
Tout n’est pas noir : le texte de 2012 envoie un bon signal, mais la meilleure des lois ne comblera pas ce vide juridique et cette banalisation du phénomène.
Ce sont les mentalités qu’il faut changer. Les associations et les victimes le disent très bien : il faut sans cesse enfoncer le clou. On ne peut pas dire que la décision du Conseil ait facilité la bonne compréhension de ce qu’est le harcèlement sexuel et sa gravité. On ne peut pas dire non plus qu’il ait été le meilleur allié du législateur après toutes ces années d’efforts.
J’ai été touché par cette problématique du harcèlement sexuel, grâce au “reportage de Clarisse Célestin en 2012”: https://www.youtube.com/watch?v=mDAVq8b4MM, qui décrit très bien cette situation et la détresse des victimes._
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