Janvier 2016, Manuel Valls est l’invité des Amis du Conseil des institutions juives de France (Crif). A la tribune, le Premier Ministre tire à boulets rouges sur l’Observatoire de la laïcité et son président Jean-Louis Bianco, pourtant placé sous son autorité. L’institution, jugée trop souple dans sa défense de la laïcité, en « dénature la réalité ». Elle participerait même d’un « climat nauséabond ».
Deux visions de la laïcité s’affrontent à la tête de l’Etat. D’un côté, celle que défend le premier ministre d’alors, celle de « Caroline Fourest et d’Elisabeth Badinter », dira-t-il pendant la primaire. De l’autre, la ligne Hamon, défendue par Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la laïcité et son rapporteur général, Nicolas Cadène. Mars 2017, ce dernier reçoit StreetPress dans son bureau situé dans une dépendance de Matignon, au cœur du ministère de la Fonction publique. « C’était ridicule comme polémique », rembobine le trentenaire en costume cintré.
A l’origine du conflit, la tribune « Nous sommes unis », publiée le 15 novembre 2015 sur le site de Libé. Elle est co-signée par l’Observatoire de la Laïcité, plusieurs responsables ou institutions religieuses et communautaires, dont le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Une organisation que les vallsistes voient d’un mauvais œil : trop communautaire, à leur goût. Gilles Clavreul, le boss de la Dilcra, proche de l’ex-Premier Ministre, accuse le CCIF de « légitimer l’islamisme ».
« De une, on n’était pas à l’origine de l’appel, on ne connaissait donc pas tous les signataires », s’énerve un an plus tard Nicolas Cadène :
« Et puis même, on a totalement assumé. Et deuxièmement, Valls nous a taclé dans un discours au dîner du Crif, alors que le président du Crif avait signé cette tribune. »
Suivre la loi de 1905
Sur son bureau trône le dernier numéro du magazine Society, qui consacre une longue enquête à Sens Commun. Le mouvement catho-réac issu de la Manif pour tous s’est rallié à François Fillon. Autour d’un thé, le trentenaire rasé de près explique le rôle de l’Observatoire de la laïcité, peu connu du grand public.
Ses lectures : La Croix et Society /
Il a rejoint cette institution dès son ouverture en 2013. Créée, sur le papier, dès 2007 par Jacques Chirac, la structure n’a été effective qu’à l’arrivée de Hollande à l’Elysée. Bianco et Cadène, accompagnés d’une équipe d’une vingtaine de personnes, ont pour mission de défendre les principes de la laïcité tels qu’ils sont exposés dans la loi de 1905.
Leur mission première, « conseiller le gouvernement et le parlement dans leur action de faire respecter le principe de laïcité. » Chaque année, ils font un état des lieux « très précis » du respect de ce principe, « dans tous les domaines de la vie en société », détaille Nicolas Cadène :
« Mais surtout, notre gros travail, c’est la formation auprès des enseignants, notamment, mais aussi des acteurs de la vie publique, des responsables associatifs, des éducateurs spécialisés, à ces questions de faits religieux. »
Petit-fils de pasteurs
Son engagement est l’héritage une longue tradition familiale. Gamin, il grandit dans le Gard, près de Nîmes, d’une famille de juristes et de vignerons, marquée par un long engagement à gauche. Dès son adolescence, au lycée puis à la fac, il passe par de nombreuses assos. « Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International, le Samu Social, des assos locales »… Un vrai CV de dame patronnesse.
Mais ce qui a marqué son engagement, ce sont ses racines familiales. « Mes grands-parents étaient pasteurs dans des quartiers difficiles. Ils faisaient beaucoup de travail social auprès des plus défavorisés. C’est sûr que j’ai appris beaucoup d’eux. » Pour autant, pas de conclusions hâtives :
« Mon engagement ne vient bien sûr pas que de la religion. Mais je ne peux pas nier que j’ai été éduqué dans une culture protestante. »
Qu’il défend avec une pointe de fierté :
« Un des premiers penseurs de la laïcité en France était sans aucun doute Pierre Bayle. Pourquoi ? Parce que les protestants ont longtemps subi le régime totalitaire d’une religion. Forcément, il y avait ce désir de liberté de conscience pour tous et d’une reconnaissance des droits. »
Comble de l’héritage familial, son grand-oncle Raoul Allier a participé à l’élaboration de la loi de 1905.
Recentrer le débat
Janvier 2017, la primaire de la gauche ravive les tensions. Manuel Valls tacle Benoit Hamon sur sa vision de la laïcité : il dénonce des « ambiguïtés » et autre « risques d’accommodements ». La guerre des deux laïcités repart au parti de la rose. Un des plus proches conseillers de l’ancien Premier ministre, Malek Boutih, va jusqu’à qualifier Hamon de candidat « islamo-gauchiste ».
L’équipe Valls monte en épingle « l’affaire » du café de Sevran – ce reportage de France 2 de décembre dernier sur un bar PMU de la ville du 93 qui interdirait l’accès aux femmes. « Communautarisme ! », hurlent en substance les loups politiques.
Sans le citer directement, Cadène balance une nouvelle pique à Manuel Valls. Encore des « faux débats » :
« Comme pour la non-affaire du maillot de bain de Reims, on met en avant des problèmes de laïcité alors que ça n’a rien à voir. »
Il poursuit, un poil vénère :
« Si l’affaire du café de Sevran s’était avérée véridique – ce que le Bondy Blog a démenti par ailleurs – on ne serait pas dans un débat religieux vis-à-vis des femmes, mais dans de la discrimination. Ça n’a rien à voir, il faut arrêter de tout confondre. Il ne faut pas brandir la laïcité comme un mot magique. »
D’après lui, la polémique n’est qu’un « prétexte pour ne pas traiter les vrais problèmes ».
Des appuis politiques
Si Cadène égratigne l’ancien Premier ministre, c’est qu’il peut compter sur de solides soutiens au gouvernement. Quand il débarque à Paris au début des années 2000 pour terminer ses études de droit, il se rapproche du Parti Socialiste. Après un petit passage à la Commission nationale du débat public (CNDP), Nicolas Cadène devient attaché parlementaire, notamment auprès de Jean-Louis Bianco, alors député des Alpes-Maritimes.
Cet historique du PS, secrétaire général de l’Elysée puis plusieurs fois ministre sous Mitterrand, lui présente le tout Paris socialiste jusqu’à l’intégrer dans l’équipe de campagne de Ségolène Royal en 2007 :
« J’étais chargé de l’argumentaire pour les porte-parole et les militants. »
Sous les ors de la République. /
La campagne forge une amitié entre les deux socialistes, ils continuent de se suivre, de près ou de loin, jusqu’en 2012, où Cadène fait de nouveau partie de l’aventure aux côtés d’Hollande. Cette fois le sort sera plus favorable. Dès mai 2012, il fait son entrée au cabinet du ministre délégué à l’agroalimentaire. Il est nommé à l’Observatoire par Ayrault un an plus tard.
Présidentielle 2017
Nicolas Cadène scrute de près la campagne en cours, attentif aux déclarations de chaque candidat. Il se dit proche de la ligne Hamon, mais assure ne pas le conseiller, en attendant la suite :
« Si malheureusement le successeur de Hollande décide de supprimer cet organisme, je pense que ce sera une grosse erreur, mais on ne pourra rien y faire ».
Il sourit :
« Bon en tout cas, je serais obligé de rechercher du travail »
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